YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

879 Billets

2 Éditions

Billet de blog 6 avril 2023

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Clinique privée : chronique d’une mort annoncée

Dans un département rural, le Gers, une clinique privée vient de fermer ses portes : au chef-lieu, Auch, il y avait jadis trois cliniques, qui ont peu à peu disparu. Comment se fait-il que, dans un temps où le capitalisme s’en donne à cœur joie y compris dans le secteur de la santé, la rentabilité de ces établissements ne leur ait pas permis de subsister ?

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Résumé :

Le 17 juillet 2022, la clinique privée de Gascogne à Auch (110 salariés) a été placée en redressement judiciaire. Elle avait quatre mois pour trouver une solution. Quatre mois de tergiversations au cours desquels des alliances avec un centre privé de rééducation et l’hôpital public ont été sans cesse avancées sans jamais se concrétiser. Finalement, elle a fermé ses portes le 16 mars. Tentative de compréhension d’une anomalie : comment dans un système de santé qui fait la part belle au privé une clinique coule ?

Cet établissement appartient au groupe Clinavenir possédant 11 cliniques en Occitanie. Grosse machine permettant à des actionnaires de s’enrichir sur la santé mais, tout de même, certaines cliniques du groupe ont une notoriété certaine. Manifestement, Clinavenir n’a pas mis le paquet dans sa clinique du Gers, rachetée en 2017. L’État a dû régulièrement abonder son budget du fait d’un déficit chronique, au point que même les autorités publiques ont fini par mettre le holà. Le management a été conçu en dépit du bon sens. Tous éléments qui conduisent à penser qu’il y a eu volonté de Clinavenir de se débarrasser d’un établissement dont la rentabilité n’était pas assurée. Pas sûr qu’il y ait place, d’ailleurs, pour une clinique privée dans un département rural de moins de 200 000 habitants, surtout si le privé a du mal à grignoter sur le public, sachant que les citoyens (avec la CGT et un comité de défense de l’hôpital public) veillent au grain.

Les salariés perdent brutalement tous leur emploi : ils et elles ont reçu hier (5 avril) une lettre les convoquant pour le 12 avril en vue de l’élaboration d’un CSP, contrat de sécurisation professionnelle.

Illustration 1
Dernier repas des salariés de la clinique de Gascogne, le jour de la fermeture le 16 mars 2023 : 'patients sacrifiés, salariés en colère' [Photo YF]

_____

Dans les années 1950, il existait trois cliniques privées à Auch (Lestrade, Barthélémy et Carlier). La clinique Lestrade a fermé en 1998 : le patron dénonçait une politique de santé qui visait « la concentration et le plan comptable » (interview dans La Dépêche du 6 mai 1998) et expliquait que pour les pouvoirs publics il ne pouvait y avoir plus d’un hôpital public et d’une clinique privée dans le département, soit la condamnation à terme de l’hôpital de Condom et de deux cliniques. Sans repreneur, il déclarait vouloir « vendre » ses 42 lits de chirurgie à la clinique Carlier (en réalité, ils ont été répartis entre cette clinique et les hôpitaux publics de l’époque). La clinique Barthélémy (47 salariés) fermait, elle, ses portes peu après, au début des années 2000. Il ne subsistait que la clinique Carlier. Ces trois cliniques avaient longtemps compris en leur sein une service de maternité : aujourd’hui, les accouchements ont lieu dans le seul hôpital public du chef-lieu (et aussi dans les hôpitaux des départements voisins). Mais la clinique Carlier a conservé une notoriété liée au fait qu’elle fut un lieu pas seulement de soins mais de naissances.

Illustration 2
Conflit de 2015, septembre [Ph. CGT]

Le docteur Pierre Carlier rachète dans les années 1960 une clinique, créée en 1954 (dans la continuité d’un petit établissement de soins ouvert dès 1935). Il développe cette clinique qui ne comprenait qu’une dizaine de lits et en fait un établissement médico-chirurgical renommé avec 111 lits et 40 médecins, au point que la clinique continuera à être nommée clinique Carlier par la population bien après avoir été vendue et avoir officiellement changé de nom. En 2007, Vitalia rachète la clinique à Christian Carlier qui a succédé à son père. La clinique prend le nom de Polyclinique de Gascogne en 2012 (après un sondage élargi aux Auscitains qui proposaient aussi de la nommer… d’Artagnan), puis, en 2015, Vitalia fusionne avec Vedici pour former le groupe Elsan, numéro 2 de l’hospitalisation privée en France, derrière Ramsay Générale Santé. C’est alors qu’un conflit éclate, le personnel, avec le soutien de la CGT, contestant la dureté du management (telle employée me confie qu’elle a été contrainte une fois d’accomplir 24 heures d’affilée) : lutte qui conduit Elsan à remplacer la direction et les cadres qui faisaient preuve d’autoritarisme et à accorder un 13ème mois.

Illustration 3
Conflit de 2017, manifestation en septembre à Auch [Photo CGT]

De la clinique entreprise familiale, on est passé au monde industriel et financier, avec décisions prises de loin, selon des critères de rentabilité, sans souci apparent d’améliorer les soins et la prise en charge des malades. Aucune pérennité, on a le tournis face aux ventes, rachats. En 2017, Elsan cède les actifs immobiliers à Icade Santé (filiale du groupe Icade) qui triple le montant du loyer (de 300 000 euros il passe à près d’un million, la tactique consistant à baisser un peu le loyer au moment d'un rachat de la clinique et de le remonter aussi vite). Malgré cette vente de l’immeuble qui a dû rapporter gros, la clinique sous gestion Elsan affiche un budget en déficit ! Plusieurs hypothèses circulent dont une coopération public-privé. On parle d’une alliance avec le Centre de Rééducation Fonctionnelle (CRF) de Saint-Blancard (à 44 km d’Auch) mais aussi d’une collaboration avec l’hôpital public d’Auch, projets sans lendemain (on verra que ce triptyque sera souvent mis en avant, sans jamais se concrétiser). Cette menace soudaine de fermeture est à l’origine d’un conflit social : la CGT, en pointe, mène les négociations tout en assurant une pression (une manifestation rassemble alors à Auch 500 personnes).

Finalement en 2018, Clinavenir rachète la clinique, qui se nomme désormais Clinique de Gascogne et comprend près de 60 médecins (dont 13 chirurgiens orthopédistes, 10 anesthésistes), une centaine de professionnels et couvre de nombreuses spécialités dont urologie, orthopédie, ophtalmologie, avec au total 62 lits. Le groupe emploie plus de 3000 salariés et près de 700 médecins (chiffre d’affaire 275 millions d’euros en 2019). Il possède 11 cliniques en Occitanie (Pasteur, Saint-Exupéry, Médipôle-Garonne, Monié, Rive Gauche, Minimes, Montberon, Aufrery, Gascogne, Bondigoux-Château de Vernhes et Pyrénées), les 4 premières de cette liste ayant fondé Clinavenir en se regroupant en 2012. Le groupe cherche à s’implanter dans l’ancienne région du Languedoc-Roussillon. Le concurrent est Ramsay-santé avec 7 établissements dont la célèbre clinique des Cèdres, mais avec une autre envergure à l’échelle de la France (154 établissements) et de l’Europe (près de 200 en Italie, Suède, Danemark et Norvège). Mais avec moultes ramifications dans ce mercato : tel patron des Cèdres (Ramsay) est devenu un ponte de Clinavenir. En 2001, les cliniques privées criaient famine, se plaignant des contraintes de l’État (à l’époque cohabitation Chirac-Jospin) et menaçant de couler. Depuis, elles ont bien refait surface.

Illustration 4
Magazine Tout Toulouse du 12 septembre 2001 [arch. YF]

Icade, qu’est-ce ?

On est en droit de s’interroger sur le fait qu’Elsan ait cédé le bâtiment à Icade : en effet, dans notre société où les profits capitalistes sont le moteur principal, on comprend mal qu’une entreprise privée abandonne ses actifs immobiliers à une autre qui lui fixe des loyers tels que cela la met officiellement en difficulté. Qui prend les royalties au passage ?

A l’origine d’Icade était la SCIC, créée en 1954 par la Caisse des dépôts et consignations (publique), devenue le premier groupe immobilier national avec un patrimoine d’une valeur de 15 milliards d’euros. Dans un document en ligne, la SCIC affirme aménager des espaces pour le commerce, les crèches, les cinémas et avoir créé « son propre service d’assistances sociales », sans plus de précision. La SCIC devient Icade en 2003 avec un projet ainsi affiché en 2018 dans le préambule de ses statuts : « Concevoir, Construire, Gérer et Investir dans des villes, des quartiers, des immeubles qui soient des lieux innovants, des lieux de mixité, des lieux inclusifs, des lieux connectés et à l’empreinte carbone réduite. Des lieux où il fait bon vivre, habiter, travailler. Telle est notre ambition, tel est notre objectif. Telle est notre Raison d’être. » Très généreux comme projet, dans l’air du temps car il importe de donner le change quand on a un actionnaire tel que la Caisse des dépôts (61 %) afin de laisser croire que l’on se préoccupe du bien-être des citoyens. Sur son site, retraçant son histoire, cette société, sans vergogne, va jusqu’à inclure une vidéo de l’abbé Pierre ! Pour qu’on oublie qu’elle a aussi dans son capital une grosse banque (le Crédit agricole) ?

Illustration 5

En réalité, Icade ne gère plus le patrimoine immobilier résidentiel relevant du locatif social : il a été repris par la Société Nationale Immobilière, SNI, en 2006. Icade, spécialisant ses investissements dans le secteur tertiaire, achète à tour de  bras des immeubles pour bureaux (et quelques logements souvent non conventionnés donc plutôt haut de gamme). Elle est cotée en bourse, elle a tout de la société capitaliste, relativement discrète car bien peu de citoyens connaissent son existence. Comme le déclarait Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice du Parti Communiste en 2009, on assiste « à une privatisation de fait de cette structure et à sa banalisation au fil du temps […] dérive spéculative, financiarisation, tout cela contribuant à l’aggravation de la crise du logement ». Cette sénatrice considérait que « l'ensemble des moyens, propriétés et structures du groupe public Caisse des dépôts et consignations devraient échapper à toute logique de marché et servir exclusivement au soutien des politiques publiques nationale et locale du logement au service des populations, en particulier celles dont les revenus sont les plus modestes ».

Clinavenir gère donc cette clinique depuis 2018. Si Icade effectue certains travaux (dont le central incendie), d’autres sont à la charge des nouveaux propriétaires. Ces derniers vendent du rêve aux employés, ils promettent une montée en charge, un partenariat clinique-hôpital, la venue de spécialistes de la clinique Pasteur, et la promesse d’un mode de management moins agressif, plus bienveillant  : « paillettes, petits fours et champagne », ironisent celles et ceux qui avaient au début formulé quelque espoir sur ces nouveaux propriétaires et qui ont bien vite constaté qu’il n’en serait rien. La chirurgie ambulatoire est développée, mais bien vite les chirurgiens (dont certains sont pourtant actionnaires) ne viennent plus. On espérait l’agrément pour des lits de gériatrie (le lieu commun « le Gers a beaucoup de vieillards » est souvent mis en avant) qui ne viennent pas.

Illustration 6
[site de MédiPole]

Management inconséquent

Le management d’Elsan était très autoritaire, discriminatoire, parfois humiliant (le turn-over était rapide). L’arrivée de Clinavenir n’a rien amélioré : aujourd’hui, une partie de l’encadrement est en burn-out. Démissions, ruptures conventionnelles. Là encore, on s’interroge sur les stratégies d’actionnaires qui n’hésitent pas à nommer à la tête d’une telle structure, qui pourrait certainement être rentable, une directrice qui n’a pas la confiance des salariés, qui ne donne aucune information sur les négociations qu’elle est censée mener pour la survie de la clinique, qui se met à dos de nombreux cadres qui se sentent humiliés. Dans une lettre du 21 mai 2021 adressée à la directrice, le syndicat CGT de la Clinique de Gascogne évoque les inégalités salariales, le manque de reconnaissance et « la mise en danger des patients » (un exemple : les nouveaux soignants arrivant manquent totalement d’expérience en stérilisation). A aucun moment le protocole Covid n’a été respecté (au début de l’épidémie, une consigne a été donnée : « passez-vous les masques », car il en manquait).

Les patients émettent des avis favorables sur la clinique en ignorant tout de ce qui se passe dans les coulisses. Comment peuvent-ils imaginer le stress, les pleurs, la charge mentale, les troubles du sommeil, la peur de commettre une erreur, la perte de sens au travail ? A cette liste non exhaustive sur les conditions de travail, s’ajoutent des plaintes sur la faiblesse des salaires, peu attractifs. Sans compter les interrogations sur ce que sont devenus les subventions versées par l’État pour la période Covid (la clinique a été indemnisée par l’État qui lui avait fait injonction de fermer durant un mois et demi entre mars et mai 2020, lors du premier confinement, de nombreux soignants étant allés en renfort dans des Ehpad et à l’hôpital d’Auch ; la clinique devait ensuite être prête à accueillir des patients Covid, ce qui n’a pas eu lieu).

L’organisation du travail est défectueuse : soit il y a trop de soignants présents (jusqu’à 4 soignants pour 2 patients), soit pas assez. Des personnels de tous services sont rappelés soudainement sur leurs congés payés. Plannings incohérents, contrats de vacataires ou d’intérimaires non renouvelés, sans raison, poste aménagé suite à maladie supprimé du jour au lendemain, postes qualifiés occupés par des non-diplômés, intérimaires cumulant les postes dans la même journée, assurant une garde de nuit après avoir effectué une journée de travail sur un autre établissement (ce qui est facteur de danger pour lui, pour les patients et in fine pour la clinique), séance de médecine du travail mise en place en oubliant de convoquer les personnels. Cette gestion en dépit du bon sens est désastreuse car évidemment le personnel est le premier à le constater et à en faire les frais. Les dysfonctionnements ont pour effet de provoquer des départs et, parallèlement, de porter atteinte à l’attractivité de la clinique. Des conflits ont lieu entre médecins, des pharmaciens, excédés, s’en vont.

Agacement également devant les passe-droit de tel ponte qui se permet de prendre tout de go trois semaines de vacances au détriment de l’activité de la clinique ou tel autre de garde qui ne vient pas malgré de multiples appels d’urgence. Tel chirurgien est souvent alcoolisé, mais on ne dit rien. Des chirurgiens digestifs, en sureffectif, sont finalement partis, avec le pactole. D’autres regardaient les Auscitains avec suffisance : « des bouseux, des paysans ». En juillet 2022, beaucoup de personnes en arrêt : des salariées, épuisées, pleuraient dans les couloirs. Une employée me confie que pour palier des absences elle a travaillé 7 jours sur 7 selon les horaires suivants : 6h30/20h !

FO a les faveurs de la direction (qui n’hésite pas à partager sur sa page Facebook les posts de FO) : des contrats en CDI sont promis et en cas de fermeture, adhérer à ce syndicat, ce sera une assurance au reclassement. Dans le cadre du CSE, la vie dure est menée à l’encontre des représentants CGT et Christophe Bukovec, secrétaire général CGT santé-sociaux du Gers, n’est pas autorisé en entrer dans l’établissement et doit organiser des assemblées générales du personnel (une trentaine) à l’extérieur. Les personnels favorables à la CGT sont obligés à l’intérieur de la clinique de faire profil bas.

Dépassements d’honoraires 

Si le management ne tient pas la route, desservant les intérêts même des propriétaires, mettant en péril l’existence de cette clinique, la pratique des dépassements d’honoraires va dans le même sens. Elle permet à quelques-uns d’engranger des royalties faramineuses : 350 euros pour des calculs rénaux (en plus du coût de l’intervention) et si cela nécessite une lithotritie 150 en sus. Des patients implorent les infirmières et les secrétaires pour qu’il n’y ait pas de dépassement car ils ne pourraient pas payer 1500 € pour une opération de la vessie. C’est tout à l’avenant : opération d’un orteil 500 euros, deux orteils 1000 euros, tout simplement. Et ne parlons pas des échographies surfacturées qui ne sont pas indispensables. Certains, généreux, s’enquièrent auprès des patients des prises en charge de leur mutuelle, limitant le dépassement à ce que celle-ci accepte de couvrir. Le souvenir est encore là : le Docteur Carlier, lui, ne demandait pas de dépassement d’honoraires aux malades atteints du cancer. Si certains de ces spécialistes du dépassement se retrouvent à l’hôpital public, les temps seront durs : le dépassement autorisé sera limité à 50 % du tarif de la Sécurité Sociale.

Audit inutile

Un audit a été réalisé en 2019 : l’auditrice n’a pas laissé de bons souvenirs sur sa façon de mener son évaluation. Malgré le coût relativement élevé, cet audit n’a débouché sur rien alors même que les défaillances de la direction étaient repérées. Le mystère réside dans la politique du Groupe Clinavenir : il ne peut pas ignorer ce qui se passe. Des médecins de Médipôle repartaient écœurés, l’un confiant : « c’est un tel bordel, je ne reviens plus ». Or Médipôle, qui appartient au groupe, fonctionne : certes, c’est une usine à pognon, mais ça fonctionne. Des délégués CGT de Médipôle ont même interrogé leur direction pour s’inquiéter de la situation à la Clinique de Gascogne.  

La dernière crise, actuelle, conduit à se poser la question : l’existence d’une clinique est-elle viable dans ce département ? Deux ans après le rachat, en 2019 donc, Clinavenir envisageait de s’étendre en construisant un nouveau bâtiment sur un terrain de 5 ha pour un bâtiment de 2500 m² au sol, sur trois niveaux (selon ce que le maire d’Auch, Christian Laprébende, a confié à Marc Centène, La Dépêche du 29 mars) : cela laissait supposer que les propriétaires avaient quelques indicateurs sur la rentabilité de leur investissement. Pourtant, la clinique de Gascogne, sans concurrence dans le secteur privé, totalise à ce jour un déficit de 8 millions d’euros [M€] : 1,6 M€ en 2018, 1,7 M€ en 2019, 0,6 M€ en 2020 (année Covid), 1,5 M€ en 2021. L’État, à travers l’Agence Régionale de Santé (ARS), a régulièrement subventionné la Clinique pour qu’elle ne coule pas (plusieurs millions d’euros) sachant que le loyer d’Icade (un million d’euros) plombe les comptes. Les actionnaires ont eux-mêmes abondé en insufflant 400 000 euros, mais cela ne correspond qu’à un mois de salaires. Il a été largement colporté que la clinique assurait 60 % des actes chirurgicaux, ce qui relève d’une prétention du privé mais est faux : le rapport est le suivant, 39 % clinique, 61 % hôpital. Par ailleurs, la clinique fait beaucoup d’ambulatoire alors que l’hôpital est davantage sur de grosses interventions.

Dans un département rural où la moyenne d’âge est élevée, il y a des besoins en gériatrie. Sauf qu’une clinique privée si son but est de faire de l’argent elle a un standing à tenir, et les vieux c’est pas glamour. Donc cette piste n’a pas été creusée.

Par contre, un service avait une certaine renommée sur la place d’Auch : l’AMC, l’accueil médico-chirurgical, consultation sans rendez-vous par des médecins libéraux urgentistes (ce n’est pas une activité de la clinique à proprement parler, ces médecins payent un loyer à la clinique). Ils devraient rejoindre l’hôpital public, toujours dans un cadre privé, à partir du 17 avril. Les ophtalmos y sont déjà, et ça se passe bien, alors les stomatos, les ORL et le vasculaire y vont aussi, tous ayant cabinets en ville. Bientôt l’urologie, au moins pour les urgences ; Le temps où l’hôpital était l’engeance du mal s’estompe.

Illustration 7
[Photo YF]

Le secteur public vache à lait du privé

Dans la santé comme dans l’industrie, le privé réclame d’avoir toute liberté pour engranger ses profits mais dès qu’il rencontre des difficultés il n’hésite pas à solliciter le secteur public pour se sortir d’affaire. Cela a été le cas ici, mais au-delà d’une certaine limite tout de même ça grince. Déjà en septembre dernier, le directeur de l’ARS déclarait à La Dépêche que « ce n’est pas à la puissance publique de gérer les déficits d’un opérateur privé. L’État ne remettra pas d’argent sur la table », posant cette question ("qu’elle est bonne", aurait dit Coluche) : pourquoi les actionnaires ont-ils besoin de rajouter 1M€ par an ? Sauf que ce ne sont pas les actionnaires mais les contribuables.

Le député Renaissance local, Jean-René Cazeneuve, sur son site, s’était dit, en septembre dernier, « favorable à la collaboration entre l’offre publique et privé : celles-ci sont complémentaires ». Mais trois jours plus tard, il déclarait à La Dépêche : « L’ARS a beaucoup aidé la clinique mais il y a des limites à l’intervention de l’État ». Sous l’un de ses posts Facebook portant sur la fermeture de la clinique, en réponse à un commentaire, il écrit le 15 mars dernier : « L’ARS n’a pas vocation à être la source d’équilibre d’un établissement privé, pendant plusieurs années ». Ce qui rejoint ce qu’avait dit la veille, à l’Assemblée Nationale, Olivier Véran, en l’absence du ministre de la santé François Braun retenu à Bruxelles : « il semble […] que la situation de la clinique soit délicate : elle a été subventionnée, portée à bout de bras par l’ARS ». Il avait poursuivi selon le mantra répété par les uns et les autres : dans tous les cas, « l’offre de soins accessible aux patients gersois, notamment celle du parc hospitalier, doit être maintenue sans baisse de sécurité ni de qualité ».

Marathon étrange

Ces conclusions officielles sont cocasses car elles arrivent après un marathon étrange, qui semble avoir baladé tout le monde et en particulier les salariés qui ne savaient pas à quelle sauce ils seraient mangés ni à quel saint se vouer. Pendant un temps, il était question de repreneur : le Groupe Avec (anciennement Doctegestio) qui emploie 12 000 salariés et possède 400 établissements dans 50 départements mais dont on apprend que le patron est mis en examen pour détournement de fonds publics (25 septembre 2022 : Elisabeth Borne à l’Assemblée déclare que le Groupe Avec est un « investisseur qui ne respecte pas ses engagements »). Le Groupe Avec, finalement, retire son offre. Une société basée à Pont-à-Mousson ( !) se crée tout spécialement, Khéra Santé, pour ce rachat : pas fiable. Décidément, le capitalisme a des ratés !

Illustration 8
CRF Reviscolada à Montégut, Gers [Ph. YF]

L’information sur l’avenir de la clinique, pendant des mois et des mois, a été qu’il pourrait y avoir un accord de coopération entre elle et le CRF Reviscolada (qui est lié au centre de Saint-Blancard cité plus haut). Les médecins libéraux de la clinique voient d’un bon œil une reprise éventuelle par le CRF. L’ARS est à la manœuvre (le directeur Occitanie y croit : « début d’une belle aventure »), parfois aussi la Préfecture. Mais manifestement, le propriétaire de Reviscolada (situé à Montégut, à 7 km d’Auch) recherchait davantage l’opportunité de développer son affaire avec des profits à la clé plutôt que de contribuer à l’élaboration d’une véritable politique de santé répondant aux besoins de la population. Il envisageait d’acheter à la Chine des blocs opératoires ! C’est ce que la direction de l’hôpital public a fini par admettre et ce que l’ARS, qui pourtant joue ici comme ailleurs la carte d’une collaboration public-privé (qui n’est ni plus ni moins que le moyen pour le privé de booster sa rentabilité, conforme à la politique néo-libérale en place dans notre pays), semble tout de même avoir considéré que trop c’est trop : il faut parfois siffler la fin de la récré.

De temps à autre, La Dépêche publiait une photo de tous les responsables tout sourire, puis peu après on apprenait que l’accord était caduc, sans que l’on sache trop qui avait reculé, qui n’avait pas fait de compromis. Puis à nouveau, un accord était en vue, en vain. On parlait parfois d’un GCS (groupement de coopération sanitaire), rassemblant les trois instances, manifestement pour forcer la main de la direction de l’hôpital, qui démentait, précisant que cela mettrait l’hôpital en difficulté financière. L’idée de fondre la clinique dans le CRF a également couru.

« Le privé dans le Gers : pas utile et néfaste »

Illustration 9
Carton rouge à Jean Castex au passage de son convoi, à Auch, le 14 février 2022 [Ph. YF]

La CGT a expliqué depuis longtemps que l’hôpital public n’a pas à assumer l’impéritie du privé, tout en étant ouverte à des négociations qui assureraient la permanence des soins et l’emploi. Lors de sa rencontre avec Jean Castex, premier ministre, en visite dans l’hôpital d’Auch le 14 février 2022, elle avait obtenu qu’il s’engage à ce qu’il n’y ait pas, dans le projet du nouvel hôpital (143 M€ prévu par le Ségur) de contrat de partenariat public privé (alliance peut-être mais pas de CPPP).

Le Comité gersois pour le développement et la défense du service public de la santé défend depuis des lustres la pérennité de l’hôpital public qui ne doit pas faire les frais de l’inconstance du privé. Sous la plume de Claude Chouteau, dans sa lettre de mars 2023, le Comité écrit : « Le privé n’est pas utile en matière de santé dans la mesure où il est permis à l’hôpital public de répondre aux besoins de la population. Pis, il lui est néfaste dans la mesure où ses choix de gestion relèvent plus de la recherche de la rentabilité sans préoccupation des besoins sanitaires de la population ! » Il ajoute « qu’il n’y a pas dans le Gers un "volume d’affaires" suffisant pour réaliser des profits substantiels autrement dit pour satisfaire les actionnaires ».

La section FO a soutenu presque jusqu’au bout la direction malgré sa gestion calamiteuse. Le jour de la fermeture, alors que le personnel est en train de terminer un dernier repas en commun, dehors, au soleil, sous un calicot qui dit « clinique sacrifiée, patients sacrifiés, salariés en colère », j’ai rencontré deux soignantes qui me confient leur déception : aucune solution n’a été trouvée, pourtant, selon elles, les médecins faisaient des propositions raisonnables, contrairement à ce qui a été dit quant à leurs exigences en matière de rémunérations. Elles me disent que c’est le syndicat départemental FO qui a aidé le personnel à établir les contacts nécessaires avec les autorités (elles sont, en réalité, elles-mêmes déléguées FO de la clinique). Elles m’affirment que le propriétaire est « un petit groupe » qui avait « un vrai sens du soin ». Pas un mot sur la gestion par la direction, juste un plaidoyer en défense du privé qui ne serait nullement favorisé par la politique de santé du gouvernement.

Pourtant, cette mauvaise gestion de la clinique a été copieusement renseignée : stigmatisée, on l’a vu, par des médecins eux-mêmes refusant de travailler dans un tel contexte d’inorganisation, mais aussi par des professionnels de la santé extérieurs bien informés. Dans La Dépêche du 26 mars (dix jours après la fermeture), un médecin met en cause le groupe Clinavenir : « certains devraient s’abstenir de s’improviser gestionnaires ». Et le 29 mars, dans le même quotidien, plusieurs politiques interrogés (maire, deux sénateurs, un député, le président du Conseil Départemental) se demandaient qui avait été médiateur dans cette affaire ? Personne. Un autre absent de taille : le Groupe Clinavenir qui ne s’est jamais manifesté, laissant la direction de la clinique gérer les tractations et transactions, n’ignorant pas qu’elle n’avait pas fait ses preuves jusqu’alors pour pouvoir mener à bien un tel dossier. Preuve s’il en fallait que le Groupe avait tiré un trait sur cet établissement depuis quelque temps déjà.  

Illustration 10
Manifestation devant la mairie d'Auch, septembre 2015 [Ph. CGT]

. Clinavenir ne propose aux personnels aucun poste dans le groupe, alors même que la clinique Pasteur (à Toulouse) cherche des soignants, mais oriente sur le CHU, sur Cahors ou Montauban.

. Des médecins continuent à prodiguer quelques soins dans les locaux de la clinique : Icade-Santé, dans sa grande sagesse, a accepté qu’il en soit ainsi malgré la fermeture de la clinique qui ne paye plus de loyer. La prochaine grande question sera sans doute : que faire d’un tel bâtiment ?

. Les salariés perdent brutalement tous leur emploi : ils percevront une prime de licenciement prévue par les textes en fonction de leur salaire et de leur ancienneté. Clinavenir a refusé toute négociation : bon prince, le groupe accorde généreusement 200 € pour d’éventuels déménagements et une somme globale de 80 000 euros pour des formations ; se ravisant, le groupe décide de partager cette somme, en versant 500 € à chacun, le reste, une paille, pour de la formation. Du mépris jusqu’à la dernière limite. Les salariés ont reçu hier une lettre les convoquant pour le 12 avril en vue de l’élaboration d’un CSP, contrat de sécurisation professionnelle, sous l’égide de Pôle emploi, qui leur assure un revenu fixé à 75 % du salaire brut pendant un an, censé les aider au reclassement.

. Pablo Torres, délégué CGT de la clinique de Gascogne, a adressé un communiqué aux salariés de la clinique le 5 avril. Extraits : « Nous n'allons pas réécrire l'histoire tant cette fin est douloureuse, inacceptable, immorale mais surtout le fruit d'une grande manipulation de la part de la direction et du directoire qui portent la responsabilité de cet échec et qui, n'ayons pas peur de le dire, ont été très épargnés depuis le début ! Le plan social n'est pas à la hauteur de vos espérances et comment pourrait-il l'être ?

Depuis le début de la procédure, la CGT avait envisagé un tel scénario et une telle issue. Les représentants du syndicat FO, organisation syndicale majoritaire, telle qu'ils aimaient le rappeler, n'ont cessé de contredire les informations que nous vous communiquions, de nous décrédibiliser aux yeux de tout le monde (via même les réseaux sociaux), d'écarter et d'entraver toutes nos démarches, jusqu'à subir des invectives. » « Aujourd'hui, force est de constater que cela a desservi nos intérêts et favoriser ceux de Clinavenir ! Nous sommes convaincus qu'un rapport de force aurait permis d'obtenir bien plus grâce aux retours des avis de chacun et de chacune. »

Billet n° 730

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.