YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

890 Billets

2 Éditions

Billet de blog 3 janvier 2023

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Ce que vœux le Président

L’idéologie en toile de fond du discours du Président. Débat sur les retraites : social contre néo-libéral. Et salauds de pauvres qui, selon certains médias ignorants, osent percevoir le RSA sans activité.

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le soir des vœux, le Président Emmanuel Macron a bien fait d’évoquer la guerre en Ukraine, car il s’agit là d’une tragédie que la France et les Français ne peuvent pas ignorer. Par contre, glisser que cette guerre pourrait être à l’origine d’une « effroyable crise énergétique » c’est faire oublier que le prix des carburants a augmenté considérablement avant même le déclenchement de cette guerre (en janvier 2022, des médias titraient sur la « hausse historique » du prix de l’essence et du gazole). « Effroyable », qualificatif qui vise à effrayer comme le reste de l’allocution dans laquelle un chef de l’État ose dire : « aura-t-on des coupures d’électricité ? », « des augmentations du prix de l’énergie ? », « à subir une nouvelle vague de Covid », « l’épidémie aura-t-elle une fin ? » et dans la foulée… « devra-t-on travailler plus longtemps en 2023 ? ». Et de justifier une réforme des retraites par le fait que le système serait déficitaire (ce que le COR ne démontre pas ; il sera bénéficiaire de 3,2 Md€ en 2022 ; il devait être déficitaire de 12 Md€ en 2021, il a été en excédent d'un milliard), et au grand jamais s’il était déficitaire de 12 Md€ annuels (chiffre certainement exagéré) c’est quoi sur un budget global des retraites de 340 Md€ ? Peanuts : c’est bien inférieur aux exonérations d’impôts accordées pour les plus riches. Par ailleurs, M. Macron donne aujourd’hui cette explication après avoir prétendu jusqu’alors que c’était pour financer d’autres projets de l’État (sans doute a-t-il mesuré que cet argument était intenable). Enfin, s'il a évoqué la pension minimale (il a dit "la retraite minimale") qui devrait être fixée à 1200 euros (si annuités complètes), il n'a pas dit pourquoi il ne veut plus l'accorder à celles et ceux qui sont déjà retraités alors qu'il l'avait promis pendant sa campagne présidentielle et alors que le coût s'élèverait seulement à un milliard d'euros. C'est donc une mesure sociale atteignable quand on voit comment le quoiqu'il en coûte a valsé avec les milliards depuis trois ans (sans parler du CICE impulsé précédemment par le ministre Emmanuel Macron à hauteur de 40 milliards annuels). 

Illustration 1

Je ne veux pas décortiquer tout son discours mais relever quelques aspects : rapprocher comme il le fait « les trafics » et « l’immigration illégale » est insupportable ; parler de « Sa Sainteté » Benoît XVI juste après s’être prononcé pour « une laïcité effective » montre son inconstance ; dire qu’il ne faut pas léguer plus de dettes aux générations suivantes, alors que sous son mandat la dette publique a explosé (quelles qu’en soient les raisons) est cocasse. Consacrer trois lignes au « déterminisme social » c’est la preuve de l’inanité de cette doxa macronienne : il s’agit de rejeter les discours sur les inégalités et de mettre en avant les « inégalités de destin », « la trop faible mobilité sociale », courte pensée que personne chez En Marche ne s’est jamais attelée à étoffer sinon en invoquant la maternelle à 3 ans, et le dédoublement des classes en zone d’éducation prioritaire. C’est tout : on se souvient peut-être qu’Emmanuel Macron avait même créé un secrétaire d’État à la pauvreté des enfants et des jeunes, qui n’a pas fait long feu (la pauvreté des enfants c'est d'abord la pauvreté de leurs parents et des familles).

Enfin, quand le Président dit que nous avons décidé de lui confier un nouveau mandat de cinq ans à la tête de notre nation, il y va un peu fort. Quand on a obtenu au premier tour à peine plus de 20 % des inscrits, et qu’on est élu au second tour pour partie non négligeable parce que des électeurs ne voulaient pas de l’extrême droite, c’est faire preuve d’un culot phénoménal, même si son élection est, selon la Constitution de la Vème République, acquise. Mais un président démocrate ne ferait pas comme s’il avait une majorité au Parlement, il proposerait des modalités de conciliation, il ne ferait pas comme Chirac après 2002, il indiquerait aux Français lors des vœux de quelle manière il va fonctionner hors 49.3. Et il n’annoncerait pas sa réforme des retraites qui est rejetée par une majorité des Français et qui se fera au détriment des salariés les moins favorisés dans le pays : elle n’est mise en avant que pour satisfaire ceux qui comptent sur lui pour appliquer une politique sociale dure, comme il a mis en œuvre, avec un cynisme incroyable, sa politique contre les chômeurs. Cette élection « l’honore et l’oblige », déclare-t-il. Il a raison : elle l’oblige... à tenir compte des Français, majoritaires, qui n’approuvent pas sa politique économique et sociale.

[2 janvier]

Retraites : social contre libéral

Emmanuel Macron a répété travail, travail, travail (17 fois) lors de ses vœux au pays. France Inter réunissait, ce matin 3 janvier, deux économistes, Jean-Marc Daniel et Thomas Porcher. Jean-Marc Daniel, économiste néo-libéral, approuve le Chef de l'Etat, car à une époque les pauvres c’étaient les retraités, aujourd’hui ils ont un revenu moyen supérieur à celui des actifs [1,6 % de plus sauf que c’est une moyenne, pas une médiane, donc cela ne rend pas compte des fortes inégalités] : mais cela ne l’empêche pas de conclure qu’« il y a là une désincitation même à la notion de travail qui finit par devenir dangereuse ». On comprend qu’il faut que le travail soit mieux payé, on pourrait éventuellement entendre qu’il faille travailler davantage (sans forcément partager ce point de vue), mais en quoi le niveau des revenus des retraités inciterait à ne pas travailler ?

Illustration 2
Thomas Porcher [capture d'écran]

Thomas Porcher, économiste également, membre des Économiste atterrés : le système de retraites est à l’équilibre, et 3 scénarios sur 4 du COR [Conseil d’Orientation des retraites] confirme cet équilibre pour l’avenir. Le gouvernement se fonde sur une seule hypothèse pessimiste pour imposer sa réforme, sauf qu’en 2013 le COR prévoyait pour 2022 un déficit de 20 milliards,  alors qu’on est en excédent. On est loin de la faillite annoncée. Il confirme ce que j’écris dans la chronique précédente : le déficit éventuel, sur 340 milliards, est dans l’épaisseur du trait. On a un système performant, taux de pauvreté de retraités le plus faible au monde, un taux de remplacement [rapport entre la pension et le salaire auparavant perçu] plus élevé pour les bas salaires. Or avec les réformes envisagées, le niveau de vie des retraités va diminuer. Il y a des réformes à faire, mais sur l’égalité hommes-femmes et sur la pénibilité, pas sur l’âge de départ ni sur la durée de cotisation.

A l’argument selon lequel on vit plus longtemps, Thomas Porcher oppose un argument massue : depuis 2010, avec l’allongement de 60 ans à 62, et maintenant à 65, « on a plus reculé l’âge de départ qu’on a gagné en espérance de vie ». L’objectif du pouvoir est de réduire le temps où les gens percevront une pension de retraite pour faire des économies pour d’autres dépenses. Aujourd’hui, celui qui part à 62 ans a une retraite à taux plein, demain il aura une décote et devra attendre 65 ans, et si aujourd’hui il part à 65 ans, il a une surcote qu’il n’aura plus. Le taux de remplacement va baisser. Le niveau des pensions va baisser pour tout le monde. Certains, qui ont les moyens, iront vers les fonds de pension, c’est-à-dire la capitalisation à laquelle Jean-Marc Daniel est favorable.

La baisse des dépenses retraite est là pour compenser la baisse des impôts de production, c’est écrit en toute lettres dans la loi de finances 2023 [malgré les dénégations de JM Daniel, il cite l’économiste Michael Zemmour qui a publié sur Twitter l’extrait du texte]. Par ailleurs, après 60 ans, un sénior seulement sur trois est en emploi, et plus de 50 % des salariés témoignent qu’ils ne pourront pas faire le même emploi à 60 ans. Ils sont pris en étaux entre chômage moins indemnisé et RSA. Et cela va libérer un million de personnes se retrouvant sur le marché de l’emploi (alors qu’il y a déjà 5 millions de chômeurs). Le seul but n’est pas d’équilibrer le système, car il l’est déjà, la seule urgence est de baisser la dépense publique (plusieurs ministres l’avaient avoué d’ailleurs, travailler plus longtemps pour financer d’autres dépenses publiques).

Thomas Porcher pense que « les fonds de pension se lèchent les babines » car il y a une manne avec ces 340 milliards. Il rappelle qu’aux USA les fonds de pension ont sous-financés 3000 Md$ (à mettre en comparaison au supposé déficit français qui pourrait être de 12 Md). Or, pour donner un ordre d’idée, si on met 2,5 euros de plus par mois sur les cotisations salariales et 2 euros sur les cotisations patronales, le problème de déficit est réglé.

Illustration 3
Jean-Marc Daniel [capture d'écran]

Jean-Marc Daniel n’est pas très à l’aise avec les arguments de Thomas Porcher. Il nous sort toute la panoplie du parfait néo-libéral, une sorte d’Agnès Verdier-Molinié au masculin. Selon lui, la France vit au-dessus de ses moyens, la France ne produit pas assez. Il s’inquiète du déficit budgétaire (160 Md€) et du déficit commercial (60 Md€). Il défend le passage à 65 ans, revendique même, pourquoi s’en priver (lui qui se vante avoir enseigner jusqu’à 64 ans),  le passage à 67 ans, comme Edouard Philippe, comme l’Italie, la Grèce ou l’Allemagne. Et il botte en touche en disant que de toute façon les salaires augmentent donc les pensions ne baisseront pas.

Il est favorable à 37 heures par semaine. Et a proposé (dans un média belge) de supprimer des jours fériés (aucun effet sur la croissance, selon Thomas Porcher, car le problème c’est la productivité).

On est à la limite du confiscatoire, poursuit M. Daniel. Il défend donc la réduction de la dépense publique, défend la capitalisation et invoque le minimum vieillesse prévu par Macron [confondant la pension minimale avec le minimum vieillesse, qui est une mesure d’assistance, ce qui n’est pas la même chose].

Pour conclure, lui qui est la coqueluche du patronat a le culot de souhaiter que les partis de gauche se renomment partis des travailleurs : « il faudrait retrouver cet état d’esprit » !

6 % de chômage !

Elisabeth Borne a annoncé aujourd’hui (3 janvier) qu’elle abandonnait la réduction de 40 % de la durée d’indemnisation si le taux de chômage atteint 6 %. Plusieurs commentateurs y compris à droite avaient noté que ce taux n’a pas été atteint depuis 40 ans (Le Figaro du 30/12). A se demander si cette clause extrême n’avait pas été introduite pour la retirer et donner l’impression de satisfaire la CFDT. Est-ce que cette dernière tombera dans le panneau ?

Additif le 4 janvier : Bruno Le Maire, sur France Inter [4 janvier], a dit que le report du départ en retraite a pour but de mettre davantage de gens au travail, plus de personnes en activité, qui consomment, ce qui permettra « de financer l’industrie verte, l’investissement dans l’innovation et dans la transition écologique, dans la décarbonation de notre économie ». S’il maintient qu’il y a un déficit (il retient le chiffre contesté de 12 milliards), et que pour maintenir le système à l’équilibre, il ne faut ni augmenter les cotisations ni baisser les pensions, il n’est pas convaincant. En effet, lui comme d’autres, en insistant sur une économie sur les retraites (que prévoyait déjà la réforme par points qui aurait automatiquement entraîné une baisse des pensions), permettant de financer d’autres actions, il avoue que l’économie n’a pas pour but de compenser un déficit (inexistant ou presque) mais de réduire un déficit du budget de l’État en partie dû à des exonérations d’impôts chez les plus riches et des choix budgétaires contestables.

Salauds de pauvres

La Dépêche (du Midi, quotidien régional) a publié hier un article, annoncé en Une, sur l’expérimentation dans 18 départements volontaires (ainsi que la Métropole de Lyon qui a cette spécificité de cumuler les compétences d’une communauté de communes et d’un département) sur le RSA : il serait conditionné à un engagement dans une activité, qui pourrait être de 15 à 20 heures par semaine. Un contrat serait signé avec accompagnement intensif. Commentaire de l’article : «  en clair, le bénéficiaire n’est plus un simple allocataire mais devient acteur de son rebond », et les activités pourraient être « une immersion et une formation en entreprise, une démarche sociale accompagnée, la participation à des ateliers collectifs, l’engagement dans une activité citoyenne, un appui à la création d’entreprise ou l’implication dans un chantier d’insertion », ce qui permettrait aux intéressés de retrouver un emploi durable. Ce serait une nouveauté car jusqu’alors, écrit Gil Bousquet, responsable national de la rubrique économie du quotidien du Midi, « cette allocation n’avait pour objectif que de fournir une indemnité aux chômeurs en fin de droit qui se trouvaient sans ressources », que ce soit avec le RMI en 1988 qu’avec le RSA en 2008. Et le bénéficiaire devra être inscrit à Pôle emploi, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Illustration 4

Faut-il préciser que l’essentiel de cet article est faux : tout ce qui est annoncé comme une nouveauté était déjà dans la loi sur le RMI, et encore plus dans celle sur le RSA qui a imposé l’inscription à Pôle emploi. L’auteur de l’article ne connaît manifestement pas le sujet qu’il aborde mais déroule tranquillement une idéologie bien rance sur l’assistanat. Pour avoir traité professionnellement de l’insertion au plus près, dès l’instauration du RMI puis également lors de la mise en place du RSA, la lecture de ce texte m’enrage, tellement il se coule dans une présentation biaisée de la question. Une approche honnête aurait consisté à dire que tout cela existe déjà dans la loi mais que nombreux Départements ont levé le pied dans leurs engagements financiers visant à assurer cet accompagnement social et professionnel et que l’État, bien avant M. Macron mais aussi avec lui, ne les a pas soutenus en ce domaine comme sur tous les aspects de l’action sociale (protection de l’enfance, par exemple).

L’indication de 15 ou 20 heures est là pour convaincre les antisociaux (surtout droite et extrême droite et une partie de l’opinion publique, trompée par les discours démagogues) qu’on va les faire bosser ces faignants. Sauf que, je mets ma main à couper, il n’y aura pas d’obligation à exécuter ces heures, ce sera un engagement volontaire, comme cela a toujours été le cas, parfois sur un nombre d’heures bien supérieur (pour des formations, sur des emplois aidés que M. Macron s’est ingénié à supprimer). La crise économique réduisant les emplois et entrainant une massification de la pauvreté a rendu très difficile des retours vers l’emploi. Et la situation va s’aggraver par la réduction des droits des chômeurs et le report du départ à la retraite, toutes mesures qui vont alimenter les cohortes d’allocataires du RSA. C'est bien pour cela qu'on fait tout pour causer du RSA sans évoquer son montant incroyablement bas, en violation de la Constitution qui prévoit « un revenu convenable d'existence » pour ceux qui n'en ont pas.

Car, dernière remarque, ces salauds de pauvres touchent 598,54 €, nous dit-on, « pognon de dingue » avait tenu à faire savoir le Président (propos honteux dont il aurait dû s’excuser s’il avait une once de dignité). Là encore, l’article aurait pu préciser que c’est moins de la moitié du seuil de pauvreté (établi à 60 % du revenu médian), pire : le RSA pour celle ou celui qui perçoit par ailleurs une allocation logement, est amputé du forfait logement de 71,82 €, ce qui donne un RSA à 526,72 € pour une personne seule (allocation différentielle, c’est-à-dire que celui qui percevrait pour toute autre raison une rente de 50 euros, son RSA sera déduit d’autant). Pourquoi la quasi-totalité des médias n’apportent pas ces précisions sur le montant du RSA, comme s’il fallait bien insister sur le coût des assistés (alors que la suppression de la taxe d’habitation, est une perte pour l’État deux fois supérieure à ce que coûte le RSA à la Nation bénéficiant à près de deux millions de foyers, soit avec les personnes à charge près de 4 millions de personnes, soit 5,8 % de la population).

[3 janvier]

. La chronique sur Retraites : social contre néolibéral est inédite, les deux autres sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets. 

Billet n° 714

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.