Place de Jaude, Clermont-Ferrand, samedi après-midi, onzième jour du douzième mois de l'année; du monde, beaucoup du monde pour cet après-midi ensoleillé qui chauffe les corps plus ou moins emmitouflés, facilitent les stations debout prolongées ! Des passants de part et d'autre de cette place centrale se dirigent vers une boutique ou le centre commercial pour les consommations de fin d'année, d'autres attendent le tram dans un sens ou un autre, au rythme des passages. Sur la place plusieurs barnums dont celui d'Amnesty International qui halent les chalands, distribuent tracts, proposent une signature au bas de nombreuses pétitions. Près de la statue de Vercingétorix, peu à peu se rassemblent ceux et celles qui ne veulent pas de la vaccination estimée plus dangereuse que ce satané virus qui tue et plus encore divise profondément une société déjà bien divisée et malmenée, bien au-delà de nos frontières. Un peu plus tard, ils défileront derrière une banderole des plus explicite avec son QR Code géant, avec une main au majeur dressé, dans une masse compacte et bruyante portant le masque pour quelques rares individualités.
Face au cinéma, côté place, un barnum est installé, celui du Collectif AESH63 pour une nouvelle action après celle du 19 octobre *, action locale cette fois, avant éventuellement une nouvelle action nationale, fin janvier. Il est soutenu par les organisations syndicales du champ de l'Education Nationale, Snuipp63-FSU, Snes-Fsu, Sud Education 63-Solidaires et CGT Educ'action. FO, pour sa part, a préféré lancer son « Comité AESH » dans son giron. Nous connaissons leurs revendications : formations initiale et continue, un vrai statut, un vrai salaire Elles vont pourtant dans le sens du service publique de l'Education Nationale qui prendrait les moyens de sa politique de scolarisation inclusive.
Je ne sais si vous avez regardé sur FR3 le 29-11, toujours en replay, le documentaire de Karine Morales sur « Les Reines du Palace », ces femmes de chambre hyper-compétentes et combatives qui ne laissent pas traîner un cil dans le lavabo de la suite à 16 000€ la nuit et se sont battues trois mois pour obtenir gain de cause sur la majorité de leurs revendications, d'abord combattre le mépris, l'indifférence autant que l'exploitation invisible dont elles étaient (ne le sont-elles plus ?) objets interchangeables et méprisées. Bosse vite et tais-toi.

Les AESH en sont là. Ce sont les exploitées de l'inclusion, invisibles et essentielles, payées au-dessous du seuil de pauvreté par l'entourloupe du temps partiel qui devrait être payé au temps complet de 35h. Les récits recueillis ne laissent aucun doute : ce dont elles souffrent d'abord c'est cette invisibilisation de leur travail pourtant essentiel, celui qui permet, parfois en prenant des coups, de réussir des inclusions problématiques et toutes les autres ; c'est cette façon de les traiter, provocatrice ou insidieuse, surtout ne pas parler trop haut, trop fort, faire allégeance, passer après, attendre un tour qui ne vient qu'après tous les autres, demander et n'obtenir aucune réponse sinon un apitoiement qui ne renvoie qu'un sentiment de condescendance ou de mépris pour le petit boulot de ces petites mains... hiérarchie, inspection académique mais parfois aussi d'autres personnels au sein des établissements. Il n'est pas aisé de se faire entendre, de faire entendre sa voix, ses revendications, quand on est si essentielles et si marginalisées. Souvent (toujours ?) d'autres questions avant qui peuvent paraître plus importantes dans cette Education Nationale malmenée par un ministre et ses réformes à la hussarde, à la tronçonneuse, les poursuites menées contre les éléments revendicatifs, l'offensive Mac-carthyste contre les séditieux fantasmés, contre les libertés académiques... Bref pas évident d'être la dernière roue du carrosse vermoulu de l'Education Nationale.

Des accidents de travail dans la classe pour quelques désagréments que vous n'aimeriez pas
Une quarantaine de militant·es AESH et syndicalistes, quelques étudiant·es ont tenu à être là pour visibiliser ce combat qui engage plus que ces personnels. Des parents également qui nous ont dit leur angoisse du remplacement qui ne vient pas et la relation privilégiée avec « leur » AESH. On se prend à rêver que tous les parents des enfants « inclus » se donnent rendez-vous sur cette place pour exiger les moyens de cette inclusion. La solidarité est cet intérêt commun, parents, AESH et professeurs qui permet aux uns et aux autres d'assurer un service public majeur dans l'accueil profitable à tous les enfants et jeunes.
Marie-Hélène travaille en ULIS, une école ordinaire au sein de laquelle la classe ULIS pour enfants reconnus handicapés vont, pour la plupart, dans les autres classes de l'école à certaines heures ou séquences pédagogiques . Dans cette école, sur six AESH, trois sont en congés, une pour maladie, deux pour accidents du travail pour trois et six semaines. Dans la vidéo, Marie-Hélène précise ce que beaucoup ne soupçonnent pas, les coups reçus ou évités qui ont motivé un signalement de danger grave pour le personnel et les élèves, sans résultat autre que : "Vous assumez avec trois au lieu de six !" Ecoutez-la attentivement pour ces deux minutes fortes.
Elle poursuit : « Dans mon établissement, quand un élève autiste est en crise on l'emmène dans une « cabane » : l'initiative de la cabane c'est le SMAPS (Service municipal d'accueil périscolaire), les animateurs se sont retrouvés avec des incidents durant leurs temps de travail : entre midi et deux et en dehors des horaires scolaires. Il y a eu de gros problèmes notamment entre midi et deux avec trop peu d'AESH donc animateurs requis. Il y a une salle encore libre, aménagée spécialement comme un cocon, on ferme les rideaux et on met l'élève dans un coin douillet avec une musique douce pour le calmer, on s'occupe de lui, on lui donne un timing. A la fin, on peut penser qu'il va mieux et qu'il peut sortir. Mais parfois ça ne fonctionne pas bien et à la sortie un élève a frappé violemment une AESH dans le dos. Celle-ci avait un dos fragilisé et se retrouve en arrêt de travail.»

La formation : pas besoin !
La variété des handicaps, des degrés de handicaps, des spécificités personnelles de répercussions de ces handicaps sur le plan physique et mental est telle que le travail est du sur mesure demandant une très grande adaptation à la personne et ses moments, au contexte de la classe, aux moyens humains et matériels du jour. Bref pour entrer en fonction et permettre cette adaptation permanente et fine, une solide formation serait à l'évidence bien nécessaire.
Pourtant, la formation n'est pas nécessaire pour prendre en charge les multiples handicaps et inclusions. Telle semble bien être la politique de ce grand ministère mais aussi comme le dit Marie, de ces animateurs scolaires qui, pour le compte du Service municipal d'accueil périscolaire de Clermont-Ferrand, prennent en charge les élèves à la pause de midi, avant et après les horaires des classes. Ces petits boulots comme autrefois les jardinières d'enfants du début du XXème n'ont pas besoin de compétence particulière, l'amour des enfants suffit sûrement ! Ces jardinières sont aujourd'hui les EJE, éducatrices de jeunes enfants. Un chemin parallèle pour les AESH vers la reconnaissance de leur qualification d'éducatrice scolaire ? Il faudra l'arracher comme jadis E.J.E. Tel est ce combat. Rien sans rien et sur la durée, dans un contexte où l'argent est mis ailleurs sous prétexte d'économie.
Que se passerait-il si les AESH cessaient tout travail pour une durée assez longue ? Ne s'apercevrait-on pas qu'elles portent l'essentiel de l'inclusion scolaire pour des radis et des coups à prendre pas seulement physiques ? N'obtiendraient-elle aucun avancée réclamée en vain dans le mépris du silence ?

Que disent ces AESH à leurs collègues AESH ?
« ...Notre salaire nous maintient largement en-dessous du seuil de pauvreté et nous n'avons toujours pas de formation digne de ce nom. La mise en place des PIAL (Pôles Inclusifs d'Accompagnements Localisés) aggrave notre situation : beaucoup parmi nous doivent accompagner plus d'élèves, pour moins d'heures, et de façon « morcelée ». Difficile d'assurer un suivi dans ces conditions ! Dans notre Académie, 53 A.E.S.H. ont démissionné depuis l'été dernier : comment s'en étonner ? Par ailleurs beaucoup d'élèves en situation de handicap (au moins 170 dans le Puy de dôme) n'ont plus ou presque plus d'accompagnement alors qu'ils sont notifiés par la M.D.P.H. (Maison Départementale des Personnes Handicapées), et certains sont accompagnés par 3, 4 voire 5 A.E.S.H. ! Cette dégradation n'est pas une fatalité, elle est le résultat d'une économie de moyens ! Nous nous réjouissons que de plus en plus d’élèves en situation de handicap soient accueilli.e.s dans des classes ordinaires, mais nous déplorons que leurs conditions d’accueil ne permettent pas une véritable inclusion : nous voulons que de vrais moyens soient mis en oeuvre ! La reconnaissance de notre métier en fait partie : Nous exerçons des missions d'éducation en milieu scolaire, c'est pourquoi nous demandons l'obtention d' un statut de catégorie B de la fonction publique de l'Éducation Nationale. Ce statut doit nous assurer une formation qualifiante (et continue!), ainsi qu'un vrai salaire !... »
Elles parlent aussi aux enseignant·es
« Vous qui connaissez notre engagement quotidien dans l’accompagnement des enfants en situation de handicap, vous comprendrez que nous ne pouvons plus nous taire : les PIAL (Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés) sont un véritable scandale qui vise à économiser des heures au mépris des notifications des MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Les enfants ne sont plus accompagnés comme ils en ont le droit, la mutualisation est de mise à tous les niveaux, le saupoudrage s’intensifie et nous devenons interchangeables. Nous le savons toutes et tous, accompagner un élève correctement demande du temps ; il faut installer la relation, se faire confiance, avoir des moments d’échange, de partage autour de la scolarité. Tout cela est remis en cause par le fonctionnement des PIAL : on « rentabilise les heures », nous envoyant d’une école ou d’un établissement à un.e autre, d’un.e élève « notifié.e » à un.e autre, par souci de rentabilité. De notre côté, nous perdons le sens du métier, nous ne parvenons plus à exercer correctement les missions qui nous sont confiées. Trop souvent nous gérons des urgences sans même connaître l’aide dont l’élève a besoin. Le nombre d’AESH est trop insuffisant pour couvrir les besoins, l’administration peine à recruter et les démissions augmentent. »
Enfin elles s 'adressent aux parents
,
eux qui ont le plus de poids auprès des autorités académiques :
« Nous nous engageons quotidiennement dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap, mais le manque de moyens dans la mise en oeuvre des PIAL provoque des situations maltraitantes, autant pour les élèves que pour le personnel. Les enfants ne sont plus accompagnés comme ils en ont le droit, la mutualisation est de mise à tous les niveaux, le saupoudrage s’intensifie, nous devenons interchangeables. C’est le choix de l’économie des heures au mépris des notifications des MDPH (Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées). Nous le savons tous, accompagner ces enfants correctement demande du temps ; il faut installer la relation, se faire confiance, avoir des moments d’échange, de partage autour de la scolarité. Tout cela est remis en cause par le fonctionnement des PIAL : nous sommes envoyé·e·s d’une école à une autre, d’un·e « notifié·e » à un·e autre par souci de rentabilité. Ainsi, nous perdons le sens de notre activité professionnelle, nous ne parvenons plus à exercer correctement nos missions. Trop souvent nous gérons des urgences sans même connaître l’aide attendue. »
* On pourra lire ou relire ce qui est toujours la réalité du moment, du côté action, Collectif AESH, parents et associations de parents pour finir sur les enjeux multiples et forts de la scolarisation des enfants en situation de handicap.
18-10 :
Inclusion, mission essentielle pour accompagnantes précaires et mal traitées (1)
19-10 :
Marie, Marie-Hélène, Sarah, Gaëlle, AESH : quotidien, espoirs et désespoir (2)
20-10 :
Nous vivons la préhistoire de l'inclusion scolaire ! (3)
23-10 :
Inclusion scolaire, Aesh : des parents parlent (4)
26-10 :
Parents et inclusion scolaire : besoins et moyens, expertise et formation (5)
28-10 :
Les enjeux multiples de la scolarisation des enfants en situation de handicap (6)