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Billet de blog 28 mars 2022

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Yarmouk, camp palestinien assiégé

« Little Palestine, journal d’un siège », film d’Abdallah Al-Khatib, nous plonge dans le camp de Yarmouk en Syrie, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au monde. Des images fortes où des êtres humains tentent de survivre constamment pilonnés par les armées d’Assad et Poutine. Rencontre avec le réalisateur.

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Le film Little Palestine, journal d’un siège, d’Abdallah Al-Khatib, sorti en salle le 12 janvier, est fort, prenant, émouvant : il nous plonge dans le camp de Yarmouk en Syrie, le plus grand camp de réfugiés palestiniens dans le monde. Construit en 1957, couvrant une superficie de deux kilomètres carrés, il a accueilli des réfugiés chassés de leurs terres (Jaffa, Jérusalem) en 1948, en 1967 et en 1972, étant parfois passés de camps en camps avant de se retrouver dans cette petite Palestine. Ce camp est situé à sept kilomètres de Damas. Jusqu’à un demi-million de réfugiés s’y sont entassés. Ils étaient encore environ 15 000 dans des conditions de vie effroyables, lorsque le régime de Bachar-Al-Assad, avec l’aide de Vladimir Poutine l’a attaqué après que des Palestiniens aient osé manifester leur solidarité avec la révolte populaire qui a embrasé la Syrie à partir de 2011.

Ces réfugiés furent alors pris entre deux feux, d’un côté les bombardements de l’armée syrienne et de l’autre les attaques de l’État islamique. Le film a été tourné par un cinéaste amateur, Abdallah Al-Khatib, 23 ans, né dans le camp, y vivant encore pendant le siège du camp, de 2013 à 2015, tragédie qui a duré deux ans, dans une indifférence générale. Il a engrangé 500 heures de film, réduit pour sa diffusion à une heure et demie. Son document est précieux car il n’y a eu que très peu d’images sur cet enfer et l’Occident a observé un silence quasi-total sur ces crimes contre l’humanité. Les occupants du camp qui ne sont pas morts, tués par les bombes, ont vécu dans une misère effroyable ou sont parvenus à s’exiler. Certains sont morts de faim (un imam a dû décréter que l’on pouvait manger des chiens), ou de froid, mort lente que visaient les assaillants.

Avant le siège, le camp, comme tous les camps de réfugiés, vit dans des conditions plus que précaires. Mais à partir du moment où l’armée syrienne le bombarde, il est privé de tout. Le film ne montre pas les combats, les bombes : il nous donne à voir les effets d’un siège sur une population totalement démunie. Ce camp et ce qu’il subit c’est en quelque sorte le reflet de la Palestine elle-même. D’autres camps ont été détruits en Syrie : si le réalisateur décrit celui-là c’est parce qu’il y était.

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Des graffitis sur les murs proclament : « Vous ne nous exilerez pas de notre camp ». Une mère rêve que celui qui bombarde ne la rate pas. Des immeubles s’effondrent, un hélicoptère lâche tout près son baril d’explosifs. Des blessés, bandages sur la tête, trouvent la force de dire qu’ils ne veulent pas être aidés, ne veulent pas de colis, mais exigent le respect de leur dignité. « On s’habitue au siège comme le prisonnier à l’obscurité ». Et s’est ainsi qu’un piano se retrouve dans la rue et que l’on chante autour du pianiste.

Même si des Palestiniens corrigent leur accent pour bien parler syrien, « Palestiniens et Syriens ne font qu’un », dit un protagoniste. Les Palestiniens attestent qu’ils ont été bien accueillis par le peuple syrien.

Parmi toutes les scènes qui prennent à la gorge, celle de Tasnin, cette fillette qui, dans un pré, dans le camp, ramasse du mouron (considérée comme une mauvaise herbe, mais comestible) pour nourrir sa famille : elle coupe les racines, nettoie les feuilles de la main et enfourne tranquillement la plante dans un sac plastique. Elle aime la vie, mais pas celle-ci. Elle s’exprime avec une incroyable lucidité, elle sourit et dit que ça ne peut être pire. Sa mère ne mange pas, il n’y a pas de lait pour les bébés. Elle dit n’avoir pas peur, alors qu’on entend les tirs au loin, puis un bombardement tout près finit par la mettre en alerte. Elle compte sur « Dieu qui aura pitié de nous ».

LITTLE PALESTINE de Abdallah Al-Khatib - Bande-annonce © Dulac Distribution

Rencontre avec Abdallah Al-Khatib

Le film a été projeté à Ciné 32 (Auch) récemment en partenariat avec l’association France Palestine Solidarité Gers, dans le cadre de la 8ème édition du Festival Ciné Palestine Toulouse Occitanie (du 7 au 15 mars). Abdallah, qui n’avait jamais touché une caméra auparavant ni même vu un film au cinéma, précise : « J’ai voulu documenter le siège. C’était du matériel pouvant être utilisé par d’autres. Je n’avais pas l’espoir de sortir du camp pendant ce siège. J’ai voulu jeter un éclairage sur des événements que les médias ne racontent pas ».

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Des centaines d'habitants du camp de réfugiés de Yarmouk font la queue pour recevoir de l'aide humanitaire [Photo d'archive, prise le 31 janvier 2014].

Durant la projection, on constate que ces personnes, acculées, affamées, vivant dans des conditions épouvantables, conservent leur dignité. Comment filmer l’horreur ?

A cette question, Abdallah répond que lorsque l’on filme des sociétés qui souffrent d’une situation de guerre, en général, on vient de l’extérieur : « moi, je ne venais pas de l’extérieur, je faisais partie du camp. J’ai filmé comme j’aimerais être filmé. C’était important de garder à l’écran la dignité qu’expriment tous ces gens que je filmais ». Abdallah apprécie que les spectateurs aient perçu cette dignité. Il précise qu’il ne voulait pas tomber dans le dramatique, que l’on s’apitoie, ce n’est pas ce qu’attendent ces Palestiniens.

A une question  de la salle, sur l’absence de jeunes filles, il répond avec ironie qu’il faudra voir le film une seconde fois, car les jeunes filles, les femmes sont bien là. Il est vrai qu’en situation de guerre ce sont plutôt les hommes qui sont dans les rues : « en France, on a peut-être oublié ce qu’est une guerre ». Et d’évoquer l’Ukraine aujourd’hui, où un grand nombre de femmes et d’enfants fuient les lieux menacés. A Yarmouk, les femmes étaient présentes, au premier plan.

Abdallah a écrit un texte 40 règles pour vivre en situation de siège, qui lui servent en voix off pour expliquer des choses que l’image ne peut pas montrer. La voix relativement douce permet au spectateur de souffler un peu dans la vision d’un film parfois insoutenable. Il a quitté le camp en 2018 pour rejoindre l’Allemagne l’année suivante. Certaines des personnes filmées sont aujourd’hui au nord de la Syrie, des jeunes sont à Toulouse (ils étaient présents lors de la projection dans la Ville rose le 6 janvier), d’autres sont restés dans le camp comme le vieil homme qui chante à la fin, certains, enfin, sont morts.

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« Bachar a imposé ce siège pour punir la société dans plusieurs endroits en Syrie, comme à Yarmouk, qui ont soutenu la révolution syrienne. C’est un régime dictatorial qui commet des massacres sans raison ». Les Russes et le régime syrien voulaient la suppression de ce camp, qui a été détruit en quasi-totalité. 80 % de ses occupants l’ont quitté puis il a été fermé (il ne restait que 100 à 200 personnes). Depuis le début de cette année, de nouveaux occupants s’y sont installés (autour de 2500).

Le camp était habité pour moitié par des Palestiniens, et l’autre moitié par des Syriens : « je suis né en Syrie, je suis donc Palestinien-Syrien ». C’est pourquoi dans le film on entend que des Palestiniens regrettent que certains d’entre eux prennent l’accent syrien.

Pourquoi l’armée russe est venue soutenir Bachar Al-Assad ? « Parce que le régime russe soutient tous les régimes dictatoriaux sur la planète, car il est lui-même dictatorial. Mais ce que l’armée russe a fait en Syrie n’a rien de comparable avec ce qu’elle fait en ce moment en Ukraine. J’espère qu’elle ne fera pas ce qu’elle a imposé à la Syrie : ce serait une catastrophe. Ce qu’ils font pour le moment c’est le ‘bombardement des Blancs’, s’ils se mettent à faire le ‘bombardement des Noirs’ [des Arabes], ce sera tragique ».

***

Fatima Boughanmi (Ciné 32) et Samir Arabi (programmateur du festival Ciné-Palestine de Toulouse Occitanie) ont traduit, l’une les questions, l’autre les réponses. Abdallah Al-Khatib a dû fuir le camp lorsque celui-ci a été investi par l’État islamique, puis s’est échappé de la Ghouta (quartier périphérique de Damas) récupéré par Assad après avoir été copieusement bombardé, pour arriver en Turquie puis en Allemagne où il a le statut de réfugié. Il avait fait des études de sociologie à l’université de Damas et créé une association d’aide humanitaire qui a agi dans plusieurs lieux en Syrie. Il a participé au film 194. Nahna, Wlad al Moukhayyam (nous, enfants du camp) de Samer Salameh. Little Palestine a été présenté à Cannes 2021 à l’invitation de ACID (association de cinéastes militant pour un cinéma indépendant et pour sa diffusion). Abdalah a d’autres projets de film en tête.

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Samir Arabi, Fatima Boughanmi et Abdallah Al-Khatib [Photo YF]

. On ne peut s’empêcher de penser à Pour Sama (2019), de Waad al-Kateab et Edward Watts, Waad, jeune femme syrienne, filmant Alep sous les bombes. Et aussi à Still Recording, de Saaed Al Batal et Ghiath Ayoub tourné dans Douma (Ghouta orientale), au nord-est de Damas, ville banlieue bombardée : film éprouvant, chargé d’émotion et d’espoir, d’humour même. Lorsqu’il a été projeté à Ciné 32 (Auch), une liaison Skype avait été établie avec Saaed, en direct de Berlin le 2 avril 2019. Il avait alors confié que plusieurs participants au film, y compris deux cameramen, avaient été tués dans cette ville martyr qui n'aspirait qu'à la liberté. Le siège de la ville a cessé lorsque la police militaire russe l'a envahie, juste après qu’elle ait subi une attaque chimique au chlore.

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Billet n° 669

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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