Voile levé sur un sujet tabou

Rafaële Rivais, qui tient une chronique juridique dans Le Monde, rendait compte samedi d’un jugement rendu le 16 mars par la Cour de cassation. Un avocat, pour assurer la défense d’un enfant victime d’un accident de voiture, avait exigé, sans accord du juge des tutelles, que la mère lui verse 1000 € et 20 % des dommages et intérêts à venir (alors que la règle est 10 %). L’assureur MMA accepte une transaction à 1,2 million d’euros, à laquelle s’ajoute une rente viagère pour emploi d’une tierce personne de 2462 € par mois [versée selon mes calculs sur 49 ans]. Totalisant les sommes, l’avocat réclame donc : 533 489 euros, pour un dossier qui « ne présente pas de difficulté juridique » ! L’ordre des avocats, saisi par la mère, exige de ramener cette somme à 72 000 € [tout de même] et condamne l’avocat à deux ans d’interdiction d’exercice. La Cour de cassation vient donc de confirmer la décision de la Cour d’appel qui avait encore baissé la rémunération à 19 200 €, avait également confirmé l’interdiction d’exercice et avait assorti sa décision de ce commentaire : l’avocat a « manqué aux règles de probité, d’humanité, d’honneur, de délicatesse, de modération et de désintéressement constituant les valeurs du serment de l’avocat ».
On pourrait s’insurger contre les délais : la mère a lancé l’affaire en 2007 soit il y a 15 ans ! Mais les délais de la justice, on connaît. Ce que l’on sait moins, sujet tabou, c’est le mode de rémunération des avocats. Ce genre d’affaire permet de lever le voile sur ce secret bien gardé. 10 % d’honoraires sur les dommages-intérêts serait la règle ? Ainsi, cet avocat un peu moins gourmand, en toute légalité aurait pu exiger près de 266 000 euros pour un dossier relativement simple ? Ramené à 72 000 euros, est-ce décent ? Et même à 19 200 euros, est-ce que cela reste conforme « aux règles de probité, d’humanité, d’honneur, de délicatesse, de modération et de désintéressement » ?
[15 mai]
Les hypocrites donneurs de leçons

Vu ce soir, un court instant, une émission de TMC sur l’affaire DSK (arrêté à New-York il y a tout juste 11 ans). C’est cocasse de revoir tous ces hypocrites offusqués à l’époque qu’on puisse s’en prendre ainsi à un homme qui, patron du FMI, s’apprête à être candidat à la présidentielle en France. François Hollande, Ségolène Royal, Jean-Marie Le Guen, Pierre Moscovici, Manuel Valls, Jean-Christophe Cambadelis, BHL, Jean-François Kahn (qui parlera d’un simple « troussage de domestique »), Michèle Sabban (cadre du Parti socialiste) : tous disent être choqués, attestant de l’honorabilité de Dominique Strauss-Kahn. Hypocrites car ils et elles savaient tous qu’il était capable de harcèlement sexuel. En 2009, bien qu’éloigné de ce microcosme, j’avais rencontré lors d’un voyage à l’étranger deux femmes (dont une ancienne députée européenne) qui ne se connaissaient pas et qui avaient témoigné en ma présence du comportement sexuel agressif de cet homme politique. Selon elles, c’était un secret de polichinelle : toutes deux avaient été mises en garde si elles devaient se trouver en sa présence, même en public.
Tous ces personnages, qui ne pouvaient pas prétendre tomber des nues, auraient dû disparaître de la scène politique après cette affaire. Mais ils ont continué à se faire mousser et à donner des leçons tous azimuts. Le journaliste Jean Quatremer avait révélé publiquement (sur son blog) le fait que ce comportement, plus ou moins toléré en France à l’époque, lui serait un jour fatal aux USA : en France, aucun journaliste n’avait réagi sinon pour lui reprocher de rapporter des ragots (Marianne), mais la presse du monde entier s’en était fait l’écho. Stéphane Guillon avait fait un sketch terrible sur France inter en 2009 sur les frasques de DSK [et de PPDA, déjà] ce qui provoquera son éviction de la radio. Quand l’affaire éclate, deux femmes politiques ont une réaction correcte déclarant que l’on doit entendre la souffrance de la victime : Clémentine Autain et Cécile Duflot. Ce serait si reposant si tous ces gens cités plus haut (plus particulièrement Valls, Le Guen, Moscovici et Cambadelis, des très proches de DSK), totalement déconsidérés dans cette affaire, se taisaient, enfin.
[11 mai]
La péroraison du tyran

Lundi 9 mai, je me suis coltiné le discours de 11 minutes de Vladimir Poutine prononcé sur la Place Rouge lors du défilé du 9 mai à Moscou (sur BFM). Les commentateurs ont dit qu’il n’avait rien annoncé de nouveau, qu’il n’avait pas parlé de ʺguerreʺ, mais simplement justifié son "opération spéciale" en Ukraine, sans que l’on sache si c’est parce qu’il y a des nazis à la tête du pays ou parce que l’Occident se servirait de ce pays, jamais nommé, pour agresser la Russie. Il a déroulé sa propagande habituelle qui fait les choux gras de quelques Poutiniens complotistes patentés sur les réseaux sociaux de chez nous. Pour ma part, j’ai été étonné de l’indigence de ce discours : non seulement il n’a pas dit grand-chose sur la victoire contre l’Allemagne hitlérienne, mais encore le propos était décousu, sautant du coq à l’âne, mal construit, jusqu’à donner l’impression que ses feuilles s’étaient mélangées, d’autant plus qu’on le voyait tourner sans cesse les pages d’un cahier, revenir en arrière, hésiter.
Franchement, le discours prononcé la veille par Volodymyr Zelensky, dans les ruines de Borodienka, c’était d’une autre teneur [texte en français : https://bit.ly/3M3mPyP].

[11 mai]
Excitation autour de l’union de la gauche

Quelle ambiance : beaucoup à gauche ne rêvait que d’une chose, une alliance à gauche aux élections. Raté pour la présidentielle, voilà que ça pourrait se faire pour les législatives. Mais quel tohu-bohu ! D’un côté des qui sont prêts à tout brader pour un plat de lentilles, de l’autre des hargneux qui déversent leur rancœur, leurs règlements de comptes, parfois révélant leur vrai visage. Certes, la France Insoumise revendique son leadership (ce qu’aurait fait tout autre parti), mais que de haine déversée. Ce qui est plaisant c’est de voir la droite dure et l’extrême droite s’agiter comme un cabri, ainsi que les Naulleau, Enthoven, autres Goldnadel. Après, il y a des choses qui nous échappent : quand on entend la colère de François Gemenne, qui a été conseiller de Jadot, et qui est un universitaire spécialiste d’environnement et défenseur assidu des migrants, s’étrangler d’indignation dans l’émission de C ce soir [2 mai] à l’encontre de LFI parce qu’il aurait été insulté sur les réseaux sociaux par des militants qui non seulement l’accusent « d’être vendu à Macron » mais aussi « d’être Belge », là on se dit que le débat public prend une sacrée tournure. Devant ces attaques en règle de Gemenne contre Jean-Luc Mélenchon et Sandrine Rousseau, au cours de cette émission, Aurélie Trouvé, présidente du Parlement populaire, reste zen.

Le lendemain (3 mai), dans cette même émission (en général, plutôt de qualité), voilà qu’un aéropage de droite, avant de causer de la droite, est longuement interrogé sur ce qui se passe à gauche ! On avait un politologue, évidemment neutre, Dominique Reynié, de Sciences Po qui donnait son avis averti (sans qu’on nous précise qu’il a été tête de liste sarkozyste aux régionales en Occitanie en 2015), Catherine Nay, toujours prolixe sur la petite cuisine politicienne, lâchant ses semi-scoops des dîners en ville, chroniqueuse d’Europe 1 (mais on s’est bien gardé de dire qu’elle pond aussi pour le magazine d’extrême droite Valeurs actuelles) ; une députée LREM, Laurianne Rossi, critique bien sûr envers les Insoumis ; Franck Louvrier, un proche de Sarko, tout en rondeur, pro-Macron, recevant du « Franck » de la part de Catherine, ânonnant réforme des retraites et « soutien à une écologie de croissance » ! Rien ou presque sur l’Ukraine.

Le Canard enchaîné, qui n’est jamais tendre avec Mélenchon, lui taille un costard dans le n° daté du 11 mai, dans l’article éditorial de première page, étrangement avec des arguments centrés sur les tractations. Mais rien sur le fond.
D’ailleurs, c’est ce que l’on retient des commentaires actuels : rien sur le programme social de la LFI, ou des autres. On cause nucléaire et Europe, certes. Mais rien sur salaire minimum, minima sociaux, pensions de retraite, âge de départ (ou si peu), indemnités de chômage, intermittents... Sur les réseaux sociaux, des commentaires saignants sur la LFI et l’international : pas vraiment sur le non-alignement, mais sur le soutien à Poutine. Critique fondée : l’approbation de JLM à l’égard du despote de Moscou qui a bombardé les résistants à Bachar Al Assad, les populations civiles et les hôpitaux syriens est évidemment inadmissible. Au sein de LFI, beaucoup n’approuvent pas cette position qui fait que des combattants sérieux, sincères, actifs, des droits humains, sont sans concession envers ce parti. Mais les officiels qui tentent de l’attaquer sur ce terrain veillent bien à ne pas rappeler ce qu’ils ont fait eux-mêmes. Quelles mesures ont-ils prises, où sont leurs appels à manifester contre les bouchers du Kremlin et de Damas ?
Enfin, dernière remarque : on a appris que Valérie Rabaut, députée PS, a été contactée pour être première ministre et qu’elle a refusé. D’après les gazettes, elle aurait déclaré : « Ils feront la retraite à 65 ans, c’est contraire à mes convictions », « Je suis élue d’une circonscription rurale, quand je vois les petites retraites des agriculteurs, je ne peux pas défendre un tel texte. » Ayant plutôt une bonne opinion de cette élue, j’ose espérer qu’elle en a dit davantage car estimer que ce qui est contestable dans le programme d’Emmanuel Macron c’est (seulement) la retraite à 65 ans, c’est un peu court. Le PS propose 62 ans, un moyen terme serait alors possible puisque Catherine Nay, dans l’émission citée plus haut, disait que Macron serait prêt à descendre à 63 ans et demi !
[4 mai]
Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook, dans une version quasiment identique, aux dates indiquées entre crochets.

. Musée des Confluences à Lyon : Une certaine image de l'"Indien d'Amérique" [Ph. YF]
Billet n° 678
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.
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