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Billet de blog 6 septembre 2023

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L’aumône de l'oligarque

Un milliardaire français accorde l’aumône aux Restos du cœur, à l’invitation d’un gouvernement qui se défausse alors qu’il a pour mission, selon la Constitution, d’assurer à tous les citoyens « des moyens convenables d’existence ». Les mêmes qui stigmatisent sans cesse le droit à l’assistance n’ont pour crédo politique que la charité aléatoire.

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Le geste de Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France et, souvent, du monde (215 milliards d’euros), consistant à verser dix millions d’euros aux Restos du cœur, suffit à lui-même à démontrer combien la pauvreté est instrumentalisée par les possédants. Certains ont voulu évaluer le pourcentage soit 0,0046 % de sa fortune, mais le problème n'est même pas ce faible montant : ce qui est le plus choquant est le fait que manger à sa faim pour certains de nos concitoyens dépende du bon vouloir d’une élite financière dont la fortune est en principe légale mais pas légitime. Que le patrimoine d’un individu (et de sa famille) représente la moitié du budget annuel de l’État est indéfendable, qu’il soit l’équivalent de 15 fois ce qui est versé chaque année à près de deux millions de personnes qui galèrent avec le RSA est inacceptable (près de quatre millions si l’on compte les ayants-droit, soit un patrimoine équivalent aux revenus de 60 millions d'habitants). Tous ceux qui volent au secours du PDG de LVMH en disant qu’il a tout de même créé des emplois sont de mauvaise foi ou des naïfs : à lui tout seul il n’a pas créé d’emplois et même si c’était le cas en quoi cela justifierait-il qu’il soit propriétaire en personne d’une telle fortune ?

Pourquoi soudain se mobilise-t-il pour les Restos du cœur : parce qu’ils ont lancé un cri d’alarme ? En effet, faute de moyens, les Restos devraient restreindre les aides apportées, 150 000 personnes seraient privées de l’aide alimentaire. Mais la question de la nécessité d’accroître l’aide alimentaire n’est pas récente, n’est pas seulement liée à l’inflation qui ronge les budgets d’autant plus s’ils sont à la corde : déjà pendant la crise sanitaire et les confinements, les associations caritatives ont été submergées. A-t-on entendu Bernard Arnault ? L’État, par la voix d’Aurore Bergé, a annoncé récemment une subvention de 15 M€ (comme 10 M€ étaient déjà promis, la rallonge n’est donc que de 5 M, soit moins que le don de l’homme le plus riche du monde). L’étoile montante de Renaissance (qu’on me pardonne ce jeu involontaire sur son prénom et son nom) a lancé « un appel solennel aux grandes entreprises » et, hop, le patron de LVMH se gratte la tête, il se demande « Mais dans quel monde Vuitton ? » (une du Canard enchaîné de ce jour) et décide de verser sa petite obole. Il n’a pas bougé quand, hier, la Fondation Abbé-Pierre a publié un rapport sur le "sans-abrisme" qui constate le retard de la France, « à la traîne de l’Europe » en matière de logements sociaux (2000 enfants à la rue, aucun en Allemagne, donc quand on veut on peut). Outre la gravité de la situation, on a aussi la compétition entre caritatifs : le Secours Populaire publie aussitôt un sondage (aujourd’hui) indiquant qu’un tiers des Français ne peuvent s’assurer trois repas par jour. Bernard va-t-il signer un nouveau chèque ?

Il va de soi qu’il appartient aux pouvoirs publics, en France, de faire en sorte que les citoyens disposent de « moyens convenables d’existence » (la Constitution) et non de façon aléatoire parce qu’un matin un homme plein aux as considère que cela est bon pour sa com’ de faire un geste (comme lorsqu’il annonça de façon tonitruante qu’il contribuait à hauteur de 200 millions à la reconstruction de la cathédrale de Paris en partie incendiée). Cela suppose que l’État ait pour première préoccupation d’assurer un niveau décent aux bas salaires et aux minima sociaux (d’autant plus quand l’inflation les attaque violemment) et que les entreprises soient davantage contrôlées sur leurs bénéfices et davantage taxées, sans attendre qu’elles veuillent bien accorder quelques miettes.

Les Restos du cœur sont animés par des bénévoles qui, devant une action publique défaillante, tentent tant bien que mal à compenser ces manques de la République. Mais tout ce qui relève du caritatif (sauf quelques domaines très particuliers) est là pour inciter les citoyens à être généreux, face à un État qui n’assume pas totalement ses responsabilités (Téléthon, aides alimentaires). C’est consubstantiel à leur origine : se souvenir de l’engagement de Jacques Attali, le conseiller du président Mitterrand, aux côtés de Coluche, en octobre 1985.

Ce qui est cocasse c’est que les plus virulents à l’encontre de l’assistance, les obsédés de la valeur-travail, qui dénoncent sans cesse l’assistanat, considérant que les revenus de la solidarité nationale sont une spoliation au détriment des "créateurs", sont les mêmes qui aujourd’hui honorent l’oligarque d’avoir fait sa B.A. et d’avoir accordé l’aumône aux pauvres. La générosité n’est pas la solidarité : elle ne raisonne pas en termes de droits accordés à des citoyens confrontés à une réalité sociale qui s’impose mais de dons à des individus plus ou moins responsables de leur situation malheureuse.

Billet n° 753

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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