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Billet de blog 3 septembre 2023

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Non-recours et inactivité à la trappe

Bruno Le Maire a déclaré que notre système social devait être un filet de sécurité et non pas « une trappe à l’inactivité », propos suspicieux habituel des possédants à l’encontre des précaires qui se la couleraient douce avec les aides sociales. Quelques exemples où les pouvoirs publics ne se précipitent pas pour permettre l’accès aux droits. Enfin, la Préfon, retraite par capitalisation.

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"Trappe à l’inactivité"

Illustration 1
Bruno Le Maire [Photo YF, arch.]

Bruno Le Maire, ministre de l’économie, lors de la visite d’une entreprise de Thônes en Haute-Savoie le 24 août, a justifié la réforme de l’assurance chômage par le fait qu’on n’est plus dans un chômage de masse, vantant le passage d’un taux de chômage de 9 à 7 %, visant « l’exploit » de passer à 5 %. Il a cru devoir ajouter que pour lui « le point décisif » était le suivant : « Nous devons aussi nous assurer que partout et à tout moment le travail reste plus attractif que les prestations sociales. Notre modèle social doit être un filet de sécurité, pas une trappe à inactivité. » Évidemment, il ne dit pas comme des ténors de la droite n’ont cessé de le répéter : on gagne davantage avec les minima sociaux tels que le RSA qu’en travaillant, mais c’est tout de même ce qu’il sous-entend et c’est bien ainsi que cela a été entendu.

Marion L’Hour sur France Inter ce samedi matin [2 septembre] interroge Esther Duflo, prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, sur cette déclaration de Bruno Le Maire : l’économiste estime que partout dans le monde cette crainte est invoquée mais quand cela a été testé il s’est avéré qu’il y a très peu d’impact négatif des revenus d'assistance sur l’offre de travail, « les gens ont envie de travailler, ont besoin de travailler, parce que le travail c’est la dignité, l’insertion dans une communauté ». S’ils ont le choix entre ne pas travailler avec assistance et travailler avec salaire, ils préfèrent travailler. Elle regrette, à juste titre, que tout le volet d’assistance (dont les activités d’insertion, de formation) parallèlement à l'allocation de RSA ait été réduit au fil du temps depuis l’instauration du RMI.

Si le ministre de l’économie voulait que le travail soit plus attractif que les prestations sociales (rappelons que la RSA ce n’est que la moitié du seuil de pauvreté), il aurait une solution : mener une politique volontariste de hausse des salaires et, à mon sens, augmenter le montant du RSA et de l'ASS, pour les aligner sur l'AAH et le minimum vieillesse. Lors des Rencontres du Medef le 28 août, Bruno Le Maire a encensé la politique fiscale du gouvernement, affirmant ce paradoxe : « la baisse des impôts augmente les recettes fiscales » (citant des chiffres tendant à le démontrer) puis il a susurré aux patrons que ce serait bien qu’ils augmentent un peu les salaires. Mais comme Eric Heyer (de l’OFCE) l’a dit ce samedi matin également dans On n’arrête pas l’éco [France Inter] à Alexandra Bensaid : compte tenu des marges que les entreprises ont engrangé avec l’inflation, il importe qu’il y ait des hausses de salaires mais sans hausse des prix, sinon c’est le cycle infernal de l’inflation. Peu probable cependant que la "conférence sociale" décidée jeudi par Emmanuel Macron, censée traiter de la question des bas salaires, n’accouche pas d’une souris.

[2 septembre]

. Bruno Le Maire a expliqué sur le plateau de BFM TV [dimanche 3 septembre] qu’il doublait la franchise médicale en précisant : « ce n’est pas un impôt ni une taxe » mais « un principe de responsabilité » pour les « consommateurs de médicaments ». Voici en moins d’une phrase une belle manipulation des mots. Une franchise est normalement une exemption de taxe (franchise postale), là c’est une exemption de remboursement (notion, il est vrai, déjà présente dans la franchise d'assurance). Cette "franchise médicale" est bien une sorte de taxe (désormais un euro sur une boite ou un acte paramédical, 4 euros sur un transport sanitaire : elle était limitée à 50 € annuels, elle passera sans doute à 100 euros). Dans bien des cas, les mutuelles ne prennent pas en charge (seuls les meilleurs contrats couvrent cette dépense supplémentaire). En juin dernier, aux Assises des finances publiques, face à l'absentéisme, Bruno Le Maire avait dit qu'il fallait mettre fin à cette « maladie », sous-entendant que les salariés en arrêt-maladie étaient des tricheurs. Aujourd'hui, il qualifie les malades ayant besoin de médicaments de "consommateurs" ! En somme, les malades sont soit des tricheurs soit des consommateurs. Y a-t-il seulement des malades parmi eux ?

Accès aux droits et non-recours

Hier matin sur France Inter [le 29 août], Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a accusé la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) de donner consigne aux agents de ne pas informer systématiquement les salarié.es qui ont droit à la clause de sauvegarde (les assurés nés entre septembre 1961 et décembre 1963, qui ont commencé à travailler tôt, peuvent partir de façon anticipée en bénéficiant des règles appliquées jusqu’alors pour les départs anticipées pour carrière longue, s'ils ont cotisé au moins 168 trimestres, sachant que la pension sera bien calculée au prorata des trimestres acquis par rapport au nombre de trimestres exigés par la réforme des retraites). Ils doivent en faire « la demande expresse, ce dispositif n’est pas à appliquer systématiquement ».

Illustration 2

Le directeur général de la CNAV dément, estimant que l’info sur cette clause a été largement diffusée et que de toutes façons ça ne concerne que 3 à 4000 personnes sur une génération qui compte 1,5 million de candidats à la retraite (à noter qu’un article de Ouest-France du 5 juin disait que cela concernait 8000 personnes). Ce n’est pas beaucoup mais ce n’est pas rien. Certainement boosté par la CGT qui a soulevé le lièvre, ce directeur assure que la CNAV « saura identifier les personnes éligibles à ce dispositif » : donc on les informera même s’ils n’en ont pas fait la demande expresse. Très bien.

 Cela devrait inspirer la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui perçoit les allocations de rentrée scolaire (ARS) des enfants placés à l’aide sociale à l’enfance sur décision judiciaire, suite à la loi du 14 mars 2016, et ce dès la rentrée scolaire de septembre 2016. On peut s’étonner d’une telle mesure législative car l’ARS devrait bénéficier à l’enfant immédiatement et non pas être thésaurisée (ou alors tout enfant pourrait revendiquer un tel pécule une fois majeur, considérant que l’allocation est attachée à la personne de l’enfant). Évidemment, du coup, c’est l’administration départementale qui prend en charge les frais de rentrée scolaire des enfants placés.

Si l’idée d’un pécule, au prorata du temps passé à l’ASE, peut tout à fait s’entendre, on aurait pu imaginer qu’il s’établisse autrement, quitte à ce que ce soit un montant comparable. En tout cas, on vient d’apprendre que des sommes non négligeables sont en souffrance à la Caisse des dépôts (mais produisent des intérêts à raison de 2,06 % par an), non versées aux jeunes devenus majeurs faute d’être informés. Le site de la CDC donne bien toutes les précisions pour faire la demande en ligne mais cela suppose que les jeunes concernés fassent une demande express alors que le plus souvent ils ne le savent pas. C’est ainsi que la CDC a fait paraître une annonce en vue du recrutement d’un ou une chargée de mission pour gérer ce fonds [https://cutt.ly/VwkcuPZA].

Se fondant sur cette annonce, Lyes Louffok, éducateur spécialisé, militant en défense des enfants placés (ce qu’il a été lui-même dans son enfance), qui s’était mis en retrait voici un an, a repris du service en révélant par un tweet que 145 millions d’euros dormaient à la CDC. En réalité, il s’agit de l’"encours", c’est-à-dire de l’ensemble des sommes gérées par la CDC provenant des ARS pour les mineurs de l’ASE. Par contre, il y a bien une partie de cette somme qui n’est pas réclamée par les jeunes devenus majeurs, la CDC évaluant à 42 % seulement le taux de perception de ce pécule « faute d’information ». La secrétaire d’État à l’enfance, Charlotte Caubel, a déclaré qu’elle avait rappelé en début d’année aux Départements et aux associations les modalités d’attribution, avec une brochure à destination des jeunes. Très bien, sauf que manifestement c’est long à se mettre en place et à atteindre les destinataires.

On évalue à plusieurs milliards (on a avancé le chiffre de 10 milliards d’euros) le montant total des allocations et aides sociales non demandées et donc non attribuées (soit au moins dix fois le montant de la fraude sociale même si les propagandistes antisociaux préfèrent ne parler que d’elle et jamais du non-recours). Il va de soi que l’État a intérêt à ce que toutes ces sommes ne soient pas versées et à ne point trop en parler. Le gouvernement a annoncé cependant qu’il étudiait la possibilité de versement à la source des minima sociaux : attendons de voir si cette intention est sincère et véritablement mise en œuvre ou si elle ne cache pas, une fois encore, un loup.

[30 août]

Préfon fon fon, trois petits tours…

Depuis plusieurs jours, on a droit sur la radio publique à une publicité répétée de la Préfon, acronyme de la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique. Tous les ans, Préfon vient faire sa pub, trois petits tours et puis s’en va. Préfon se présente comme le référent retraite pour les personnels de la fonction publique. Or après les luttes menées pour sauvegarder la retraite par répartition (système solidaire, les cotisants d’aujourd’hui payent les pensions des retraités qui jadis, actifs, payaient les pensions de leurs prédécesseurs, et ainsi de suite), c’est une véritable provocation que de faire autant de pub pour une retraite par capitalisation. En effet, le fonctionnaire verse une cotisation qui lui ouvrira droit à une pension, en fonction de ce qu’il a cotisé, il peut récupérer sa mise à tout moment (c’est une sorte de Plan épargne retraite). Cette caisse, lorsqu’elle constate qu’elle ne sera pas en mesure de garantir les montants de pension qu’elle a annoncés à ses adhérents, elle décide unilatéralement de les réduire. Des adhérents déçus ou ayant besoin d’argent, rompent les contrats et récupèrent une somme amputée de gros frais de gestion de l’annulation. La pub effrénée (qui doit coûter un bras) est destinée à recruter des adhérents qui ne se bousculent pas au portillon.

Illustration 3

Régulièrement, on entend des commentateurs fana d’un système de retraite par capitalisation se moquer des syndicats en disant qu’ils tiennent deux discours, l’un dans les luttes en faveur de la répartition, et dans la coulisse en gérant un système par capitalisation. En effet, la Préfon a été créée par des syndicats de fonctionnaires et une association de hauts fonctionnaires. Sauf que ni la CGT ni Sud/Solidaires, ni la FSU ne participent à cette caisse : créée en 1964, au moment même où la CFTC décidait de se convertir en CFDT (non confessionnelle), elle regroupe dans son CA la CFDT, la CFTC (maintenue), la CGC et FO. Chirac avait envisagé lors de la loi Fillon de réforme des retraites de 2003 d’instaurer « la Préfon pour tous ». D’ailleurs, cette loi a créé la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) sur les rémunérations accessoires (primes et indemnités) sur lesquelles les fonctionnaires ne cotisaient pas jusqu’alors. Un établissement public gère ce dispositif (ERAFP) selon des modalités qui relèvent d’un système par capitalisation qui ne dit pas son nom (les montants de pensions dépendent des montants cotisés et du rendement des sommes placées).

Comme des millions de manifestants l’ont exprimé : le système par répartition est le vrai héritier de l’esprit du CNR en matière de protection sociale. Il importe donc de faire une contre-pub à Préfon.

[17 août]

. Chroniques parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets

Billet n° 752

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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