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Billet de blog 31 mars 2022

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Démocratie active : la rotation des élus

Une association politique, basée à Auch (Gers, Occitanie), défend des valeurs sociales et environnementales. Elle a obtenu deux élus aux municipales de mars 2020. Au nom d’une démocratie active, non seulement les dossiers sont travaillés collectivement, mais les élus démissionnent après deux ans afin d’être remplacés par les suivants de la liste.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aux élections municipales de 2008, des citoyens motivés à gauche de la gauche avait soutenu une liste de l’association Alternative Rouge et Verte (AREV32), qui obtint 9,19 % des voix au premier tour. Malgré des désaccords, les têtes de listes décidèrent de fusionner pour le second tour avec la liste PS-PC, qui emporta l’élection.

Illustration 1
Hôtel de Ville d'Auch, jour de manif [Ph. YF]

Six ans plus tard, deux membres d’AREV32 décidèrent, au titre de cette association, de rejoindre la liste de la majorité sortante. Ne voulant pas renouveler l’opération qui avait été mal vécue, des membres du Parti de Gauche, d’Ensemble ! et des non-encartés, décidèrent de constituer une liste commune (soit 35 candidats, nombre de sièges à pourvoir pour une ville de près de 22 000 habitants). De leurs côtés, les candidats du PC et des Verts obtenaient de la majorité PS des promesses de postes et délégations au conseil municipal et à la communauté d’agglo. Comme il n’était plus possible d’afficher une liste Front de Gauche (qui aurait supposé la présence du PC), alors les autonomes, souvent n’adhérant à aucun parti, décidèrent de monter une liste… L’Alternative le Front de G’Auch ! Un membre du PC dissident rejoignit cette liste. Les frais de campagne furent assurés par des militants locaux sur leurs propres deniers, par le mouvement national des Alternatifs rouges et verts (AREV) et par la Gauche anticapitaliste (GA). Le but était d’emporter les élections, et si ce n’était pas le cas, il n’était pas question de faire fusion avec la liste majoritaire du premier tour.

Rotation des élus

Lors de l’élection de mars 2014, le programme de L’Alternative le Front de G’Auch, axé sur le social et l’environnement, reprend pour partie ce qui avait été défini en 2008. La France Insoumise ainsi qu’Ensemble !, au niveau national, soutiennent la liste qui obtient 8,66 % des votants (734 voix). Jean-Luc Mélenchon vient à Auch et, lors des discours salle des Cordeliers, Joëlle, tête de liste, laisse entendre qu’elle ne fera pas la durée du mandat, et qu’il faudra se relayer. Elle est seule élue et émet l’idée d’une rotation au bout de deux ans, partant du principe que siéger ainsi dans un conseil municipal c’est formateur. Par ailleurs, l’acceptation de la charge est plus facile, moins stressante en sachant que cela sera pour une durée limitée, quitte à se donner à fond pendant ce temps. A chaque conseil municipal, une dizaine de militants, qui ont préparé avec elle les argumentations sur les dossiers, sont présents dans la salle, progressivement réduit à une poignée de 5 ou 6. Au bout d’un an, elle demande à être remplacée et c’est José* qui lui succède. A partir de là, le rythme est pris : chaque année, en intercalant homme et femme, un ou une suivante de la liste la représente au conseil municipal. Après José, Sophie, puis Damien, puis Christiane et enfin Marc jusqu’en 2020. Cette pratique, appelée rotation, tourniquet, démission, remplacement, c’est selon, est rarement appliquée dans un conseil municipal. Elle l’a été pour des élus régionaux ou européens, mais peu aux élections locales sinon à Saint-Nazaire et à Bouguenais [voir en annexe].

Illustration 2

En février 2020, l’association L’Alternative, le Front de G’Auch présente à la presse sa liste pour les prochaines municipales. Cette liste a le soutien d’Ensemble !, mais ses candidats résolument de gauche ne sont pas encartés. Aucun homme et aucune femme providentielle : la démarche consiste à mettre en avant un ensemble de personnes. Ainsi, une affiche est confectionnée qui assemble plusieurs éléments des visages des candidates et candidats. Tous les membres de cette liste Auscitain.es solidaires et responsables sont engagés déjà sur le terrain, ils et elles ont fait leurs preuves concrètement, au quotidien (et sont connus pour cela) dans la lutte pour un monde meilleur, socialement, écologiquement et fraternellement.

Leurs objectifs, face aux enjeux environnementaux et sociaux, consistent à instaurer dans cette ville une démocratie active et citoyenne, un urbanisme cohérent et respectueux de l’environnement, à construire des liens de proximité en s’appuyant sur le tissu associatif, à veiller à ce que l’eau soit un bien commun accessible à tous, à favoriser l’accès à des  soins de qualité, à accompagner les enfants vers une prise de conscience éco-citoyenne, à élargir l’offre culturelle, à être accueillant pour toutes les populations, à freiner l’étalement urbain et à revitaliser le centre-ville, à favoriser l’économie circulaire, à soutenir l’occitan de Gascogne (non pas « anecdote patrimoniale mais point de vue supplémentaire sur le monde »).

Cela passera par des projets concrets : conseils citoyens, Référendums d’Initiative Citoyenne locaux, centre de santé municipal, guichet unique social, dispositif d’accueil des migrants, végétalisation de la ville, réduire les espaces publicitaires, pistes cyclables, bus gratuits, régie municipale pour l’eau, rénovation des logements, soutien aux filières paysannes locales et bio, valoriser les déchets, lutte contre le gaspillage alimentaire, police de proximité (et non pas vidéo-surveillance), monnaie locale complémentaire, ferme urbaine, jardins partagés, etc.

Illustration 3
Liste L'Alternative le Front de G'Auch de mars 2020 [21 présents sur la photo sur 35]

Tous sont hantés par une « peur bleue », celle de rester trop longtemps en poste, d’y prendre goût, comme tant d’autres dans les fonctions électives, conduits à accepter des compromis et à ne plus avoir envie de décrocher. Crainte d’être « piégés » ou au contraire de se radicaliser suite à la difficulté d’être entendus et au fait que les projets soutenus par la liste ne se concrétisent pas. Chacun reste actif dans l’association dans laquelle il ou elle milite. Chaque semaine, une réunion rassemble au local des Alternatifs une dizaine de citoyens et citoyennes, soutiens de la liste, pour étudier les dossiers (avec la présence d’enseignants, de soignants, de travailleurs sociaux  pour approfondir certains dossiers par exemple), préparer les conseils municipaux et les conseils d’agglo, rédiger le texte à paraître dans le bulletin municipal trimestriel, assurer le tuilage lors d’un remplacement. Soit, sur 35 semaines/an, sans doute 210 réunions en six ans. Il s’agit non seulement de travailler sur des dossiers descendants, portés par la majorité mais aussi ascendants, ceux que les Alternatifs veulent voir aborder (sur l’eau, les transports, les pistes cyclables, les panneaux photovoltaïques, etc). Chacun travaille plus précisément des sujets qui lui tiennent à cœur, constitue des dossiers documentés. Celles et ceux qui ont siégé jusqu’à ce jour étaient et sont : universitaire, informaticien, médecin anesthésiste-réanimatrice, artisan secteur énergie, ancienne institutrice, technicien, professeur de lettres, médiatrice sociale. La documentation peut provenir de proches, d’amis, de militants, du mouvement national des Alternatifs, ou de formation en ligne (MOOC). José, qui était informaticien à la Sécurité sociale, a expliqué à tous, de façon très pédagogique, comment se lit un budget. Ce travail préparatoire est perçu par les autres élus, plusieurs me l’ont confirmé.

Illustration 4
Damien lors de l'installation du nouveau conseil municipal le 28 mai 2020 [photo extraite de la vidéo de la séance sur YouTube]

Annabelle, arrivée sur la ville en 2016, a beaucoup apprécié après l’élection de 2020, d’être avec Damien, qui avait déjà fait une année de mandat (en 2017) et d’être épaulée par les études faites avec le groupe, dont plusieurs membres assistent aux séances du conseil municipal parmi le public. Bien sûr, le statut de chacun ne permet pas le même investissement, selon que l’on est en activité ou retraité. Une retraitée me confie qu’elle n’aurait jamais pu s’investir comme elle l’a fait si elle avait été encore au travail. L’une dit qu’elle a aimé cette fonction, gratifiée par le fait que l’investissement était reconnu : certains autres élus (qui n’assistent pas toujours aux commissions dont ils sont membres) s’étonnant d’un tel travail accompli alors qu’ils et elles ne perçoivent aucune indemnité. Car les deux élus actuels, salariés par ailleurs, sont membres de toutes les commissions, de la ville et de l’agglo et essayent d’assister à environ 70 % des réunions. Auparavant, une élue retraitée participaient à toutes les réunions. Précisons qu’avant chaque réunion du conseil municipal, il peut y avoir une dizaine de commissions préparatoires, où il importe de porter une parole citoyenne, et non de prendre pour argent comptant ce que les techniciens apportent comme éléments.

Le bilan

Le bilan de la première mandature est le suivant : siéger un an seulement c’est trop court. Il y a six réunions du conseil municipal sur l’année. Donc la démission se produisait quand l’élu·e commence à être plus à l’aise quant à l’exercice de la fonction et à la compréhension des enjeux. C’est la raison pour laquelle, le délai a été rallongé, les élus de mars 2020 ont démissionné en février 2022 (sachant que la période a été particulière avec la crise sanitaire compliquant le travail municipal, les échanges, les préparations, sans oublier que, contrairement à la loi, le conseil se réunissait sans public, couvre-feu oblige).

Malgré cette unité, il n’empêche que l’élu·e n’est pas tenu de défendre une position qu’il ne partagerait pas. Cela s’est déjà produit, par exemple à propos de la taxe incitative (selon le principe pollueur-payeur) lorsque la question a été abordée en assemblée de l’agglo, car il y avait divergence de vue sur le sujet.

Illustration 5
Le 4 mars 2020, une centaine de personnes sont réunies salle des Cordeliers autour des 4 têtes de listes aux municipales d’Auch à l’initiative d’Alternatiba. Restitution après des travaux de groupes sur les thèmes : déchets, alimentation agriculture, mobilité et démocratie participative. Après une bonne heure de débat, chaque tête de liste a conclu par un court exposé au pied levé déroulant ses conceptions sur les thèmes abordés, en particulier sur la démocratie participative, que les uns appellent « coopérative », les autres « vivante », mais tous s’engagent à ce qu’elle soit soutenue lors de la mandature à venir. Ici Damien au micro. Les autres têtes de liste sont au premier rang, dont l’actuel maire. [Photo YF]

Quand j’interroge quelques anciens élus sur la personnalisation, tellement présente en politique, sur laquelle repose souvent la réussite électorale (charisme, sympathie, serviabilité ou le contraire), ils et elles me répondent que beaucoup d’élus « en face » ne portent rien : « la différence est que nous portons une parole plurielle, alors qu’eux portent une parole verticale, quand ils s’adressent à nous, ils savent qu’ils s’adressent à un groupe ». Les élus traditionnels sont très axés sur la démocratie représentative, la légitimité ne découle que de l’élection. Pour eux, si on n’est pas élu, ou si on n’est plus élu, on est rien, ou pas grand-chose. Ils sont tellement inscrits dans ce système qu’ils ne peuvent concevoir autre chose. S’il est proposé de rencontrer des citoyens, qui ne sont pas élus mais pourraient avoir un avis sur un dossier à l’étude, il n’en est pas question. Les raisons sont multiples, mais cela évite certainement de compliquer les choses, tout en conservant l’exclusivité de la décision à celle ou celui qui a été élu en bonne et due forme, question d’égo.  

On pourrait opposer à cela la mise en place du Conseil de Développement Local, mais il a été une initiative des élues EELV (et les Alternatifs avaient pour projet des conseils citoyens) : le collège citoyen est composé de 30 volontaires (tirés au sort parmi des candidats qui se sont faits connaître ou qui ont répondu à un courrier adressé à 1000 personnes tirées au sort sur les listes électorales). Le principe a été retenu par la majorité PS, car cela sert sa communication, puisque les avis donnés par le CDL ne portent que sur des sujets descendants, sans qu’il puisse être force de propositions.

Illustration 6
Emmanuelle Charrier et Sébastien Lacoste remplacent Damien Domenech et Annabelle Le Bouc, février 2022 [Ph. YF]

Du côté de la population, ce n’est pas simple non plus : en effet, des élus alternatifs ne se considèrent pas comme des hommes ou femmes politiques mais comme des citoyens militants. Damien considère qu’il y a plusieurs façons de militer pour l’égalité sociale et la défense de l’environnement : la « cause » peut être défendue en agissant au sein d’associations, en soutenant financièrement des actions ou bien en se présentant à des élections locales. Opter pour la vie active au sein d’un organe de décision communal ou intercommunal ne relève en rien d’une recherche de notoriété, totalement étrangère à ses aspirations. Il s’agit d’un « engagement désintéressé », en phase avec « le fonctionnement totalement horizontal et collégial de notre mouvement et en dissonance avec le fonctionnement de la démocratie représentative ».

Or, très vite ces élus, qui ne sont que les membres d’un collectif, les défenseurs d’une cause, se sentent perçus par d’autres militants associatifs comme ayant basculé dans l’arène politique, investis d’un fonction tribunicienne. Alors on attend d’eux qu’ils s’investissent au-delà du travail important qu’ils ont à mener au jour le jour dans le cadre de leur mandat. Par exemple, lors de l’occupation des lieux de culture l’an dernier, occupation active qui a duré plusieurs mois et a mobilisé une centaine de personnes, les élus de la liste alternative ne sont pas venus, ce qui leur a été reproché. Mais cette attente relève d’une ambiguïté : l’élu, dans cette conception de démocratie active, n’est pas en représentation. N’importe quel soutien, sympathisant de cette liste pouvait « représenter » la liste auprès des intermittents en lutte. Damien précise : « Tous ceux qui se battent pour la cause peuvent jouer ce rôle. Penser représentativité, penser ʺhiérarchieʺ c’est justement ce que la cause combat. Et c’est parce qu’il y a ce schéma installé qu’on voit un élu comme une persona non grata  par moment ».  

Autre exemple, les associations ne se saisissent pas vraiment de cette présence militante au sein de l’assemblée municipale. Par exemple, quand il y a eu contestation de la zone d’activités (ZA) de Naréous, les associations qui se sont mobilisées n’ont pas voulu signer un texte qui aurait été reproduit sur la page des élus alternatifs dans le bulletin municipal, comme si ces derniers étaient plus ou moins assimilés à la municipalité.

Illustration 7
Avant les élections de mars 2020, et quelques jours avant le confinement, débat à Auch (Gers), salle du Mouzon, en présence d’une assistance nombreuse sur la question des déchets, de l’eau et de la situation à l’hôpital public. En présence de Myriam Martin, conseillère régionale (Ensemble/France Insoumise) [Ph. YF]

Quelle information à la population ?

Manifestement, cette pratique de démocratie active est peu connue de la population : d’une part, il s’agit d’une liste minoritaire, d’autre part le groupe n’a pas été très battant pour faire connaître son fonctionnement. C’est un peu comme s’il s’agissait d’une modalité interne, alors même que c’est une question de fond. La raison est que le groupe et les élus, si actifs qu’ils soient dans la coulisse, manquent de temps pour populariser. Pourtant, en février 2020, une centaine de personnes se sont rassemblées à l’occasion de la présentation des 35 candidats et en vue de débattre de diverses questions. Sous forme de boutade, Damien précise que tous les lundis soirs, il y a de la lumière au local rue Victor Hugo…, chacun peut passer pour prendre des nouvelles et donner son point de vue.

Illustration 8
Local des Auscitain.es solidaires et responsables [Ph. YF]

Entre autres sujets ayant mobilisé les élus alternatifs : les caméras de surveillance, qu’ils ont contestées, car à la mode mais inefficaces (un coût de près d’un demi-million alors même que des grandes villes en reviennent et que cet argent serait mieux utilisé par la création de postes) ; la nouvelle zone commerciale dont l’intérêt n’a pas été démontré mais conçue juste pour laisser la trace d’élus prétendument « bâtisseurs » ; la dénonciation, avec les Amis de la Terre du Gers, de l’état obsolète de l’usine de production d’eau potable, qui est ancienne (92 ans), incapable de filtrer certaines molécules issues de pesticides, et qui finalement sera remplacée par une nouvelle en 2025, avec une gestion publique comme réclamé par ces mêmes élus alternatifs.

Si « c’est une belle expérience humaine », comme le dit l’un d’eux, c’est aussi « très usant ». La question est posée : repartiraient-ils dans cette aventure ? Les avis sont incertains. Plusieurs expriment « la frustration de ne pas être aux manettes », « d’avoir une parole qui ne porte pas » et finalement « d’être toujours dans l’opposition ». Mais à la question de savoir si les élections municipales devaient avoir lieu dans les prochains jours, plusieurs sont partants (et à condition qu’il y ait rotation aussi pour la tête de liste). La majorité a emporté l’élection en mars 2020 dès le premier tour, mais qu’en aurait-il été s’il y avait eu un second tour ? Là, il y avait divergence : les uns étaient prêts à s’allier, les autres opposés à tout compromis. Une troisième voie aurait été une fusion technique, avec plus d’élus, plus de poids mais sans accepter des postes d’adjoints.

Avis des autres élus :

Les élus alternatifs m’ont confié qu’ils et elles se sentaient respectés par les autres élus, écoutés. J’ai interrogé quelques-uns de ces derniers. L’un reconnaît que c’est « une belle image ». Certains, ne bénéficiant pas de cette solidarité de groupe, se sentent bien seuls pendant leur mandat. Une élue Europe Écologie Les Verts (EELV), Sylviane B., membre de la majorité municipale, considère que ce système de rotation permet certainement de se former au travail municipal quand on est dans l’opposition. Il en est différemment quand on appartient à la majorité, ces changements répétés étant peu envisageables. « Un mandat d’un an parait trop court, deux ans c’est bien ». Elle n’a jamais entendu quelqu’un se plaindre de ce dispositif. Au bureau du CDL, siègent trois citoyens et trois élus (dont un membre, tournant, des Alternatifs). Faire participer au mieux les citoyens à la vie publique c’est une bonne chose dans un contexte de désaffection envers le politique. La majorité municipale, de gauche, est ouverte à ce genre d’expérience mais il est possible qu’une municipalité de droite, sans pouvoir l’empêcher, aurait mis des bâtons dans les roues à ces remplacements répétés.

Patrick F., un ancien élu radical de gauche, a perçu que les élus alternatifs étaient sérieux, avaient toujours étudié les dossiers, et s’exprimaient avec aisance. Cette formule est intéressante, « ce n’est que bénéfice ». Ceux qui remplacent ont déjà travaillé sur les dossiers, ceux qui s’en vont sont encore là pour préparer les séances du CM, ainsi la continuité est assurée. On peut imaginer qu’il y a une frustration, car des liens d’amitiés s’instaurent, ainsi que des compétences.

Christian Laprébende, maire, souhaite la participation des citoyens (d’où le CDL) et de ce fait jette un regard intéressé à un système qui a un côté pédagogique, formateur. Cela permet à un plus grand nombre de citoyens de mesurer ce qu’est la réalité de la gestion d’une ville. Le problème est qu’il est difficile de mener une action à son terme, de peser sur les décisions à prendre. Quand un nouvel élu arrive, il faut l’informer et le former. Parfois, manquant de recul, ils ou elles posent des exigences excessives. Mais le maire reconnaît que, manifestement, ils travaillent beaucoup avant les instances et que « leur investissement est remarquable ». Il n’y a pas de rupture lors des remplacements car ils travaillent en équipe et ceux qui ont démissionné viennent assister aux séances du conseil municipal pour encourager leurs collègues.

La loi ne suit pas :

Illustration 9
Salle des illustres où se déroule habituellement le conseil municipal [Document auch-tourisme]

Le Code électoral prévoit en son article L270 que c’est le suivant de la liste (telle que déposée en préfecture) qui remplace un élu démissionnaire dont le siège est devenu vacant. Si le suivant ne peut siéger, alors c’est le suivant jusqu’à épuisement de la liste. La législation ne prévoit aucune cause justificative : quelles que soient les raisons, la démission est acceptée (sauf, évidemment, si elle n’est pas volontaire). En conséquence, appliquer cette disposition dans un but de démocratie active est tout à fait légal. Personne à Auch n’a jamais reproché à ces élus de procéder ainsi. Le maire, Christian Laprébende, me dit qu’il en prend acte et n’a pas de raison de s’y opposer.

Le problème rencontré par ces élus est que la représentation à l’agglo suppose (compte tenu des règles de la parité) qu’elle soit occupée par une personne du même sexe : quand en 2015, une femme a démissionné, l’homme la remplaçant au conseil municipal ne pouvait pas siéger également à l’agglo (il fallait que ce soit une femme). Aujourd’hui, la tête de liste ayant été un homme (et la liste n’ayant qu’un élu à l’agglo), une femme ne pourra pas siéger à l’agglo. C’est une sorte de revers de médaille des dispositifs mis en place pour permettre l’égalité politique hommes-femmes.

Par ailleurs, une suivante de la liste qui acceptait de prendre le relai, élue en toute légalité en 2020, se voit interdite de siéger par le Code électoral parce qu’elle n’habite plus le chef-lieu (où elle travaille toujours) mais réside désormais dans une commune tout proche, relevant pourtant de la communauté de communes du Grand Auch, interdiction qui porte atteinte à la notion de bassin de vie.

Élections municipales à Auch mars 2020

 (dans le contexte du premier confinement instauré le lendemain) :

. seuls 37 % des inscrits ont voté. La liste qui a été élue dès le premier tour avec 55,58 % des exprimés n’a obtenu que 19,94 % des inscrits. Une liste sans étiquette a obtenu 19,81 % des exprimés, une autre soutenue par LREM, Modem et Génération Écologie 13,13 % et nos Auscitain·es solidaires et responsables 11,48 %... soit 584 voix.

Site des Auscitain.es solidaires et responsables : ici:

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Ailleurs :

À Saint-Nazaire, une liste Label Gauche obtient quatre élus en 2008. Le principe de la rotation est inscrit dans son programme (sans engagement écrit des candidats), mais au bout de deux ans, un seul démissionne, les trois autres refusent souhaitant suivre jusqu’au bout les dossiers qu’ils maîtrisent (voir article de Reporterre : La rotation des mandats : une belle idée, difficile à appliquer). Le remplaçant respecte le principe et démissionne lui-même au bout de deux ans.

À Bouguenais (44), une liste du collectif Bouguenais Agir Solidaires a fait 27,14 % des votants (au second tour), obtenant 4 sièges aux élections de 2014. Au cours de la mandature, deux élus ont démissionné tous les deux ans. En 2020, ce collectif se fonde dans un mouvement citoyen plus large, BASE (Bouguenais Avenir Solidaire Écologique) puis au second tour avec la liste dirigée par un communiste (Gauches écologistes et solidaires), ce qui n’empêche pas cette ville, de gauche depuis 1971, de basculer à droite et au principe de rotation de devenir caduc. Les Verts au Parlement européen ont appliqué le principe de « tourniquet » en 1989, ce que le RPR avait fait en 1979, Jacques Chirac en tête, dans le but non dissimulé d’affaiblir les institutions européennes. Les Verts l’ont appliqué également en région après les élections de 1992.

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Illustration 10
José Jorge, le 17 septembre 2016, au guidon d'un vélo-taxi [Photo YF]

* José Jorge, le deuxième de la liste à occuper la fonction d’élu, en 2015, était un militant très actif, efficace, dévoué, apprécié, « roi de la débrouille » (compétent en informatique, il conseillait tout le monde). Il a été tué en septembre 2020 ainsi que son fils Alban (16 ans) alors qu’ils circulaient tous deux à vélo à la campagne, percutés de face par une voiture. José, parmi ses engagements, avait justement celui de lutter pour une place du vélo dans la cité en toute sécurité et participait activement à Auch à une action militante régulière regroupant de nombreux cyclistes effectuant un parcours dans la ville, encadrés et protégés par les polices nationale et municipale. Cette action, Vélorution, qui réclame des pistes cyclables dans la ville, se poursuit désormais en hommage à José et à Alban.  

Illustration 11

Billet n° 670

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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