Thibaut Guilluy a pris au 1er janvier la direction de France Travail. Il était haut-commissaire à l’Emploi et à l’Engagement des entreprises et, à ce titre, a élaboré un rapport de 270 pages, avec 99 propositions, pour réformer Pôle emploi [PE] et le transformer en France Travail [FT]. Il se trouve ainsi dans une situation plutôt cocasse : il a concocté lui-même le poste sur lequel il a été nommé par le conseil des ministres du 12 décembre. Auparavant, le CA de PE l’avait cornaqué et les commissions des affaires sociales du Sénat et de l’Assemblée Nationale [AN] l’avaient auditionné puis avaient validé sa candidature sans unanimité (respectivement 18 contre 11 et 32 contre 21). Il se vante de ses 25 ans d’engagements dans le social, il a créé des associations, des entreprises, a milité à Emmaüs (comme Martin Hirsch qui l’encense par ailleurs), aux Apprentis d’Auteuil (grosse association catholique qui gère 300 établissements, État dans l’État providence) qui est un passage rentable pour se forger une belle image.

Agrandissement : Illustration 1

Désormais, il se trouve à la tête d’une institution qui compte 55.000 salariés, ce n’est plus une start-up pour ce soutien de la première heure de Macron, qui a été son ami de jeunesse au Touquet, qui a été candidat à la députation En Marche avec la fille de Brigitte Macron pour suppléante, qui est diplômé du commerce, qui prétend faire « le changement » ou plutôt « la révolution dans la continuité » (selon Le Monde du 3/01), se souvenant du livre d’Emmanuel en 2016, titré de façon soit provocatrice soit confusionnelle : Révolution. Faut-il rappeler Tancredi, un personnage de Giuseppe Tomasini, prince de Lampedusa (dans Le Guépard) : « si nous [les aristocrates] voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ». Un bon exemple : la réforme du RSA en 2008 voulue par Nicolas Sarkozy pour faire croire que lui ferait bosser les faignants et mise en œuvre par le déjà nommé Hirsch. J’ai connu sa mise en œuvre de très près sur le terrain : une énorme perte en ligne dans les suivis, un RSA activité vite abandonné car inadapté, remplacé sous Hollande par la prime d’activité bien plus opérationnelle.
Thibaut Guilluy aura à mettre en place les nouvelles mesures sur le RSA. Et les fameuses 15 heures d’activité. Lors de l’audience en commission des affaires sociales à l’AN qui a duré 1h55 et que j’ai suivie en partie, Thibaut Guilluy, ému, lisant son texte, bafouillant parfois, s’est montré conciliant, il a affirmé que l’expérimentation des 15 heures se passait bien, il s’est engagé à ce que les décisions soient le plus près du terrain (ça ne mange pas de pain alors même que FT sera toujours autant hiérarchisée que PE et que l’organisme aura en plus autorité sur le réseau local de l’emploi). Le RN a été étrangement succinct (n’évoquant même pas les immigrés, étonnant non ?), la droite macroniste a loué le projet et le candidat (Monique Iborra, Haute-Garonne, Renaissance ex-PS, a sorti quelques banalités juste pour causer un peu), LR a été légèrement sur la retenue et la gauche a fait des interventions fort intéressantes : Hadrien Clouet (LFI) s’est demandé comment FT s’y prendra pour accorder le droit aux 30 ou 40 % de bénéficiaires putatifs qui ne demandent pas le RSA, puis il a brandi des offres d’emploi bidons diffusées par PE sur sa circonscription. Clémentine Autain a qualifié cette réforme de « grande entreprise macroniste de destruction du service public de l’emploi et de durcissement de la vie des plus précaires » : « vous avez théorisé la traque antisociale et vous l’organisez », l’accusant de vouloir mettre en place « une armée de travailleurs pauvres » (emplois mal payés, bullshit jobs, femmes n’ayant pas d’autres moyens que de rester au RSA). La réforme des retraites va submerger les bureaux de FT sans grands moyens supplémentaires. François Ruffin préfère envisager que l’on ne perde pas son emploi : en 2012, il y avait 497.000 licenciés dans l’année, 1 million aujourd’hui ; 43.000 pour inaptitude, 100.000 aujourd’hui. « Est-ce lié aux lois travail ? Comment cautériser cette hémorragie ? »

Agrandissement : Illustration 2

Arthur Delaporte, PS, a bien noté que selon le futur directeur, les 15 heures d’activités obligatoires ce n’est pas du travail, or, relève-t-il, ce n’est pas exactement ce que dit son rapport à la page 266 (« mise en situation en milieu professionnel »). Puis il lui a demandé comment serait calculé le "reste à vivre" pour celles et ceux au RSA qui seraient sanctionnés.
Thibaut Guilluy a précisé, ce qu’il avait fait déjà à la radio [voir lien ci-dessous] qu’on ne demandera pas 15 heures à un agriculteur qui en fait déjà 70. Mais il pourra avoir un accompagnement spécifique pour son activité : comme si cela n’existait pas déjà. C’est d’ailleurs, ce que j’ai repéré : nombreuses interventions présentaient comme une nouveauté des mesures prétendument nouvelles qui ne le sont pas (sur l’obligation d’être inscrits à PE, sur des contrats faits avec les conjoints : c’est déjà dans la loi de 2008 créant le RSA). J’ai noté également que seule Farida Amrani (LFI, CGT), a évoqué la faiblesse du montant du RSA (« plus ou moins 600 € par mois ») lorsqu’elle a indiqué que l’on comptait 100.000 personnes de plus au RSA cette année, et 400.000 pauvres supplémentaires. C’était ma séquence rétro : quand on se met à glorifier le travail au lieu de valoriser l’emploi.
. séance de la Commission des affaires sociales de l’ AN : ici.
. rapport de Thibaut Guilluy sur la préfiguration de France Travail : ici.
. voir mon article de blog RSA : la grande manip, avec un texte sur Thibaut Guilluy sur France Inter en mai dernier.
[3 janvier]
Jacques Delors et la formation (sa loi phare de 1971)
Dans la famille Delors, je ne connais pas Martine (Aubry) mais j’ai rencontré son frère, Jean-Paul, en août 1974, lors d’un voyage d’études de trois semaines en Algérie : nous étions hébergés dans des collèges, après visites d’usines, de villages socialistes, rencontres avec diverses personnalités. Je me souviens d’un jeune homme (21 ans) classe, au bon sens du terme. Il avait déjà fait à 16 ans un voyage en Algérie et suivait une formation de journaliste au CFJ. Il était réservé, observait, et ne portait pas de jugements péremptoires et définitifs comme le faisaient les quelques marxistes-léninistes pro-chinois qui s’étaient joints à ce voyage organisé par une filiale du PSU (auquel Jean-Paul adhérait depuis l’âge de 15 ans). J’ai suivi ensuite sa carrière journalistique, je l’ai lu dans Libé, jusqu’à son décès suite à une leucémie foudroyante à 29 ans. Martine Delors a adhéré justement cette année-là, 1974, au Parti Socialiste, elle était alors inconnue du grand public.
Je n’ai pas connu Jacques Delors, je ne sais que ce que les médias en ont dit depuis plusieurs décennies, et plus particulièrement depuis son décès le 27 décembre. Mais ce qui m’intrigue c’est que ces nécrologies font systématiquement l’impasse sur une loi pourtant dite "loi Delors", celle sur la formation continue du 16 juillet 1971, alors qu’il était conseiller du premier ministre de Pompidou, Jacques Chaban-Delmas, qui disait vouloir promouvoir une « nouvelle société ». J’étais secrétaire général du comité d’entreprise d’une association de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence qui gérait plusieurs établissements et services (plus de 200 salariés) : nous étions adhérents à la CFDT (autogestionnaire de l’époque) et trustions les postes d’élus du personnel. Nous avons tellement étudié et décortiqué cette loi que je crois bien qu’on aurait presque pu la réciter par cœur. Elle était incroyablement progressiste puisqu’elle permettait à tout salarié de suivre des formations de son choix, qui n’avaient pas forcément de lien avec l’emploi occupé ni même avec l’activité de l’entreprise. Le directeur général, ancien éducateur, jouait le jeu et nombreux salarié·es ont ainsi pu se former dans des domaines qui les passionnaient (pour ma part, j’ai eu droit à des jours pour préparer un diplôme universitaire en sociologie).
Pour écrire cette chronique, j’ai recherché l’historique des lois sur la formation professionnelle : car je me souviens qu’au cours des années 1970, avant la mort de Pompidou en 1974 puis sous Giscard, tout une série de textes ont détricoté la loi initiale. Il n’était plus possible de faire une formation qui ne soit pas strictement liée aux besoins de l’entreprise et les employeurs et députés de droite ironisaient sur ces salariés qui avaient eu « le droit de faire des émaux ou du ski ». Il s’agissait d’un véritable recul et c’est bien ainsi que nous l’avons vécu. Malheureusement, les historiques sautent de 1971 à 1984 ! Et le fait que les commentateurs aient oublié ou tenu à négliger ce moment me parait significatif. Même la gauche en arrivant au pouvoir en 1981, alors même que Delors était en position de force, n’est pas revenue sur cette régression au lieu d’approfondir encore davantage ce qu’avait permis cette loi.
[5 janvier]
Un historien des pauvres

André Gueslin, professeur d’histoire et historien, vient de disparaître à 73 ans, le 23 décembre. Je n’ai pas lu encore de nécrologies à son sujet mais signalons la production incroyablement riche de ce chercheur sur l’histoire de la pauvreté. Impossible de citer tous ses ouvrages ici. Je noterai juste Gens pauvres, pauvres gens de la France du XIXe siècle (1998), ainsi que Les gens de rien, une histoire de la grande pauvreté dans la France du XXe siècle (2004), D’ailleurs et de nulle part, mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge (2013), et Enfance volée, le travail des enfants en France au XIXe siècle (2022). Il n’était certainement pas arrivé au terme de ses recherches.

Aux côtés d’Henri Mollat, grand spécialiste de la pauvreté au Moyen Âge, du polonais (de Solidarnosc) Bronislaw Geremeck et Philippe Dassier (Du bon usage des pauvres, histoire d’un thème politique XVI-XXe siècle), entre autres, André Gueslin est le genre d’auteur dont chaque page fascine tant ce qu’ils écrivent est dense et aide à comprendre ce qu’est le rapport (aujourd’hui, encore et toujours) entre les possédants et celles et ceux qui galèrent.

[31 décembre]
Loi asile & intégration ?
La loi sur l’immigration votée par l’extrême droite (RN), la droite extrême (LR) et une partie de la droite tacticienne et sans morale * (Renaissance) s’intitule officiellement "loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration" mais certains documents officiels parlent sans vergogne "d’asile et d’intégration", comme une honte d’avouer qu’elle est surtout une loi de rejet de l’immigré, surtout s’il fuit un pays en guerre, un pays pauvre, un pays où il est réprimé. Car si vous êtes britannique, propriétaire d’une résidence secondaire en France, votre visa de long séjour vous est délivré de plein droit (nouvel art. L. 312-4-1). Même si vous ne parlez pas français, la connaissance de notre langue n’est exigée que pour mener la vie dure aux immigrés non-européens.

Car cette loi n’est faite que pour mener la vie dure aux immigrés qui ont inlassablement été traités dans le débat public par des polémistes, qui n’ont plus aucune retenue, de fauteurs de délinquance. Une loi pour pouvoir éloigner des individus dangereux ? Qui fera croire qu’imposer deux ans et demi ou cinq ans de présence sur le sol français pour percevoir des prestations sociales (dont certaines relèvent de la Sécurité sociale) permet d’assurer la sécurité sur notre territoire ?
Il a été impossible d’avoir accès à un texte officiel pendant tous ces débats, il fallait se fier aux articles de presse qui ne disaient pas toujours d’où ils tenaient leurs informations. Cela n’a pas empêcher les uns et les autres d’affirmer haut et court que les Français demandaient « cette » loi. Je donne ci-dessous le lien avec le site officiel Vie publique qui établit là un résumé plutôt bien fait.
Le président a dit sur France 5 (C’est à vous) qu’il était gêné par la clause imposant une "caution au retour" aux étudiants étrangers, façon de faire diversion par rapport aux autres mesures autrement plus contestables. Sa ministre de l’enseignement supérieure avait menacé de démissionner à cause de cette clause. Il l’a retenue par la manche en disant que ce serait revu (Père Ubu prévoit également de saisir lui-même le Conseil constitutionnel). Par ailleurs, les propagandistes du gouvernement ont prétendu que la somme serait dérisoire (30 €) alors qu’on n’en sait rien puisqu’un décret doit en fixer le montant. Ils ont ajouté qu’en Allemagne ça existe bien déjà. Il a fallu que je lise le commentaire d’une lectrice sous un de mes posts précédents pour comprendre qu’en Allemagne la caution est déposée avant d’arriver dans le pays et que les étudiants étrangers peuvent la ponctionner dès le premier mois, ça n’a rien à voir avec une caution-retour. Ce n’est que ce matin que sur une radio j’ai entendu l’explication correcte. On avait vu pendant la contre-réforme des retraites combien des arguments erronés étaient constamment lâchés dans l'arène pour tenter de convaincre : ça continue.
_____
* Emmanuel Macron, prenant la défense immodérée de Gérard Depardieu, dans un mépris sans nom pour les femmes plaignantes, a lâché que « la Légion d’honneur est un ordre […] qui n’est pas là pour faire la morale ». On avait compris depuis assez longtemps que ce colifichet était distribué trop souvent à n’importe qui, parfois surtout à ceux qui ne la méritent pas, mais qu’un président fasse un tel aveu ça dépasse l’entendement.
. Texte du projet avant décision du Conseil Constitutionnel : ici.
[22 décembre]
Affaire Depardieu
Avant d’être accusé d’agressions sexuelles, de viol, et de propos répugnants dans un film tourné en Corée du Nord par Yann Moix complaisant, Gérard Depardieu était cet artiste qui avait fui la France en 2012 pour payer moins d’impôts en Belgique. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait qualifié ce comportement de « minable », ce qui était bien envoyé (« à la fin de l’envoi, je touche », disait Cyrano). A l’époque, j’avais envisagé de ne plus voir ses films, mais je n’ai pas vraiment respecté cet engagement avec moi-même. Puis ce fut ses amourettes avec Poutine et avec Kadyrov, qui, s’il avait été un citoyen lambda, auraient pu lui valoir des poursuites pour entente avec des dictateurs crapuleux.
Aujourd’hui, malgré les casseroles que Depardieu traîne, dont une mise en examen pour viol, Emmanuel Macron, président de la République, vole à son secours, ayant volontairement pris la parole sur le sujet, pour soutenir un pote et pour faire diversion à la loi sur l’immigration, loi quasiment dictée par l’extrême droite. Honte à un homme d’État qui, comme un vulgaire Sarkozy, se comporte de la sorte, au lieu de garder au moins une distance laissant le soin à la justice de trancher.
Puis revigoré par cette ignominie présidentielle, un gros quarteron d’artistes (une cinquantaine) signe une pétition à l’initiative de Yannis Ezziadi, ancien soutien de Dieudonné, proche de la compagne de Zemmour, chroniqueur au magazine d’extrême droite Causeur, invité des médias d’extrême droite Sud Radio et CNews, défenseur de Gabriel Matzneff et de Renaud Camus, théoricien du Grand remplacement. La grande prêtresse de la communication, Anne Hommel n’est pas loin, elle qui conseille Depardieu, comme elle a conseillé jadis DSK et Cahuzac, les hontes de la République.
Parmi les signataires de la tribune généreusement accueillie par Le Figaro, on a noté la présence de Jean-Marie Rouart qui a cru voir dans « la chasse à l’homme » à Depardieu un remake des femmes tondues à la Libération ! Ce membre de l'Académie Française, excusez du peu, tient à dénoncer la pornographie qui envahit nos écrans de façon bien plus grave que les propos « salaces » de Gérard. Voilà qu’un représentant de la droite dure encense Macron, considérant que Depardieu fait les frais de son soutien… à Poutine ! Il se prétend féministe et accuse les féministes « de vouloir outrageusement féminiser la langue française ». Auparavant, je l’ai entendu dire la semaine dernière que cette « cancel culture » contre Gégé c’est digne de Daech : France Inter a fait entendre ce propos délirant que je ne retrouve rapporté nulle part, mais sur Sud Radio le 26/12 il dit encore qu’on rejette la lumière qu’est Depardieu comme le ferait Daech. Outre la folie de ces comparaisons, cela en dit long sur la manière dont cette droite extrême est capable de banaliser les pires crimes.
La comédienne Lucie Lucas a dit sa déception devant la signature de Victoria Abril pour ce texte abjecte, l’accusant même dans un premier temps de comportements problématiques puis lui reprochant de s’allier à « ces mêmes personnes qui tyrannisent les plateaux et se permettent de se protéger les unes les autres » (sur France Info). Un autre signataire, Pierre Richard, a fait les frais de sa participation à cette tribune. Il était jusqu’alors membre de l'association Les Papillons qui lutte contre toutes les formes de maltraitances faites aux enfants : cette association a annoncé le 26 décembre que le comédien n'était plus l'un de ses ambassadeurs.
Une autre pourrait vivre la même mésaventure : Carole Bouquet qui depuis des années dit militer pour les p’tits nenfants malheureux (c’est bon pour la carrière). Après avoir été porte-parole d’Enfance et Partage avant le scandale qui a entaché cette association, elle est devenue porte-parole de la Voix de l’Enfant et ne manque pas une occasion de le rappeler. Désormais, ça va être compliqué : comment cette association va pouvoir être représentée par une actrice qui minimise à ce point les violences subies par des femmes, préférant se porter garante de son ancien conjoint.

Agrandissement : Illustration 7

Je conclus par un hommage à Mediapart et plus précisément à Marine Turchi : le travail d’enquête réalisé, publié en avril dernier, après plusieurs mois d’investigations, est remarquable. Dans le débat public actuel, de nombreuses femmes ont dit leur admiration pour ce travail sérieux, méthodique, journalistique, mené avec rigueur. Par ailleurs, toutes celles et tous ceux qui soutiennent envers et contre tout Depardieu, n’ont fait à ma connaissance aucun reproche au rôle que le média en ligne a joué, j’imagine parce qu’il est inattaquable. Chacun a pu voir quelques fois Marine Turchi sur le plateau de C ce soir (France 5) et son professionnalisme, à l’image des autres enquêteurs et enquêtrices de Mediapart qui sont des modèles pour les jeunes futurs journalistes.
. voir Affaire Depardieu : une contre-offensive avec l’appui de réseaux d’extrême droite, de Marine Turchi (29/12).
[29 décembre]
Dans "La Famille en or", je demande le gendre

Agrandissement : Illustration 8

La loi immigration votée par Renaissance, LR et RN est fondamentalement inspirée du programme de l’extrême droite qui a, après ce vote, proclamé sa victoire. Le député Renaissance du Gers, Jean-René Cazeneuve, a voté pour (ainsi que son fils Pierre, député macroniste des Hauts-de-Seine). Personne n’imaginait qu’il allait s’y opposer : pas par manque de courage, mais parce qu’il est vraisemblablement idéologiquement en accord. Souvenons-nous : alors que Pap Ndiaye, ministre de l’éducation, avait qualifié CNews d’extrême droite, le député du Gers avait eu ses pudeurs de gazelle, déclarant qu’il se méfiait de ces « qualificatifs ». Le Canard enchaîné avait commenté : « à croire que tous ces courageux veulent continuer de pérorer à l’occasion sur CNews, conserver leur rond de serviette à Europe 1 et leur bouteille de champagne à Canal Plus ».
Le gendre, c’est pas pareil. Le 20 juillet, j’avais écrit à son propos : « Aurélien Rousseau, devient ministre de la santé. L’ancien directeur général de l’ARS, l’ancien directeur adjoint des cabinets de Manuel Valls, de Bernard Cazeneuve et de Bertrand Delanoë, puis PDG de la Monnaie de Paris (ouf !), taxé d’"homme de gauche" par certains médias (selon Le Monde, il aurait été communiste), directeur du cabinet d’Élisabeth Borne, avait des relations si tendues avec elle qu’il s’en est allé récemment : on ne le surnommait pas seulement "le Coco", mais « Galabru dans le monde de Dark Vador » (Le Monde du 6 juin). On nous a dit qu’il était réticent à la réforme de l’AME (aide médicale d’État pour les sans-papiers) et qu’il redoutait le projet de loi sur l’immigration. On verra ».

Agrandissement : Illustration 9

On a vu : il a annoncé dès mardi soir sa démission à Macron, même si hier matin [20 décembre], sur France Inter, Borne a fait piteusement mine de ne pas le savoir. Il faut tout de même bien reconnaître que cet homme a du panache car quitter un tel poste, prestigieux, sur des positions de principes, ce n’est pas rien. On pouvait, en juillet, penser que Cazeneuve espérait un poste de ministre, estimant l’avoir bien mérité, mais le Président ne pouvait envisager que gendre et beau-père se côtoient au conseil des ministres. Maintenant, la place est libre : je fais le pari qu’au prochain remaniement Macron se fera un malin plaisir de nommer ministre le rapporteur actuel du budget, à moins que la démission de l’ancien directeur de l’ARS Ile-de-France fasse tache.
Par ailleurs, qu’en est-il de ses collègues élus dans le Gers : un sénateur PS (Frank Montaugé) et un député LIOT ex-PS (David Taupiac) ont voté contre (très bien), tandis qu’un sénateur centriste, Alain Duffourg, n’a pas hésité à approuver une loi marquée du sceau de l’extrême droite (lui qui avait pourtant un temps hésité à approuver la loi retraites, un temps seulement).
Ainsi va le monde tel qu’Emmanuel Macron le construit, naviguant à la godille, sans colonne vertébrale des valeurs, s’amusant à provoquer (affaire Depardieu), ayant tranquillement et impérativement incité les gens de son camp à voter une loi dont il connait pertinemment les aspects anticonstitutionnels. Le drame : que des esprits faibles, opportunistes, s’inclinent ; l’espoir : que des personnalités courageuses se positionnent pour dire ce qui n’est pas acceptable, car ce sont les fondements même de la République qui sont en cause. Aurélien Rousseau a déclaré au Monde que la loi « touche aux murs porteurs » : « je constate cliniquement que ce n’est pas possible pour moi d’expliquer ce texte ».
. L’expression « La Famille en or » est du journal Libération (18 mai 2022) qui, outre le père, le fils et le gendre, citait également la fille (directrice déléguée de la Sécu), et l’épouse (grande patronne d’un labo pharmaceutique).
[21 décembre]
À eux est confiée la gestion du monde

François Busnel a présenté hier [20 décembre] sur France 5 un documentaire sur Virginia Woolf. Je grimpe sur un escabeau pour attraper La traversée des apparences, lu il y a bien longtemps. Je replonge un moment dans cette écriture envoûtante, où la souffrance est toujours tapie, au repos, même près du bonheur, « toujours prête à mordre ». Je tombe sur un passage que j’ai coché jadis au crayon, parmi d’autres : un groupe d’hommes et de femmes de la haute bourgeoisie victorienne, presque aristocrates, font une excursion en montagne en Amérique du Sud, des domestiques guidant les ânes bâtés portant le pique-nique.
L’écrivaine, impitoyable, désabusée, les décrit, arrivés au sommet :
« Aimables, modestes, respectables sous bien des rapports, attendrissants même d’être si contents, si disposés à la bienveillance, combien ils restaient tous médiocres et de quelles insipides cruautés envers autrui n’étaient-ils pas capables ! Mrs. Thornbury, suave, mais d’un égoïsme maternel trivial ; Mrs. Elliot se lamentant toujours sur son sort ; son mari, rien de plus qu’un petit pois dans sa cosse ; Susan, dépourvue de personnalité, qui ne comptait ni en bien ni en mal ; Venning avec sa loyauté et sa brutalité d’écolier ; le pauvre vieux Thornbury avançant tout en rond comme un cheval à la meule. Quant à Evelyn, moins on cherchait à définir sa nature, mieux cela valait sans doute. Mais tous ces gens-là avaient de l’argent, et c’est à eux, plutôt qu’à d’autres, qu’était confiée la gestion du monde. Que l’on introduisit parmi eux un être plus robuste, épris de vie et de beauté, comme ils s’appliqueraient à le torturer, à le détruire s’il essayait de se mêler à eux au lieu de les châtier ! ».
[21 décembre]

Agrandissement : Illustration 11

. Chroniques rédigées et publiées sur les réseaux sociaux le jour indiqué entre crochets.
Billet n° 777
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup