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Billet de blog 1 avril 2024

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Pascale Trimbach: préfète de l'Allier ou d'Imerys?

La préfète de l’Allier, qui fut une élue de la droite francilienne jusqu’en 2020, soutient désormais aux côtés de la droite bourbonnaise le gigantesque projet de mine de lithium à Echassières. Rappel de ses déclarations depuis un an, qu’on peine à distinguer des éléments de langage de la multinationale Imerys.

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Pascale Trimbach, préfète de l'Allier depuis mars 2023, n'a pas assisté à la réunion d’ouverture du débat public sur le projet de mine de lithium, qui s'est tenue le 12 mars dernier dans la salle des fêtes de Moulins. Elle n'en a pas moins été citée ce soir-là par plusieurs participant·es (vers 1h57, 2h08 et 2h36 de la vidéo insérée plus bas) :

  • « Madame la préfète, représentante de l’Etat, future signataire des autorisations de travaux, garante du respect des lois, a manifesté son soutien total et massif au projet, alors même que [l'instruction des dossiers] n’a pas débuté. »
  • « L’exécutif et sa représentante locale [...] ont déjà manifesté leur emballement sans limite pour le projet, sans même avoir pu prendre connaissance d’un dossier d’exécution, et encore moins d’une étude d’évaluation des impacts environnementaux. Comment pouvons-nous avoir encore confiance dans le niveau des exigences environnementales qui seront imposées à Imerys ? [...] Comment peut-on être certain que les moyens humains suffisants seront alloués à la DREAL pour assurer ce suivi ? »
  • « Je regrette que Madame la préfète ne soit pas là ce soir, alors qu’elle s’est tellement mobilisée en faveur de ce projet, et parce qu’elle a aussi un rôle de protection de la population [et de la forêt avoisinante]. »
Débat mine de lithium Allier : réunion d'ouverture © CNDP - Commission nationale du débat public

Le projet Emili (pour « Exploitation de MIca Lithinifère par Imerys ») a été annoncé en grande pompe le 24 octobre 2022, avant de recevoir deux jours plus tard le soutien du président de la République (lire ici et voir ). Mme Trimbach a pris ses fonctions dans l'Allier quatre mois et quelques jours plus tard.

Le 5 avril 2023, ses premiers mots dans le journal local furent les suivants : « [Mon dossier prioritaire] est le projet d’exploitation de lithium à Echassières, un dossier structurant, d’industrie innovante. » Au cours de l'entretien, elle répéta à deux reprises que le projet revêtait un « enjeu national », tout en veillant à temporiser : « Il y a encore beaucoup de questions en suspens, il faut une expertise scientifique, une appréhension globale des enjeux, très rigoureuse, avant de prendre des décisions et les expliquer à la population. »

Dès la rentrée de septembre, la préfète se montrait pourtant pressée. Dans La Montagne à nouveau : « Toutes les décisions fondamentales doivent être prises en 2023 et 2024, c’est le calendrier que nous souhaitons tenir. » Puis dans La Semaine de l'Allier : « Le projet Emili doit aller vite. » On peut consulter ici le calendrier annoncé par Imerys, dont le Groupe Bruxelles Lambert – qui est lui-même contrôlé par les héritiers des milliardaires belge Albert Frère (1926-2018) et québécois Paul Desmarais (1923-2013) – contrôle près de 55% du capital.

Illustration 2
Moulins centre. © SR

En septembre 2023, Mme Trimbach évoquait déjà un « projet majeur pour la souveraineté nationale » et affirmait que « Imerys travaille de façon sérieuse sur une extraction qui soit la plus écologique possible ». Depuis, on retrouve dans les déclarations de la préfète le même type d'éléments [1] :

  • Dramaturgie : « C'est un événement historique », « un projet fondamental pour la souveraineté énergétique de la France » ou encore « un projet très important pour la France, au titre de la réindustrialisation et de la souveraineté énergétique » ; « C’est en partie dans l’Allier que se jouera la bataille cruciale de la transition énergétique et de la souveraineté économique de notre pays ».
  • Vert : « C'est un projet écologique », « un projet exceptionnel aussi en matière [environnementale]» ; « Face à des concurrents asiatiques bien moins scrupuleux, il faudra être imaginatif et novateur, pour que le respect de l’environnement et la rentabilité [aillent] de pair ».
  • Local : « C'est un projet 100% Allier [qui] va créer 500 à 600 emplois directs », « une opportunité fondamentale » et le début d'un « cercle vertueux pour le département ».

Coïncidence ? La « souveraineté » indispensable à la « [poursuite de] notre transition énergétique », une « mine responsable et bas-carbone » et les « impacts socio-économiques » positifs attendus localement sont les trois piliers de la communication d'Imerys (lire notamment ici, et et voir la vidéo ci-dessous) :

EMILI | Présentation du projet lithium d'Imerys en France © ImerysReplay

En novembre 2023, le site d'investigation Disclose a déterré un rapport publié en 2018 par « l'expert après-mine » Geoderis sur la pollution des sols dans la région d'Echassières, et révélé que les pouvoirs publics n'avaient pas informé les habitant·es des résultats dudit rapport. L'autrice de l'enquête a interrogé la préfecture de l'Allier à ce sujet. Réponse du cabinet de la préfète : « De toute façon, personne ne vit là. »

En décembre 2023, dans le cadre des journées d'action contre Lafarge et le monde du béton lancées par les Soulèvements de la terre, des habitant·es de l'agglomération vichyssoise ont souhaité approcher de la carrière des Malavaux (à Cusset), qui bénéficie jusqu'en 2034 d'une autorisation préfectorale d'exploitation de 1,4 million de tonnes par an [2]. La préfecture a alors interdit tout rassemblement et même publié ladite interdiction sur les réseaux sociaux. Son attitude fut sensiblement différente le mois suivant, quand les agriculteurs décidèrent de bloquer d'importantes voies de circulation du département.

Quelques mois plus tôt, les opposant·es au projet de mine de lithium avaient pu observer le déploiement d'un important dispositif de sécurité, d'abord le 12 juillet, à l'occasion de la onzième étape du Tour de France (entre Clermont-Ferrand et Moulins), puis en octobre, lors d'une marche entre La Bosse et l'entrée de la carrière de Beauvoir-Echassières commémorant le premier anniversaire de l'annonce du projet Emili.

Début 2024, « le cabinet de la préfecture a envoyé une "alerte" à toutes les mairies du secteur d’Échassières pour leur signaler la présence d’individus "susceptibles de diffuser des fausses informations", selon le site d'information indépendant Reporterre [3]. Ce jour-là, les associations écologistes du secteur étaient sorties distribuer des tracts sur le projet de mine de lithium. »

Ce 27 mars, lors de la quatrième rencontre du débat public, un habitant de Saint-Bonnet-de-Rochefort s'est étonné de vivre « entouré de gendarmes depuis une semaine » (l'extrait est à la 33e minute de la vidéo).

Illustration 4
Au Salon de l’agriculture, Mme Trimbach entourée du président de la Région et de ses lieutenants bourbonnais Aguilera, Riboulet et Ray. © NicolasRay03, 29.02.2024 (photo recadrée)

La préfète de l'Allier soutient de façon assumée le projet d'Imerys, tout comme le président de Région Laurent Wauquiez (Les Républicains), qui y a vu d'emblée « une très bonne nouvelle ». En Auvergne-Rhône-Alpes, le chef parle et ses lieutenants répètent après lui. Dans l'Allier, ces derniers se nomment Claude Riboulet (président UDI du Conseil départemental et de Commentry-Montmarault-Néris-Communauté), Frédéric Aguilera (maire LR de Vichy, président de Vichy Communauté et 4e vice-président du Conseil régional), Nicolas Ray (député LR de la 3e circonscription), Emmanuel Ferrand (maire LR de Saint-Pourçain-sur-Sioule, 1er vice-président de Saint-Pourçain-Sioule-Limagne et conseiller régional délégué) et Frédéric Laporte (maire LR de Montluçon et président de Montluçon Communauté, qui vient d'être condamné en première instance, quelques semaines après son homologue moulinois). L'unique femme du tableau s'appelle Véronique Pouzadoux : maire LR de Gannat et présidente de la communauté de communes dont font partie Echassières, Saint-Bonnet-de-Rochefort et Naves, ainsi que de l'association des maires de l'Allier, elle est particulièrement concernée par le projet Emili, mais ne s'est toujours pas exprimée sur le sujet. Contrairement à M. Riboulet, qui est fier « de l'accompagner depuis son origine » (lire ici et ).

Aux côtés de MM. Aguilera et Ray, Mme Trimbach soutient aussi la réhabilitation du pouvoir personnel bonapartiste et l'anachronique contournement nord-ouest de l'agglomération vichyssoise : marchant dans les pas de l'une de ses prédécesseur·es [4], elle se targue ainsi d'avoir signé la déclaration d'utilité publique du « CNO », en dépit du triple avis défavorable rendu à l'issue de l'enquête publique [5].

Illustration 5
Allégorie de la France de Macron : l’Etat (Mme Trimbach, au centre) derrière le capital (l’état-major d’Imerys, au 1er plan). © Imerys / EMILI, Montluçon, 29.01.2024

Il n'est guère surprenant que la préfète de l'Allier et les principaux élus de la droite locale partagent le même logiciel idéologique : aux législatives de juin 2017, Mme Trimbach était la suppléante (issue de LR) du candidat UDI de la 6e circonscription du Val-de-Marne. Entre 2014 et 2020, elle fut aussi la 5e puis la 4e adjointe du maire LR de Saint-Mandé, Patrick Beaudouin, en charge des « relations avec les institutions et les intercommunalités », puis aussi des « affaires patriotiques » (elle est par ailleurs « commissaire au Comité de la flamme » sous l'Arc de Triomphe).

Maire pendant un quart de siècle (1995-2020), député pendant une décennie (2002-2012), M. Beaudouin a fait partie sous la présidence Sarkozy de l'aile la plus droitière de l'UMP : la Droite populaire emmenée par MM. Mariani (désormais eurodéputé RN), Myard et Vanneste. Fervent soutien de François Fillon en 2017, M. Beaudoin a logiquement regretté que le programme de « choc » proposé par son champion ait été « amoindri » par l'état-major de LR à la suite de la débâcle enregistrée lors de l'élection présidentielle.

Le mandat municipal de Mme Trimbach à Saint-Mandé s'est achevé début juillet 2020. Trois semaines plus tard, elle était nommée à la tête de la préfecture de la Meuse (ses précédentes expériences dans « la préfectorale » remontaient au début des années 2000, à Château-Chinon et Dole). Dans la Meuse, Mme Trimbach coordonnait « l'action des préfets de la Meuse et de la Haute-Marne relative au projet de centre de stockage en couche géologique profonde (Cigéo) des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue » sur la commune de Bure et ses voisines. Son CV faisait apparaître son mandat passé, ce n'est plus le cas dans l'Allier [6].

Illustration 6
Suppléante Les Républicains d'un candidat UDI. © DR, juin 2017

La préfète de l’Allier est heureuse de mener « le pack Allier » [7]. A-t-elle bien en tête que ses membres sont très loin de représenter tou·te·s les Bourbonnais·es (cf. les taux d'abstention atteints lors des élections locales de 2020 et 2021) ? A-t-elle aussi mesuré le rejet dont font ici l'objet les institutions en général, et le pouvoir macroniste en particulier (cf. les résultats du 2nd tour des dernières présidentielles et la déroute dans la foulée des deux députées LREM sortantes) ? Mme la préfète sait-elle enfin qu’elle représente dans notre département un Etat défaillant (cf. notamment la misère et la faim qui y grandissent à vue d'œil, cf. l'Intercités Clermont-Paris et l’abandon de Montluçon, cf. l'état des trois hôpitaux, entre fermetures de services et urgences en burn out, cf. les postes non pourvus à l’inspection du travail et les suppressions de classes chaque année dans les écoles) ?

Mme Trimbach n'a assisté ni à la rencontre du 12 mars à Moulins, ni à celle du lendemain à Gannat. On ne l'a pas vue non plus à Echassières ou à Saint-Bonnet la semaine passée – l'un des participants à la dernière réunion a d'ailleurs constaté et regretté son absence (voir à 2h10 de la vidéo). Pourquoi pareille discrétion, après tant de communication ? La peur d'affronter les citoyen·ne·s et leurs questions ? Celle-ci, par exemple : « Mme la préfète, votre rémunération est-elle pour partie liée à l'avancement du projet de mine de lithium (lire ici, et ) ? » Ou encore celle-là : « L'action des préfets successifs des Deux-Sèvres (voir notamment ici et ) et du Tarn (voir notamment ici, et ), qui favorisent ostensiblement la réalisation d'infrastructures d'envergure portées par des intérêts privés, constitue-t-elle pour vous une source d'inspiration ? »


[1] Les citations qui suivent sont extraites de la cérémonie des vœux, le 8 janvier à Moulins ; d'entretiens aux radios locales RMB (à partir de la 6e minute) et RJFM, ainsi qu'au quotidien La Montagne, le 30 janvier à Montluçon, c'est-à-dire le lendemain de la conférence de presse organisée par Imerys dans la même ville ; de l'émission « 28 minutes » d'Arte, à la veille de l'ouverture du débat public.

[2] Le 24 juin prochain, le Premier ministre Gabriel Attal participera à la cérémonie d'hommage à Jean Zay, qui aura lieu comme chaque année devant le monument situé route des Malavaux (entre Cusset et Molles), à deux pas de la carrière éponyme.

[3] A l'issue des premières rencontres du débat public, je recommande, outre l'article de Reporterre cité dans ce billet (son autrice vient de signer un essai remarqué au Seuil, qu'elle a notamment présenté sur Blast), les récits de France Info, France Bleu Pays d'Auvergne et Le Monde.

[4] Préfète de l'Allier entre janvier 2018 et mars 2021, Marie-Françoise Lecaillon avait déclaré d'utilité publique en février 2020 le projet de second pont sur l'Allier à Moulins, en dépit de l'avis défavorable rendu fin novembre 2019 par les commissaires enquêteurs. Après le départ de Mme Lecaillon (qui a depuis été décorée par Gérald Darmanin, avant de prendre sa retraite), le préfet Treffel (mars 2021-mars 2022) et la préfète Hatsch (mars 2022-février 2023) ne sont pas resté·es plus d'une année dans le département.

[5] Entretien à RMB, 30 janvier 2024, 10e min. 30 sec.

[6] Pour prendre la mesure des évolutions récemment intervenues au sein du « corps préfectoral » (lequel n'existe plus depuis le 1er janvier 2023), je recommande cette enquête de Nadia Sweeny parue dans l'hebdomadaire Politis (l'article ayant été « libéré » par les abonné·es du journal, il peut être lu par les non-abonné·es).

[7] Entretien à RJFM, 30 janvier 2024, 3e minute.

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