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Le contexte
Continuités
En ce début d’année 2012, la politique menée à Calais – tout comme le durcissement général des politiques migratoires et les persécutions à l’encontre des Rrom-e-s – apparaît comme liée à la personne de Nicolas Sarkozy, d’abord comme ministre de l’intérieur (fermeture du Centre de Sangatte, harcèlement policier des exilé-e-s, poursuites contre les aidants solidaires) puis comme président de la république (destruction de la « Jungle de Calais », expulsions vers l’Afghanistan). Si rien dans le programme de son concurrent à l’élection présidentielle, François Hollande, n’annonçait une réorientation des politiques migratoires, on pouvait penser qu’au cas où serait élu le nouveau gouvernement en effacerait les pires excès.
La pression policière a été forte pendant la campagne électorale de manière à contenir les exilé-e-s à une moindre visibilité. Dans les tous derniers jours de son mandat, entre le second tour de l’élection présidentielle et l’investiture de son successeur, Nicolas Sarkozy décore le légion d’honneur quatre policiers de la Police aux frontières de Calais, alors que le Défenseur des Droits a été saisi et enquête sur les violences policières à l’encontre des exilé-e-s.
L’investiture de François Hollande, la mise en place du nouveau gouvernement, les élections législatives se passent sans que la pression policière ne diminue. Elle se relâchera simplement pendant l’été, retrouvant une sorte de niveau de base de la violence quotidienne, qui se maintient en dehors de toute opération spéciale.
Le nouveau gouvernement publie le 26 août 2012 une circulaire interministérielle définissant une méthodologie à suivre en cas d’évacuation de campement ou bidonville, incluant une concertation en amont et des mesures de relogement en aval.
À la fin du mois de septembre commence une évacuation systématique des squats et campements de Calais, suivie de plusieurs semaines de traque visant non seulement à empêcher que les exilé-e-s puissent se réinstaller dans de nouveaux lieux, mais également puissent se reposer. Les préconisations de la circulaire du 26 août ne sont pas mises en application. Il s’avérera au fil du temps que cette non-application est générale sur l’ensemble du territoire français, les cas d’application de la circulaire constituant de rares exceptions.
C’est dans ce contexte tendu que la préfecture du Pas-de-Calais convoque une réunion rassemblant des services de l’État, des collectivités locales et des associations. Le dialogue était interrompu entre État et associations de puis 2009. Mais le préfet rappelle que la priorité restera la « lutte contre l’immigration clandestine », et que d’éventuelles amélioration des conditions de vie relevaient des collectivités locales. De fait, à la suite de la création de l’Association des élus hospitaliers, des améliorations des conditions de vie ont été réalisées à Norrent-Fontes, Angres, Grande-Synthe et Téteghem, grâce à un partenariat entre les communes et les associations, avec le soutien financier du conseil régional. Les choses sont par contre bloquées à Calais en raison de l’hostilité de la mairie. Se met ainsi en place une gestion à la carte de la situation humanitaire en fonction du bon vouloir des municipalités, mais aussi de l’exposition médiatique qui fige la situation à Calais.
Renouvellements
Le 13 novembre 2012, le Défenseur des Droits publie sa décision concernant le harcèlement policier à Calais, suite à la saisine effectuée en juin 2011. Il condamne de manière claire les exactions commises et dénonce le caractère permanent du harcèlement. Cette décision est suivie par un gel de l’activité policière. Au cours des nuits du 24 au 25 décembre et du 25 au 26 ont lieu de violentes bagarres entre plusieurs dizaines d’exilés au centre-ville de Calais. Des campements sont évacués dans la foulée, la harcèlement policier reprend, avec notamment une forte pression sur le lieu aménagé pour la distribution des repas. La réponse du ministre de l’intérieur au défenseur des droits arrive tardivement, le 6 mars 2013. Elle consiste en une fin de non-recevoir en trois points, le faits ne sont pas avérés, ils sont anciens, un CRS a été sanctionné en 2010 ce qui prouve que le nécessaire est fait.
Le harcèlement policier et la politique de déguerpissement mis en place suite à la fermeture du Centre de Sangatte se poursuivent donc, avec néanmoins quelques aménagements suite à la publication de la décision du Défenseur des Droits : certaines aberrations particulièrement visibles dans le comportement de certain-e-s policier-ère-s disparaissent, le formalisme des procédures légales d’expulsion des squats et campements est plus souvent respecté, les violences physiques à l’encontre des militant-e-s du mouvement No Border, qui sont à l’origine de la saisine du Défenseur des Droits, diminuent.
Alors que la guerre civile en Syrie débute en 2011, la présence d’exilé-e-s syrien-ne-s n’est sensible à Calais qu’à partir de cette année 2013. Quelques dizaines d’hommes dorment entassés dans un préfabriqué à l’entrée d’un hangar qui est lui occupé par des exilés soudanais. Il s’agit d’un ancien cash-and-carry, un de ces dépôts d’alcool nombreux à Calais où se rend principalement une clientèle britannique, et dont une partie du stock est resté sur place, raison pour laquelle l’endroit est surnommé « Beer House ». Ce squat est évacué le 5 septembre 2013, ce qui ouvre une nouvelle campagne d’expulsion des squats et campements, accompagnée d’une traque policière pour empêcher les exilé-e-s de se réinstaller, complétée par des contrôles et des fouilles à l’entrée du lieu aménagé pour la distribution des repas. En réponse les exilé-e-s syrien-ne-s occupent une passerelle d’accès au port le 2 octobre. Leur mouvement obtient un écho national et international, mais il lèvent leur occupation le 4 octobre après avoir rencontré les autorités françaises et britanniques, sans avoir rien obtenu d’autre qu’un engagement verbal de ne pas être expulsé-e-s si ils et elles s’installent sur une pelouse près du port. Les Syrien-ne-s continueront néanmoins à interpeller les instances européennes et les médias.
La pression se reporte sur les exilé-e-s originaires d’Afrique de l’est, plus nombreux-ses avec l’augmentation des traversées en Méditerranée centrale. Des Soudanais sont placés en rétention pour être expulsé vers le Soudan. Le 21 octobre un squat du centre-ville qui abritait des exilé-e-s érythréen-ne-s et éthiopien-ne-s est évacué. La trentaine de femmes qui viennent d’être expulsées sont accueillies dans un squat ouvert par des militant-e-s du mouvement No Border, qui devient la « Maison des femmes ». Un campement d’exilés soudanais et tchadien est détruit le 31 octobre.
Les choses se tendent aussi au niveau de société calaisienne. La maire de Calais multiplie les sorties xénophobes, interdiction d’un festival multiculturel, appel à la délation contre les squats. Une page facebook explicitement « anti-migrants » apparaît, Sauvons Calais, qui tente de cristalliser autour d’un noyau d’extrême-droite radicale l’hostilité d’une partie de la population calaisienne. Leur première manifestation, qui réunit une quarantaine de personne, est accueillie sur le parvis de l’hôtel de ville par deux adjoints à la maire.
En réaction s’ouvre une deuxième page facebook, appelée à l’origine Sauvons Calais des petits esprits, qui deviendra Calais Ouverture et Humanité. Elle exprime le sentiment de Calaisien-ne-s qui ne reconnaissent plus leur ville dans les propos de la maire et de Sauvons Calais. Elle suscite la mobilisation de dizaines d’habitant-e-s sensibles à la cause des exilé-e-s mais qui n’avaient jusque-là pas franchi le pas de l’engagement. Cette « génération Calais Ouverture et Humanité » va profondément renouveler le tissu associatif et ses pratiques.
Depuis le mois de juin 2013, le ministre de l’intérieur Manuel Valls annonce sa venue à Calais puis la décommande. Il finit par venir le 12 décembre, se met en scène à l’écoute de la population, et rencontre différentes audiences, commerçants, forces de police, associations de soutien aux exilé-e-s, auxquelles il tient le discours que chacune veut entendre. Néanmoins, si les expulsions de squats et de campements continuent et si des effectifs policiers supplémentaires sont mobilisés à Calais, des signes de détente apparaissent. C’est ainsi que le préfet annonce que la « Maison des femmes » ne sera pas évacuée sans relogement – ce qui se concrétisera par la pérennisation d’un lieu d’hébergement pour les femmes et les enfants financé par l’État, et que les réunions de concertation jusqu’alors très formelles initiées par la préfecture se déclinent en groupes de travail plus concrets qui donnent à penser que des avancées sur des sujets comme les conditions de vie ou l’accès aux soins sont possibles – ce qui ne se réalisera pas.