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Billet de blog 4 avril 2022

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Une ministre en campagne… sur le RSA

Emmanuelle Wargon, ministre du logement, est venue dans le Gers pour mener campagne en faveur du président-candidat. Elle a tenu un propos sur le RSA qui n’est pas vraiment raccord avec celui d’Emmanuel Macron ou de Christophe Castaner.

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Illustration 1
Emmanuelle Wargon, entourée de Jean-René Cazeneuve, député LREM du Gers, et de Bertrand Gonthiez, référent local LREM [Photo YF]

Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du Logement, était à Auch, le 31 mars à l’invitation du député LREM Jean-René Cazeneuve. Debout, sans notes, en bonne énarque, elle a fait un exposé en trois points : la souveraineté (européenne), l’écologie et la cohésion sociale. Je m’en tiendrai ici à ce dernier sujet. Elle invoque la lutte contre les inégalités et les inégalités de destin. La soirée sera surtout consacrée à ces questions, sans doute pour « muscler la jambe gauche » (dans la perspective d’un second tour où il y aura peu à prendre à droite), volonté que portent les organisateurs qui en sont à leur cinquième débat public. La ministre rappelle ses états de service : haut-fonctionnaire ayant travaillé au ministère du travail, ayant abordé les questions liées à l’insertion, ayant travaillé avec Martin Hirsch (elle a été sa directrice de cabinet alors qu’il était Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté). Elle a participé à la mise en place du RSA et dit qu’à cette occasion elle a beaucoup rencontré des gens percevant le RMI [Revenu Minimum d’Insertion]. Elle sait que personne ne peut se complaire avec 550 euros par mois [le RSA pour une personne seule, une fois déduit le forfait logement pour quiconque perçoit par ailleurs une allocation logement, n’est en réalité que de 497,50 €. J’ai proposé plusieurs fois sur ce blog que le montant soit porté au seuil de pauvreté, au moins au montant de l’AAH ou de l’ASPA-minimum vieillesse].

La ministre dit qu’elle vient de la gauche, de la social-démocratie, elle a toujours travaillé avec les syndicats, aujourd’hui elle a noué des partenariats avec les associations logement, et se retrouve dans le projet du président Macron. Il se prononce pour « quelque chose de nouveau : plus de dialogue ». Elle ironise sur Hollande qui ne parvenait pas à faire baisser la courbe du chômage, alors que la majorité actuelle l’a fait descendre à 7,4 % et le chômage des jeunes n’a jamais été aussi bas depuis 40 ans ! Quelqu’un dans la salle lui objectera qu’il y a plusieurs manières de faire baisser le chiffre du taux du chômage, par exemple avec les auto-entrepreneurs nombreux, avec des revenus de misère.

Parmi les mesures promises : le droit de garde opposable [la collectivité tenue de proposer un accueil aux enfants afin de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, projet déjà avancé par Nicolas Sarkozy en 2008], un compte épargne temps individuel, transmissible par le salarié d’une entreprise à l’autre [ce qui existe en partie mais serait généralisé, avec possibilité d’être rémunéré pour ce temps, façon subtile de contourner la loi sur la réduction du temps de travail].  

Alors qu’Emmanuel Macron, dans une première déclaration, a dit précisément qu’il fallait exiger que les bénéficiaires qui ont « droit » au RSA assurent aussi « une part de devoir » et consacrent « 15 à 20 heures à une activité professionnelle », ce qui a provoqué un tollé, la ministre dit qu’il y a un « devoir »... de la collectivité à accompagner les personnes au RSA « pour les aider à régler leurs difficultés, pour favoriser leur formation », c’est ce que fera France Travail (qui remplacera Pôle Emploi selon le programme pour un second mandat) qui évitera les concurrences entre plusieurs instances. Par ailleurs, la solidarité sera assurée à la source : elle rappelle qu’il y a 100 milliards d’euros de prestations versées à 20 millions de personnes (1/3 de la population). Mais le non-recours est élevé (environ 1/3) car les conditions d’accès sont complexes (y compris pour la prime d’activité). Elle dit carrément que c’est « hyper choquant » : « il n’est pas normal que des gens n’en bénéficient pas sous prétexte que le bon formulaire n’est pas rempli ». Le versement "à la source" réglera le problème, pense-t-elle, « on ne demandera désormais les ressources qu’une fois ». Elle ne semble pas craindre que ce soit difficilement réalisable et que cela ne devienne une usine à gaz (pas sûr qu’on puisse comparer le prélèvement à la source des impôts au versement à la source des prestations).

A ces questions d’accès aux prestations, s’ajoutent les inégalités de territoires, c’est l’objectif des Maisons France Service [1300 guichets uniques sur le territoire]. Enfin, il nous faut « une école qui porte mieux la réussite de nos enfants ».

Elle considère que beaucoup des propositions d’Emmanuel Macron relèvent d’un programme de gauche. Par contre, il est vrai que la retraite à 65 ans c’est de droite, mais le minimum de pension à 1100 € c’est une avancée [85 % du Smic, mais elle ne précise pas que cela nécessitera d’avoir tous les trimestres requis et avoir atteint l’âge légal]. Elle retombe sur ses pieds [socio-démocrates] en disant que la valeur travail est une valeur de gauche, le but étant de faire progresser le pays.

Le responsable d’une association d’insertion, élu à la municipalité d'Auch avec le soutien de LREM, atteste que les bénéficiaires du RSA aspirent à revenir au travail. Mais il se plaint qu'il y ait trop d'exigences administratives.

L'accompagnement prôné par Macron : prévu par les textes depuis 34 ans !

J’interviens pour confier qu’en 1990, j’ai entendu Lionel Stoléru, qui avait été ministre de Giscard, dire dans un colloque à la Maison de la Chimie à Paris, au Un an du RMI, qu’il avait appelé à voter Mitterrand en 1988 parce que le président-candidat avait promis de mettre en place le RMI. J’ajoute que je me demandais bien ce qu’Emmanuelle Wargon pouvait penser d’un chef d’État qui parle de 20 heures de «travail», comme tant de politiques de droite et d’extrême-droite, faisant concurrence à Laurent Wauquiez qui parlait de « cancer de l’assistanat » et d’un Christophe Castaner qui parle de lâcheté à propos du RSA [« l’allocation, c’est une réponse des lâches », a-t-il lâché tout de go sur BFMTV le 21 mars]. Je constate qu’elle tient, elle, un autre discours que le président sur l’accompagnement des personnes au RSA. Je rappelle que le président en septembre 2018 a annoncé un Plan Pauvreté qui devait mettre le paquet sur l’accompagnement à l’insertion (1), ce qui n’a pas été fait, comment peut-on croire que ce sera désormais mis en place. Je confirme ce qu’elle a dit elle-même : le i de RMI était l’insertion, déjà prévue dès 1988 !

Elle précise d’abord pour l’assemblée qu’elle est la fille de Lionel Stoléru puis me répond que le seul versement de l’allocation ne règle pas le problème. Il faut tenir compte de ce que la personne peut faire : travailler, suivre une formation, bénéficier de soins. Elle faut effectivement « mettre le paquet sur l’accompagnement » et confie qu’elle a été « scandalisée » quand Laurent Wauquiez, dans la coulisse, refusait que le projet de loi sur le RSA oblige à s’inscrire à l’ANPE pour ne pas gonfler les statistiques du chômage [anecdote significative dont je me suis plusieurs fois fait l’écho, qui en dit long sur le spécialiste du bullshit et que Martin Hirsch rappelle à nouveau dans une tribune du Monde publiée justement ce même 31 mars, parue dans la version papier du lendemain, 1er avril 2022].

Emmanuelle Wargon s’exprime d’une façon mesurée et équilibrée, qui ne correspond pas à l’instrumentalisation qui est faite de ces questions par certains politiques y compris dans la Macronie. Si dans l’assistance il y a des personnes très à droite, difficile d’imaginer qu’elles cautionnent cette approche plus réaliste qui n'est pas raccord avec le mantra en vigueur. Mantra qui consiste à stigmatiser celles et ceux qui doivent faire appel à la solidarité nationale, souvent parce qu’ils sont plongés dans la précarité à cause d’une politique économique dont la responsabilité en incombe justement à ceux qui expriment du mépris à leur égard. Mais personne dans la salle ne s’insurge.

"Inégalités de destin, égalité des chances"

Je lui demande également d’expliquer cette notion d’« inégalités de destin », qu’elle a invoquée et que Macron ou Blanquer utilisent sans jamais vraiment préciser la façon d’y remédier. Pour moi, il va de soi que cela justifierait une refonte totale du système, les inégalités étant au cœur de notre République malgré sa devise*. C’est plutôt le député Cazeneuve qui me répond, listant des cas d’inégalités de destin mais comprenant très vite que ce qui m’importe c’est comment y répondre (c’est cette « égalité des chances », tellement rebattue), alors il liste : le dédoublement des classes, le passe culture, les concours de la fonction publique. Tout en admettant qu’on ne peut se contenter seulement de trois ou quatre mesures. Emmanuelle Wargon ajoute : la mixité sociale, la mixité dans les écoles. Ils font la démonstration que cette idéologie est bien pauvre : il ne suffit pas de dire qu’on a découvert les inégalités de destin pour s’attaquer véritablement aux inégalités. Il fut un temps où le Président avait créé un "haut-commissaire à la pauvreté des enfants et des jeunes". Olivier Noblecourt, qui occupait le poste, était passé un jour dans le Gers, je l’avais interpellé sur cette dénomination : la pauvreté c’est la pauvreté, avais-je dit et pas seulement celle des enfants (2). Il l’avait admis, considérant que son mandat était bien plus large. Mais il a très vite quitté ses fonctions, sans être remplacé, et 18 hauts-commissaires à la pauvreté ont été créés dans les régions, puis ils ont été nommés simplement commissaires : qui en entend parler aujourd'hui ?

Un chômeur de 51 ans se plaint que l’on a beaucoup de mesures en faveur des moins de 30 ans, et qu’il en est exclu. Une mère de famille mono-parentale expose la difficulté pour elle de trouver un emploi qui respecte ses impératifs familiaux. Un petit gaveur de canards, Sébastien Pigache, expose la réalité du métier (prix agricoles, grippe aviaire conduisant à l'abattage des volailles). Il lit un texte émouvant sur le système qui conduit à la destruction du métier de paysan et au suicide de plusieurs d’entre eux (voir texte sur mon post Facebook : Paysans : on a détruit leur métier ). Cette intervention de Sébastien, qui par ailleurs est militant  de La France Insoumise, est applaudie chaleureusement par une bonne partie de l’assistance ! Le député Jean-René Cazeneuve essaye d’expliquer ce qui a été fait avec les lois Egalim 1 et 2 en vue de l’augmentation des prix agricoles. Il invoque la crise alimentaire que provoque la guerre en Ukraine (il parle de « famines » possibles). On sait que le pouvoir et l’UE se servent de cette crise pour refreiner les contraintes environnementales. Emmanuelle Wargon dit s’associer à l’hommage rendu par Sébastien à ces paysans. Elle rappelle qu’elle a travaillé chez Danone où la « responsabilité sociale de l’entreprise » était mise en avant avec prix assuré aux laitiers. Elle souhaite que cela se généralise. Après quelques autres questions, la ministre, qui a vanté les orientations d’Emmanuel Macron, appelle l’assistance à voter le 10 avril.

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A noter qu’une circulaire du Secrétariat général du gouvernement en date du 10 février 2022, précise que « dans le cadre de l'élection présidentielle prévue en France les 10 et 24 avril 2022, la ʺpériode de réserveʺ débute à compter du 18 mars 2022. Durant cette ʺpériode de réserveʺ, les membres du gouvernement doivent s'abstenir de tout déplacement dans l'exercice de leurs fonctions pour ne pas interférer sur la campagne électorale. »

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Dans cet article, les parties entre crochets sont mes précisions et mes commentaires.

(1) La pauvreté du Plan, 13 septembre 2018.

(2) Pauvreté : le calme de la campagne, 10 mars 2018.

*Dans la matinale de France Inter ce lundi 4 avril, Emmanuel Macron invité à choisir un terme dans la devise de la République, après une courte hésitation, a dit : « la Fraternité ». Tout un programme, car il est vraisemblable qu’aucun des principes républicains ne tienne s’il n’est pas arrimé aux autres.

Billet n° 671

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.

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