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L'hyper-médiatisation de l’épidémie mondiale de coronavirus a contribué à faire oublier que la période de neuf mois pour recueillir les soutiens au référendum contre la privatisation des aérodromes parisiens expirait le jeudi 12 mars 2020 à minuit.
Il est vrai que, depuis plusieurs mois déjà, cette première procédure de référendum d’initiative partagée (RIP) était moribonde. Ouverte le 13 juin 2019 à la suite de l’initiative de plus d’un cinquième de parlementaires (248 exactement) à l’origine de la proposition de loi du 10 avril 2019 qualifiant les aérodromes de Paris de service public national (v. « RIP la privatisation d’ADP », 10 mai 2019), elle aurait nécessité que 10% du corps électoral, soit 4,7 millions d’électeurs, inscrive son soutien sur le site dédié géré par le ministère de l’Intérieur. Alors que les premiers jours laissaient espérer une forte mobilisation citoyenne, les inscriptions sur le site ont très rapidement décru pour atteindre une moyenne d’environ 900 soutiens quotidiens et une moyenne journalière lissée sur la période de 9 mois de 3 900 soutiens, très loin des quelque 17 500 nécessaires pour parvenir au seuil du déclenchement de la suite du RIP – le passage de la proposition de loi RIP devant chacune des assemblées parlementaires, préalable à un référendum si la proposition de loi n’est pas examinée ni par l’Assemblée nationale, ni par le Sénat. Au 4 mars 2020, 1 116 000 soutiens avaient été exprimés, soit 4,2 fois moins de soutiens que ce qui était requis ; en miroir, quelque 46 millions d’électeurs n’ont pas souhaité ni cherché à soutenir le référendum empêchant la privatisation de la société Aéroports de Paris (ADP).
Sur le terrain juridique, cette insuffisance du nombre des soutiens interroge sur la faisabilité du RIP, dont chacun s’accorde à reconnaître les imperfections – pour des raisons différentes d’ailleurs, qui tiennent soit à sa trop grande rigueur, soit à sa trop grande souplesse : en mai 2019, le Premier ministre avait un temps envisagé de restreindre le champ matériel du RIP, afin d’empêcher la réitération du précédent ADP, où l’on a vu un projet de loi en cours d’examen par le Parlement mais non encore promulgué contrecarré dans ses effets par une proposition de loi RIP ; mais le mois précédent, le président de la République s’était prononcé pour l’abaissement du seuil de déclenchement du RIP à un million de soutiens et en faveur d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC). Ces réflexions paraissaient avoir trouvé un début de traduction normative dans le projet de loi constitutionnelle adopté par le Conseil des ministres le 28 août 2019 ; or, ce projet est mort-né puisque à la date de publication du présent billet, il n'a fait l’objet d’aucun examen par la commission compétente de l’Assemblée nationale où il a été déposé, de sorte qu’il est désormais hautement probable qu’il n’y aura aucune révision constitutionnelle sous le quinquennat Macron.
Si, un jour, une majorité politique soucieuse de démocratie participative entendait vitaliser le RIP, il faudrait tout à la fois : abaisser le seuil du nombre de parlementaires pouvant le déclencher ; abaisser le seuil des soutiens citoyens ; réduire à trois mois la durée du recueil des soutiens ; prévoir des modalités de propagande pendant la période du recueil des soutiens qui s’inspirent de celles applicables aux campagnes électorales ; compter en temps réel le nombre des soutiens (v. « Pour un comptage officiel des soutiens au RIP ADP », 26 juillet 2019 ; « Qui devrait publier le nombre de soutiens au référendum ADP ? », 16 septembre 2019) ; et supprimer la phase – infranchissable aujourd’hui (v. « Pour empêcher le RIP, l’Assemblée nationale et le Sénat violent la Constitution », lemonde.fr, 1er juillet 2019) – de l’absence d’examen de la proposition de loi RIP par l’Assemblée nationale ou le Sénat comme préalable à la tenue du référendum. Bien évidemment, la mise en place d’un site internet de recueil des soutiens ergonomique et facilement utilisable est une condition pratique essentielle de réussite du RIP…
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Sur le terrain citoyen, l’incontestable échec du RIP ADP (v. « Référendum contre la privatisation d’ADP : radiographie d’un échec », lemonde.fr, 11 mars 2020) interroge la vitalité démocratique française (v. « Après l’élection européenne, le référendum ADP : du crépuscule à l’aube démocratique ? », 13 juin 2019). Il ne s’est donc trouvé que 2,1% du corps électoral pour souhaiter que la question du statut d’ADP soit débattue par voie référendaire, et non réglée par le seul Parlement (en l'occurrence, par la seule majorité à l'Assemblée nationale). Bien sûr, une pluralité d’explications, tenant à la fois à la procédure en général du RIP et à l’objet spécifique au RIP ADP, peuvent venir justifier cette passivité ultra-majoritaire, qui par contrecoup peut être présentée comme un succès (très) relatif (Laurent, Mauduit, « La privatisation d’ADP est suspendue », Mediapart, 11 mars 2020 : « dans les conditions très difficiles où elles ont été engrangées, ces signatures – à hauteur de 1,2 million – constituent un formidable résultat ») : l’absence de publicité gouvernementale (et pour cause !), la faiblesse des relais médiatiques, les complexités inouïes du site du recueil des soutiens géré par le ministère de l’Intérieur et délibérément organisées par ce même ministère, l’indifférence d’une partie des français au statut des aéroports parisiens ne serait-ce que parce qu’ils ne vivent pas en région parisienne ou ne prennent jamais l’avion…
Mais il n’empêche : l’indifférence citoyenne est là, en dépit notamment : des manifestations des gilets jaunes ; de la multiplication de micro-mobilisations citoyennes de toutes natures (dont la tenue de stands sur la voie publique par des bénévoles accompagnant les citoyens dans leurs démarches pour l’inscription du soutien sur le site) ; de l’engagement actif de certaines mairies faisant de la publicité par affichage ou dans le mensuel municipal pour le RIP, de certaines associations telle Anticor, et de certains partis politiques ; du précédent de la vente (catastrophique pour les intérêts de l’Etat) de 49,9% des parts de l’aéroport de Toulouse à un opérateur chinois ; de ces folies économiques et financières qui consistent pour l’Etat à indemniser dès le stade de la privatisation les sociétés actuellement actionnaires minoritaires (v. « Privatisation d’ADP : l’Etat indemnisera les acheteurs potentiels ! », 2 oct. 2019) ainsi qu’à vendre une société beaucoup plus rentable que les dividendes à 2,5% nés du placement par l’Etat du produit de la vente ; des alertes – par analogie avec la privatisation des autoroutes – sur les dangers pour le contribuable de la privatisation d’ADP ; des alertes également en termes de sécurité ou d’écologie de la privatisation du territoire sur lequel se situe la frontière française la plus empruntée ; du caractère stratégique qu’a ADP dans la détermination d’une politique française en matière de transports aériens nationaux et internationaux ; du risque consécutif au remplacement d’un quasi-monopole public par un quasi-monopole privé ; et surtout de la détestation croissante des politiques mises en œuvre depuis mai 2017 à l’égard desquelles il était possible à tout un chacun, en prenant 15/20 minutes de son temps depuis n’importe quel endroit du globe terrestre et au moyen de son smartphone, de donner une traduction concrète…
Ce que les électeurs ont d’abord refusé par leur passivité voulue ou involontaire, ce n’est pas la privatisation d’ADP mais au préalable la possibilité même de débattre sur la place publique nationale, dans le cadre de la tenue d’un référendum, pour ou contre cette privatisation. Compliqué, dans ces circonstances, de faire la promotion de la démocratie participative…
Reste qu’à l’issue du conseil des ministres du 11 mars 2020, la porte-parole du gouvernement a affirmé que « les conditions de marché ne sont pas du tout favorables pour le moment à une quelconque opération de privatisation, et en particulier pour ce qui concerne ADP. (…) Actuellement, compte tenu des conditions de marché, nous serions un bien mauvais gestionnaire si nous faisions le choix immédiat de céder des actifs et notre participation dans ADP ». « Pour le moment… ». Certes, l'action ADP, qui était à l76,10 euros le 1er janvier 2020, est descendue à 114,1 euros au 11 mars avant de s'écrouler sous la barre des 100 euros le 12 mars ; mais sur le terrain des principes, il est inquiétant que le prétexte opportun du cours de la bourse décide du sens des politiques publiques françaises à propos d’une entreprise qui, pour reprendre les termes de l’exposé des motifs du projet de loi PACTE, « gère des infrastructures de dimension internationale, d'une importance déterminante pour l'économie française »… Gardons au surplus à l’esprit que la privatisation d’ADP implique ipso facto, ainsi qu’il a été dit, une indemnisation des actionnaires privés minoritaires en raison de la « perte d’éternité » actuellement attachée aux actions qu’ils possèdent sans limitation de durée et qu’ils ne détiendraient plus « que » pour 70 ans, de sorte qu’une privatisation au rabais n’a pas seulement des conséquences pour les finances publiques, mais est aussi défavorable aux intérêts financiers de ces actionnaires minoritaires…
Quoi qu’il en soit, la privatisation pour 70 ans de la société ADP, permise par la loi PACTE du 22 mai 2019 mais volontairement différée par le gouvernement dans l’attente de l’issue du RIP, n’est donc pas inéluctable, même si d’ici à mai 2022 elle peut être enclenchée ad nutum par un exécutif qui aime avancer masqué. Elle paraît par ailleurs fragilisée par les investigations menées le 20 janvier 2020 par l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales au domicile de l'ancien PDG de la filiale internationale d'ADP, ADP International, laissant entrevoir des soupçons de corruption et de rétrocommissions entre groupes de BTP autour de la construction de trois aéroports internationaux en Libye avant la chute de Kadhafi (Marc Endeweld, « Une caisse noire et un parfum de corruption remettent en cause la privatisation d'ADP », Le Media, 4 février 2020).
Dans l'hypothèse où, ainsi qu’il est nécessaire indépendamment des fluctuations boursières ou de quelque pandémie virale que ce soit, la société ADP devait rester majoritairement détenue par l’Etat, par un heureux hasard de l’histoire, les promoteurs du RIP ADP pourraient alors avoir obtenu gain de cause au fond, sans même recourir à l’étape du référendum… Il faut savoir se battre jusqu'au bout, y compris pour des causes qui paraissent perdues.
Merci à Christian Creseveur pour le dessin.