Précise et concise, comme dans ses billets, ses commentaires. Marielle Billy répond à son tour au questionnaire adressé à 16 abonnés pionniers de Mediapart... pionniers et toujours présents à l'heure de fêter ces cinq ans passés ensemble.
Si vous étiez un autre abonné?
Je serais volontiers Gaëtan Crouzillas, qui a rédigé jusqu’en novembre 2012 de tout petits poèmes, sous l’intitulé L’école du lien. J’aime particulièrement cette façon furtive d’apparaître, de laisser trois ou quatre lignes énigmatiques, sans jamais se manifester autrement.
Si vous étiez un article ?
Voici l’article qui revient spontanément à ma mémoire : ce sont les lignes d’Hugo Vitrani sur le peintre Dado, fin novembre 2010, rédigées à l’occasion de sa mort. J’ai aimé cette façon de rendre hommage à « ce petit homme solitaire, sorti des montagnes du Monténégro », j’ai aimé la douceur des lignes de Vitrani qui a fait surgir sur mon écran un homme en bataille permanente, une puissante nécessité de peindre. Et c’est aussi une façon de rendre hommage à un article qui n’a eu que 16 commentaires…
Si vous étiez un billet ?
C’est un de ces billets dont Fédor a le secret : ici un texte de Hank Breuker, écrit dans la nuit qui suivit la mort de Joseph Delteil, le 12 avril 1978. Accorder toute son attention à ce qui ne se voit pas, ne s’entend presque pas – le chuintement d’un mot trouvé, le mot modeste. Une respiration au milieu du bruit, un horizon.
Si vous étiez un troll ?
Comment vouloir être ce que j’ai toujours considéré comme une broutille, un facteur d’excitation à deux sous ! Si je me force un peu, je serais bien le troll au silence assourdissant des billets où l’on bataille ferme et puis qui disparaissent, comme fétu de paille sur l’eau.
Si vous étiez un commentaire ?
Je vais citer un extrait de commentaire de Salah Guemriche, dont je regrette beaucoup qu’il soit “ passé au gris ”, avec disparition de son blog. Dans un billet de décembre 2011, intitulé Etre lecteur, contributeur sur Mediapart: le virtuel peut-il devenir réel?, j'avais écrit cette phrase: « Ce n'est pas une injonction que je formule, mais une simple invitation ». « Si je peux me permettre », a répondu Salah Guemriche, « je crains qu'il ne faille ni "injonction" (le réflexe MDP y est revêche) ni "invitation" (l'être MDP y voit toujours anguille sous roche), mais carrément : défi. Mettre au défi de. De traduire une parole en acte.»
Si vous partiez en reportage, où iriez-vous ?
Je retournerais en Iran et plus particulièrement à Ispahan, sous les voûtes du pont Khadju, qui enjambe le Zayadeh (désormais à sec tout l’été) : là, j’interrogerais ces hommes qui se tiennent à l’ombre et, régulièrement, chantent ou disent un poème. Je chercherais à mieux comprendre la place que tient la poésie dans la vie de tous ces gens simples, car c’est une des choses qui m’a le plus frappée en Iran.

De la même façon, j’irais à la rencontre de tous ces Iraniens qui, le vendredi, vont pique-niquer autour des mausolées des poètes persans…
Si vous vouliez faire une interview, qui iriez-vous rencontrer ?
A la suite de ma virée à Ispahan, je retournerais ensuite à Téhéran pour interviewer Jafar Panahi et lui reparler, entre autres, d’un des ses films, Le Miroir. Mais je chercherais aussi à comprendre quel est son fonds poétique personnel, et quelle force le nourrit. Je lui demanderais de me parler de son dernier film, montré au Festival de Berlin et récompensé par l'Ours d'argent du meilleur scénario, Closed curtain : huis clos schizophrène, tourné avec une équipe réduite, qui évoque les états d'âme et les interrogations existentielles de Jafar Panahi, sa dépression autant que de ses envies suicidaires vécues lors de son assignation à résidence chez lui, et son aspiration à filmer.
Si vous changiez quelque chose à Mediapart, ce serait ?
Je donnerais plus de place à l’échange avec les lecteurs. Je mesure que les journalistes ont un rythme de travail effréné, mais je pense qu’il nous faut chercher (et pas qu’à Mediapart) comment tisser davantage d’échanges. Je me préoccupe de tous ces territoires, tous ces gens dont on est coupé. Ce serait par exemple une manière de trouver une suite concrète au travail de Rachida El Azzouzi : une université d’été dans un lieu ignoré des médias, un de ces espaces où vivent des gens « sans parole ».
Mediapart, un réseau ?
Mes rencontres ? Quelques personnes rencontrées deux ou trois fois, mais surtout le petit groupe qui a fondé CAMedia avec qui j’ai un grand plaisir à travailler, à tisser des liens afin de réaliser chaque année nos Rencontres. Nous pouvons ainsi créer, à notre petite mesure, des moments riches tant sur le plan intellectuel que relationnel. C’est pour moi une des suites logiques de mon souci permanent : passer du virtuel au réel.
Vos habitudes sur Mediapart?
Je butine sur Mediapart tôt le matin et le soir. Certains jours assez assidument, et parfois très peu. Je consulte la Une, et je fais un choix. Je ne lis pas beaucoup tout ce qui concerne les « affaires », sinon je lis un peu de tout, et suis aux aguets des articles sur l’étranger et sur l’art – je ne lis pas beaucoup tout ce qui concerne la vie politique française (sentiment de ronds dans l’eau). J’apprécie beaucoup les articles construits autour d’interviews.
J’écris mes billets très souvent très tôt le matin, je ne laisse que peu de commentaires sur les articles très commentés ; et sur le club, j’essaie de limiter mes commentaires à peu de fils, afin de prendre le temps de rédiger au plus juste ce que je pense, ce qui me prend du temps.