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Billet de blog 12 janvier 2022

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« Placés » en salle

Le film « Placés » sort en salle aujourd’hui. Réalisé par Nessim Chikhaoui, il met en scène des adolescents placés dans une maison d’enfants à caractère social et les éducateurs et éducatrices qui les encadrent.

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Le réalisateur a été éducateur spécialisé dans un foyer et offre là son premier film, après avoir été coscénariste des Tuche. Elias (Shaïn Boumedine), jeune homme des cités, comptait entrer à Sciences Po mais a raté le concours tout simplement pour avoir oublié… sa carte d’identité, peut-être acte manqué tellement il n’est pas sûr de vouloir suivre cette voie. En attendant de pouvoir repasser le concours l’année suivante, il se fait embaucher dans cette maison sur incitation d’un pote de son quartier (Moussa Mansaly). Il dépanne, car un éducateur est manquant, façon de nous montrer qu’on est prêt à embaucher dans ces maisons des agents non diplômés, tout en montrant que la compétence repose aussi sur des qualités humaines personnelles.

Illustration 1

Dans le pavillon aux pierres meulières de la banlieue parisienne, vivent six garçons et filles et autant d’éducateurs, donc un fort taux d’encadrement. Marc, le directeur (Philippe Rebbot), est un brave type, qui en a tellement vu qu’il ne s’offusque plus de rien, sinon des rats que le service de dératisation ne sait pas éliminer. Il critique l’Aide Sociale à l’Enfance sur le fait que le Département finance moins les contrats jeunes-majeurs. Michèle a été larguée par son mec, alors elle boit : Marc cherche à l’aider tout en sachant que ce n’est pas du meilleur effet sur les ados. Dans l’ensemble, il y a plutôt une bonne entente dans cette équipe éducative. Elias, lui, essaye d’apprendre le métier en se confrontant à des situations chaque jour nouvelles. Il commet quelques erreurs, mais ses collègues lui rappellent les règles. Il est parfois perdu au point de prendre une éduc pour une pensionnaire. Les jeunes sont le plus souvent excités, ça crie, ça s’engueule, ça s’envoie des vannes sans cesse, parfois l’une ou l’autre s’enfuit. Ils et elles ont une vision très négative de leur histoire. L’une est persuadée de finir comme sa mère (« mélancolique, c’est plus grave que la dépression »). Ils cherchent à faire douter les éducs de leur métier qui « ne sert à rien », en se dévalorisant eux-mêmes : « tu n’as que des cassos toute la journée » ou des « gogoles », et menaçant de plonger dans la prostitution, dans le trafic de drogue ou dans la téléréalité. Ils sont à l’affût sans cesse de ce qui se joue entre les éducateurs eux-mêmes. Tous ont des relations complexes avec leur propre famille, souhaitant y retourner (tellement déçu quand le juge sur rapport de l’éducatrice s’y oppose) ou au contraire ne plus jamais la voir. Les jeunes acteurs sont tous très crédibles et incarnent avec talent leur rôle.

Certes, le film est un peu didactique quand sont évoqués et expliqués les sigles : MECS, ASE, OPP, VAE, et qu’il nous informe sur le fait qu’il y a 340 000 jeunes pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance dans le pays. Idem sur le fait que lors des sorties « sèches », les jeunes deviennent SDF, avec cette affirmation à l’emporte-pièce : « des générations d’enfants qu’on sacrifie pour faire de l’oseille ». Mais il ressort de ce film beaucoup d’humanité, de sensibilité, de solidarité. Et si, dans le pavillon, les décibels sont parfois au summum, il n’empêche que l’ensemble fonctionne comme une grande famille. Il y a de la violence, mais le film en montre le contexte. Dans tous les cas, les jeunes mesurent bien que ces adultes ne sont pas je-m’en-foutistes, ils et elles se battent pour eux. Difficile pour Elias, malgré son ras le bol, de quitter ce monde auquel il finit par s’attacher vraiment. Une scène finale montre combien il serait présomptueux de tirer trop vite des conclusions sur l’avenir d’un·e jeune. Le pire peut arriver, le meilleur aussi.

Une fois de plus, un film de fiction est plus fidèle à la réalité, dans toute sa complexité, que certains documentaires racoleurs, qui cherchent désespérément à mettre l’accent sur les failles et à les extrapoler, souvent plus soucieux de faire le buzz que de mener enquête. Ces fictions réussies : on pense à Hors Normes (Olivier Nakache et Éric Tolédano), La Tête haute (Emmanuelle Bercot), Patients et La Vie scolaire (les deux réalisés par Grand Corps Malade et Mehdi Idir). Évidemment, quand j’évoque certains documentaires, je ne pense pas à ceux de  Ketty Rios Palma, de grande qualité : Itinéraire d’un enfant placé et Incas[s]ables. 

Belle interprétation de Julie Depardieu, Nailia Harzoune et Aloïse Sauvage. Cette dernière, également chanteuse dans la vie, interprète au final la chanson Placés, avec Moussa Mansaly et Victor Le Fèvre (musique du film  et de la chanson : Demusmaker). 

Placés (2021) - Bande annonce HD © Digital Ciné

Placer l’enfant pour bien finir l’année

Libération ne pouvait finir l’année sans faire un peu pleurer dans les chaumières. Du coup, le quotidien, sous une image christique de Lyes Louffok, lui consacre le 30 décembre un article dans lequel il est présenté comme « l’éducateur militant, ancien mineur placé, [qui] remet en cause avec fougue et brio un système d’aide à l’enfance qui broie plus qu’il n’aide les victimes ». Selon la journaliste Marie Piquemal, c’est presqu’un théorème : les citoyens ne se soucieraient des enfants placés en France que lorsque Lyes Louffok passe à la télé, mais l’émotion ne durerait que 72 heures. Ce fut le cas lorsqu’un film racontant son histoire est passé à la télé le 15 novembre. Et  une nouvelle fois d'en faire le récit (qu'il a décrit en collaboration avec une prête plume spécialisée dans les autobiographies, sous le titre Dans l’enfer des foyers, publié en 2014, alors qu’il n’avait que 20 ans). L’article ne dit à peu près rien des enfants placés, sinon que Lyes Louffok a fait éducateur spécialisé peut-être pour se reconstruire, mais, constatant que « le système est maltraitant », il quitte son emploi pour s’en créer un dans l’association Repairs (d'aide aux enfants placés) qu’il anime. A ceux qui lui reprochent d’occuper le terrain, il répond, modeste : «Allez-y, prenez ma place. Il faut arrêter de fantasmer la visibilité, c’est aussi un handicap », et de livrer quelques confidences sur sa vie difficile due à son passé et à sa notoriété.

Il n’est pas exclu que le plus ou moins grand intérêt des citoyens pour la question des enfants placés soit en grande partie due à la façon dont les médias instrumentalisent et personnalisent le sujet, plutôt que de l’aborder de façon étayée, argumentée et politique.

Lyes Louffok, des maux d’enfant

Billet n° 654

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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