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Billet de blog 15 août 2021

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Les néo-libéraux ressortent

Samedi soir, sur France Inter, Jean-Marc Daniel a repris tous les arguments verbaux néo-libéraux qui faisaient florès avant la crise sanitaire et qui s’étaient quelque peu estompés dans un contexte où l’État a dû débourser beaucoup pour limiter les dégâts économiques. Et trois chroniques sur les milliardaires de Saint-Trop’, les profits du CAC 40 et le racket des autoroutes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dominique Seux est le journaliste des Échos qui chaque matin sur France Inter, depuis 2008, expose la doxa économique libérale (L’édito éco). Tout au long de cette année, pour compenser ce parti pris très contestable de la part d’une chaîne publique, il était, le vendredi seulement, en débat avec Thomas Piketty.

Illustration 1

Cet été, le libéralisme économique ne prend pas de repos, et Dominique Seux est là le samedi soir avec une émission au titre original, L’éco de l’été (on notera que cela permet encore de jouer à la radio sur le mot Échos). Il a reçu ainsi Christine Lagarde (présidente de la Banque Centrale Européenne), Carlos Tavares (patron de Stellantis, Peugeot/Fiat/Chrysler), Christiane Lambert (FNSEA), Olivier Bogillot (Sanofi) et Patrick Pouyanné (Total). L’an dernier, c’était Patrick Artus (économiste libéral), Nicolas Théry (patron du Crédit Mutuel), Emmanuel Faber (patron de Danone), Laurence Boone (économiste libérale de l’OCDE). Il a reçu en juillet 2020 Arnaud Montebourg, et devait recevoir ce samedi Aurélie Trouvé, enseignante, porte-parole d’Attac, comme pour atténuer ce parti pris habituel de discourir qu’avec les tenants d’un capitalisme pur et dur.

« Pagano-gauchisme » !

Et bien, ce samedi, changement de programme : c’est Jean-Marc Daniel qui était au micro, professeur émérite de l’ESCP Business School, un des économistes français le plus pourfendeur d’un État social et thuriféraire du laisser-faire, laisser-passer (ne pas laisser l’État s’impliquer dans l’économie). D’emblée, il s’en prend au « pagano-gauchisme », bien pire que l’islamo-gauchisme. Il le répètera : il lui fallait sans doute une petite phrase ou une expression nouvelle pour marquer son passage dans les médias. Il donne un exemple de « pagano-gauchisme » : en Suède, cet hiver, « il y a eu un débat délirant sur le fait que l’on revienne au balai à la place de l’aspirateur ».  Caricaturant ainsi une incitation à réduire la consommation des appareils ménagers pour faire face à la pénurie d’électricité pendant une vague de grand froid.

Il se présente comme le seul économiste en France à défendre la macro-économie et les thèses de Ricardo (Agnès Verdier-Molinié, qui n’est pas économiste, ne va pas apprécier), il en tire gloire, se décrivant modestement comme l’albatros de Baudelaire (ses ailes de géants…). Il a manifestement décidé d’y aller plus fort encore que lorsqu’il est sur le plateau de C dans l’air (France 5) où il a son rond de serviette (et où officie également Dominique Seux, quand il n’est pas chez Pujadas, sur LCI).

« Tombereaux de crédits »

D’une part, il ne sait pas ce que signifie néo-libéralisme sinon une tentative d’insulte à l'encontre du libéralisme économique. Lui qui a écrit un livre sur « l’argent magique », s’il reconnait que le chômage partiel était nécessaire pour faire face à la crise sanitaire, il reproche à Emmanuel Macron d’avoir dit : « quoi qu’il en coûte » et d’avoir déversé des « tombereaux de crédits », ce qui porte atteinte à la valeur travail. Donner de l’argent à quelqu’un sans contrepartie de travail… c’est provoquer des achats à l’importation ! Et de dérouler tous ces mantras : « Ce n’est pas parce qu’on dépense qu’on est riche ; on est riche et alors on peut dépenser », « ce n’est pas en appauvrissant les riches qu’on résout les problèmes », l’ISF n’était pas une somme importante [5 milliards d’euros tout de même] mais maintenir cet impôt était de l’idéologie, il fallait « détruire les riches », « il faut travailler plus pour redonner de la compétitivité », « les 35 heures, c’est un échec », revoir l’âge de départ en retraite, favoriser l’ubérisation pour donner du travail à la « réserve de chômeurs ». Débonnaire, il estime que le discours sur les inégalités est « récent », en effet, affirme-t-il, le Front Populaire n’en parlait pas, alors que les inégalités étaient plus fortes : l’enjeu était seulement « de relever les pauvres ». Il se garde bien d’évoquer la classe possédante qui accusait alors le Front Popu de faire « la guerre aux riches ».

« Chacun son métier »

Des étudiants de Sciences Po l’interrogent. L’un argumente judicieusement sur l’État stratège (en particulier sur le financement de la recherche sur les vaccins aux USA), mais JM Daniel lui oppose du tac au tac une fin de non-recevoir. L’État est nul, il en veut pour preuve… l’échec du Plan calcul : quitte à remonter à Mathusalem (1966), il aurait peut-être fallu évoquer les entreprises privées qui s’étripaient au sujet de ce projet d’informatique à la française (après le rachat de Bull, firme française, par l’américaine General Electric). Il rajoute une louche sur l’État confiscatoire et le conjure d’arrêter de « matraquer fiscalement ». A noter, à sa décharge, qu’en bon libéral il conteste le monopole des GAFA, et s’amuse du fait que finalement les citoyens approuvent ce monopole : ils préfèrent, selon lui, n’avoir qu’un réseau Facebook, et pas 25.

Il conclut en informant les auditeurs qu’il a édité et préfacé les poésies du fabuliste Florian, celui qui avait écrit : « chacun son métier, les vaches seront bien gardées ». Façon d’indiquer que l’État n’a aucun rôle économique à jouer. Pour avoir appris Le Grillon il y a si longtemps, je me souviens que Florian avait aussi donné cette morale à ce poème : « pour vivre heureux, vivons caché ». Jean-Marc Daniel, qui court les plateaux des médias tel l'albatros sur les ponts des navires, pourrait en prendre de la graine, surtout qu’il oublie que Florian a également affirmé : « Aidons-nous mutuellement, la charge de malheurs en sera plus légère ».  

. Lien avec l'émission (ici). Samedi prochain, 21 juillet, c’est bien Aurélie Trouvé qui est annoncée comme l’invitée de L’éco de l’été.

. Les trois chroniques suivantes sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets

Racket

Illustration 2
[dessin d'Aurel paru dans "Le Monde" du 20 avril 2019].

Il est de notoriété publique que l’État a toujours très mal négocié les concessions d’autoroutes concédées à des sociétés (au nombre de 23, la plus importante étant Vinci). Pour engager des travaux d’envergure, ces sociétés ont obtenu régulièrement des allongements des durées de concessions, ce que la Cour des comptes dénonçait dans un rapport d’avril 2019. La Cour notait que les travaux à effectuer n’étaient pas clairement définis. Par ailleurs, les « sages » comparaient le plan de relance de 2015 (l’État accordant 3,2 milliards d’euros [Md€] aux sociétés pour moderniser le réseau autoroutier) avec les bénéfices que ces sociétés allaient faire grâce à l’allongement de la durée de leur concession : environ 15 Md€ !

Je viens de parcourir 2100 kilomètres dont une partie sur autoroute : 1138 km pour un coût des péages de 114 euros, soit un euro tous les dix kilomètres ! J’ai vu nulle part qu’on ait relevé le fait que la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les départementales et nationales avait certainement provoqué une augmentation du trafic sur autoroute (certes, réduit ensuite avec les confinements). J’ai constaté que des travaux d’élagage importants (arbres supprimés sur les talus, derrière les barrières de sécurité) provoquaient des kilomètres de ralentissements ou de bouchons, pour des travaux prévisibles et manifestement effectués trop tard. Mais aucune réduction sur les tarifs exigés. Par ailleurs, les arrêts aux péages sont du temps perdu, contradictoire avec le principe de rapidité affiché par le réseau. Le changement de concessionnaires pourrait justifier ces parcours hachés (encore que), sauf que les sociétés des autoroutes que j’ai empruntées sont gérées par Vinci Autoroutes et ASF : or ASF est tout simplement une filiale de Vinci !

Le Groupe Vinci c’est plus d’une centaine de sociétés, avec un chiffre d’affaire de 50 Md€ et un bénéfice autour de 10 %, soit 5 Md. Le patron, Xavier Huillard, est peu connu du grand public : il alignait 4,3 millions d’euros par an en 2015, ce qui ne l’empêchait pas de dire que « l’argent ne fait pas le bonheur du patron ». Vinci exige toujours de l’État, sauf erreur de ma part, un milliard pour compenser la perte du chantier de ND-des-Landes.

Contestant récemment dans un post les profits du grand patronat (profits exorbitants du CAC 40 depuis la crise épidémique, voir ci-dessous), un lecteur a commenté gentiment que j’étais « jaloux » ! Que nenni. Je reproduis ici l’analyse de deux économistes, Anne Case & Angus Deaton, qui sont nullement anticapitalistes, bien au contraire, et qui ont publié Morts de désespoir, L’avenir du capitalisme (2021, Puf), à propos des morts par suicide et overdose aux USA (je finis la lecture de ce livre que je présenterai prochainement sur ce blog). Ils dénoncent la forme de "racket" qu’a instauré le capitalisme, plus précisément après la Grande Dépression (la crise financière de 2008 qu’il avait pourtant lui-même provoquée). [12 août]

Illustration 3

Tout va bien !

On apprenait la semaine dernière que les sociétés du CAC 40, dont les profits avaient reculé en 2020, ont fait 50 milliards d’euros [Md€] de bénéfices à redistribuer aux actionnaires pour le seul premier semestre 2021 (selon Le Monde, car selon Le Figaro et Les Échos ce serait 60 Md€). Les deux plus gros, Total et Sanofi, distribuent à leurs actionnaires (2019) 12,5 Md€ soit autant sinon plus que ce que l’État verse à 2 millions de foyers pour le RSA.

Illustration 4

Et comme une "bonne" nouvelle n’arrive jamais seule, on apprend aujourd’hui que les patrons du même CAC 40 (donc les 40 plus grosses entreprises françaises) toucheront en moyenne, sur l’année 2021, 5,3 millions d’euros soit 1,5 millions de plus qu’en 2020 ! Les 120 patrons du SBF 120, hors CAC 40, ne toucheront "que" 3,2 millions pour l’année contre 1,9 l’an dernier soit 1,3 millions de plus !

Je sais qu’une loi fait obligation de révéler ces chiffres, mais je me demande toujours pourquoi il en est ainsi. Par souci de transparence, ou pour tétaniser le pékin moyen sidéré par de tels chiffres ? Par les temps qui courent, certains manifestants (contre le pass) avouent n’être jamais descendus dans la rue jusqu’à présent pour contester les injustices sociales et l’attaque contre les droits sociaux. Peut-être occasion pour eux d’ouvrir les yeux sur cette réalité insupportable et de la combattre ? [10 août]

Trop’ c’est trop

Les 500 grandes fortunes de France ont vu leur patrimoine progresser de 30 % en un an pour atteindre près de 1000 milliards d’euros (soit en moyenne deux milliards pour chacune). Alors que le PIB du pays baissait, avec la crise sanitaire et économique, de 8 % !

Si certains milliardaires se font très discrets, d’autres sans vergogne étalent leur fortune. Et si leur copain a un yacht de 120 millions, ils s’ingénient à en acquérir un de 122 millions, deux mètres plus long. Ils ne savent pas que faire de leur argent. Ces fortunes accumulées, outre leur immoralité, sont un non-sens économique. Le regard que l’on peut jeter sur les détenteurs de ces richesses est chargé de la conviction que ce sont des truands : impossible autrement de posséder à soi seul un patrimoine équivalent à celui de centaines de milliers de personnes. [26 juillet]

Illustration 5
Saint-Trop fin juillet : devant le yacht, une Rolls et une Lamborghini, avec leur emplacement réservé [Photo YF].

Billet n° 628

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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