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Billet de blog 8 mars 2024

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Le « Salon des fermes paysannes »

Chaque année, la Confédération Paysanne, au moment du Salon de l’Agriculture, organise un Salon de la Ferme sur l’ensemble du territoire. Visites de plusieurs fermes, qui pratiquent une agriculture paysanne, fondée sur la solidarité, respectant les cycles naturels, le bien-être animal, la fertilité des sols et limitant drastiquement l’énergie fossile.

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Le mot d’ordre du Salon de la Ferme, cette année, était : la souveraineté alimentaire, basée sur la garantie du revenu paysan, la rupture avec le libre-échange, la protection et la répartition du foncier agricole, la démocratie alimentaire, la solidarité internationale et la transition agroécologique.

Dans ce cadre, dans le Gers, j’ai visité trois fermes en 2024, et deux en 2023. Je rends compte ci-après de ces visites.

Illustration 1
[Photo site du Collectif Fermier]
Les Arbolèts, ferme ouverte

La pluie, parfois diluvienne, n’a pas rebuté les visiteurs : dans le cadre du Salon de la Ferme, organisé par la Confédération Paysanne, le Collectif Fermier des Arbolèts, à La Bourdette, sur la commune de Montégut, près d’Auch (Gers), ouvrait ses portes le 3 mars après-midi à quiconque souhaitait mieux connaître ses activités (trois groupes de visiteurs ont parcouru les lieux, soit au total environ 80 personnes, dont de nombreux enfants tout à la joie de découvrir les animaux). Ce collectif regroupe 7 paysannes et paysans (secondé·es par des employé·es et apprenti·es), installé·es, avec l’aide de Terre de Liens, sur 5 fermes bio sur 110 hectares (céréales, brebis, chèvres, porcs noirs, maraîchage), et fonctionne selon des principes d’entraide et de mutualisation du matériel. Des fêtes ont lieu régulièrement sur ce site convivial. En janvier, 70 à 80 personnes amies ont passé deux jours à planter 3000 arbres sur le site.

Illustration 2

D’abord visite avec Noémie Calais, tout juste rentrée de Paris où elle a été invitée sur de nombreux plateaux de télévision et où elle a défendu bec et ongles l’agriculture paysanne (1). Douze cabanes fabriquées par elle, avec 4,5 ha de coteau et 1300 arbres plantés en haie (entente avec les chasseurs pour que les sangliers ne viennent pas provoquer des dégâts et des contaminations). Elle a démarré avec 80 cochons mais a réduit le cheptel car forte consommation en céréales (2 kg/jour par cochon). Transversalité de la ferme : le petit lait de la bergerie alimente les cochons, les balles [résidu du battage] sur lesquelles évoluent les porcs sont fournies par Nicolas, le céréalier. Le grain vient d’un autre Nicolas, celui de la Ferme en coton, issu de l’agroforesterie et selon un dosage dont il a le secret. Deux portées par an, et 8 à 9 petits par portée. Noémie atteste que les porcs sont des animaux hyper-sociables. Elle a sa truie préférée, Obépine, 6 ans, bonne pour la réforme, qu’elle garde cependant et avec laquelle elle converse. Pour le moment, pas d’abattage à la ferme mais hors du département avec longues durées de route. Scoop : l’abattoir d’Auch va ouvrir une chaîne d’abattage pour les porcs (200 éleveurs de tous bords se sont fédérés pour financer cette solution). La découpe a lieu à Seissan dans une Cuma créée voici 20 ans, lieu où les éleveurs se retrouvent, échangent, s’entraident.

Illustration 3

Éléonore, associée à Hugues pour la bergerie, fait la visite des parcs de (112) brebis et de (70) chèvres (cahier des charges bio : 1,5 m² par bête), de la traite (une seule traite par jour), 2,5 à 3,5 litres/jour par chèvre, et de la fromagerie. Alimentation : foin de graminées et foin de luzerne. Les chèvres sont écornées bébé pour éviter les blessures. Description du fonctionnement hiérarchisé de ces animaux (dominants-dominés).

Nicolas cultive 15 ha de grande culture bio, céréales et légumineuses, sarrasin et millet, avec rotation des cultures pour éviter les maladies et les ravageurs, avec couverts végétaux (graminées, trèfles, moutarde, phacélie) qui aèrent le sol, sans labour, ni intrants. Après fauchage de ce couvert, les céréales sont semés dans une terre riche. Il fait plancher les visiteurs : il s’agit de découvrir le nom des céréales (petit épeautre, grand épeautre, blé, avoine, soja, pois carré...). Puis il montre les silos en bois (évitant la condensation) qu’il a construits  (« le stockage des céréales c’est un métier »). On a droit à des précisions sur les grains : le petit épeautre n’a rien à voir avec l’épeautre (grand), ce n’est pas un blé, on devrait l’appeler "engrain".

Illustration 4

Il met en route les machines : celle qui trie le grain et la balle, le moulin Astrié qui moud le grain pour produire la farine blanche. L'écorce (le son) est réincorporé selon un taux déterminé pour le pain complet. Il vend la balle, si douce, à des fabricants de coussins (quand elle ne sert pas de tapis de sol aux cochons de Noémie). Nicolas était le seul paysan à faire une vraie boisson végétale (soja bio), avec une bonne commercialisation, mais des problèmes techniques nécessitant d’importants coûts de production le conduisent à arrêter. Il dispose d’un atelier alimentaire où pourraient être confectionnées des conserves de fruits et légumes. Quant à lui, il souhaite se consacrer au métier qu’il aime : la culture agricole.

Illustration 5

Il y a aussi sur le site Benjamin, maraîcher, avec son associée Philippine. Aujourd'hui, à la vente (bocaux, légumes, livre de Noémie Plutôt nourrir), Valentin, nouvellement arrivé. A la buvette, Marie-Sylvie s’affaire, totalement engagée dans le collectif fermier, elle qui jadis a élevé en conventionnel ici jusqu’à 2000 porcs ! Les centaines de crêpes fabriquées ce jour par Anne sont issues de la farine de Nicolas.

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(1) sur les prestations télévisées de Noémie Calais, voir Parole à l’agriculture paysanne.

[Dimanche 3 mars]

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Illustration 6

La Ferme des Trois grains : du blé au pain

Visite de la Ferme des Trois grains à Saint-Médard, près de Mirande. Une trentaine de personnes ont chaussé les bottes pour une visite dans les champs avec Jean-Jacques Garbay qui montre comment est produit l’engrais vert (luzerne, féverole, avèze, navette ou moutarde blanche, phacélie). Il est procédé à des cultures d’été et des cultures d’hiver. Les champs sont travaillés en surface (pas labourés car cela aurait un impact négatif sur la vie micro et macrobienne du sol en oxydant trop la matière organique renvoyée au fond du sillon en aérobie), selon les techniques culturales superficielles (TCS) pour mélanger ces plantes à la terre et former cet engrais vert. Donc brossage et binage pour supprimer les adventices (mauvaise herbes) avant de semer soja, tournesol, sorgo, colza ou blés, sans intrants. Ce sont les vers de terre qui font tout le boulot (3 tonnes à l’hectare) : grâce à eux le sol est percé dans tous les sens permettant le passage de l’eau et de l’air, sans nécessité de travailler la terre en profondeur, donc sans consommation excessive d’énergie fossile.

Jean-Jacques nous montre un champ au loin qui est encore envahi de regras car excès d’azote dû à une culture antérieure de type traditionnel (tout est fait, avec semis de luzerne, pour que les pluies ne lessivent pas ce champ avec pollution de la rivière en azote). Il démonte la façon dont on a trompé les agriculteurs : un champ de maïs ici, arrosé à fond, donne 13,4 tonnes à l’hectare, pas arrosé du tout, 12 tonnes/ha ! Il est pour l’agroforesterie en haie, ici favorisée par le fait qu’on est au-dessus d’une nappe phréatique.

Illustration 7

Bastien Garbay, neveu de Jean-Jacques, boulanger du blé au pain, s’est lancé dans la culture de blés anciens et modernes, de blés population (variétés anciennes semées mélangées) sur 24 ha. Son premier blé a été semé et récolté l’an dernier. Un meunier a moulu le grain, mais il aura bientôt son moulin Astrié qui écrase le grain de façon progressive, lentement, sans le chauffer et lui faire perdre ses qualités en l’oxydant, en produisant ainsi une farine excellente. Et un four a été construit avec Jean-Jacques : partie maçonnée et partie métallique avec deux niveaux et plans rotatifs permettant d’avoir plus facilement accès au pain qui cuit. Le feu atteint 1000° et le four 250°. Rendement maximum (90%). Pain au levain : petit épeautre, seigle, meteil (mélange seigle et blé), pain aux trois graines (tournesol, sésame et lin). La visite se termine avec dégustation de pain, avec pâté, confiture de figue…

Illustration 8

 [Samedi 2 mars]

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Les Mawagits ou la culture syntropique

Dans le cadre de l’opération de la Confédération Paysanne du Salon de la Ferme, une visite était organisée samedi à la ferme des Mawagits à Saint-Elix d’Astarac (Guillaume, Antoine, Grégoire et Barthélemy). Grégoire, maraîcher, sert de guide : la ferme dispose, pour arroser les terres de maraichage, de 3 retenues d’eau (2400 m² de toitures les alimentent), mais cela ne suffit pas malgré un mode de culture peu consommateur (paillage). Il faut consommer en sus, 2 à 3000 m3 pompés sur la Gimone. On le sait, l’eau va être un sérieux problème car s’il arrive qu’il pleuve énormément on traverse de longues périodes de sécheresse. Grégoire montre aux visiteurs ce qu’est la culture syntropique, qui consiste à imiter les éco-systèmes naturels et à prendre en compte que les plantes n’ont pas les mêmes besoins en lumière (la photosynthèse, base de la vie sur terre) : elles sont donc variées et combinées les unes sous les autres (comme dans la nature, une plante prépare le terrain, puis une autre la remplace et ainsi de suite). Les arbres, c’est démontré, font venir la pluie. Il y a davantage de rosée le matin. Des chercheurs agronomiques européens étudient ce type de culture. Quand il s’est lancé, on l’a pris pour un fou, sinon pour un "maladroit" (entre parenthèses, c'est le sens du mot occitan "maouagit"). Il prépare une plate-forme Sous le soleil de syntropique !

[J’ai croisé en Mauritanie, dans les années 2000, Ahmed qui défendait l’idée de planter de la vigne (raisin de table) sous les palmiers. On l’a d’abord pris ici aussi pour un fou, puis il a été invité au Maroc pour qu’il encourage cette démarche d’agroforesterie.]

Illustration 9

Des formations sont organisées ici pour la greffe des arbres. Grégoire s’est lancé dans la gemmothérapie : soins (sommeil, articulations, circulation du sang) à partir des bourgeons (cellule-souche des végétaux). Les bourgeons de 35 espèces (frênes, pruneliers, cassis, chaque arbre ayant une caractéristique) sont macérés 28 jours dans l’eau et l’alcool-glycérine puis extraction à froid. On évoque l’azote : elle est naturellement dans la terre, et la consoude en apporte (donc elle est plantée ici). Les lombrics sont bien présents (deux ou trois tonnes à l’hectare).

Réflexion sur un monde agricole qui, conçu autrement, pourrait donner du travail, gérer la biodiversité, stocker le carbone : « le système actuel n’est pas viable, on va droit dans le mur ». Puis les 40 personnes se retrouvent dans une salle où Audrey, Alizée et Marie-Laure de l’ADEAR du Gers présente leur action sur l’accompagnement à l’installation et aux aidants, ainsi que la promotion de l’agriculture paysanne. Une expérience sur les vergers bio est présentée. Par ailleurs, deux moulins à olives se montent dans le Gers. La ferme des Mawagits devrait devenir ferme-pilote. Ça bouge dans la campagne, des jeunes paysans s’activent pour que la paysannerie respectueuse de la nature et de sa richesse, des paysages et de leur beauté, supplante le productivisme qui a mis les agriculteurs à genoux.

Illustration 10

. Ferme des Mawagits : ici.

. ADEAR 32 : ici.

[Samedi 24 février]

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Illustration 11
La Ferme du Raguet et ses chèvres alpines

Ferme située à Riguepeu. Visite commentée avec Agnès : quatre associés Romain, Agnès, Roxeanne et Rodolphe, sur 35 ha, 90 chèvres de race alpine, propres, aux belles cornes, pâturant dans un pré, avec complément de foin et de céréales dont pois et féveroles ; quelques vaches galloway (de taille réduite, noires ceinturées de blanc, aux poils longs, ne se nourrissant que d’herbe, abattues après 4 années, bonne viande rouge persillée) ; une vingtaine de porcs noirs (nourris en partie du petit lait de la fromagerie) batifolant dans des bois environnants (5 ha).

Illustration 12

Dès l’arrivée, spectacle de Roxeanne donnant le biberon à un chevreau né dans la nuit (parmi une dizaine d'autres). Puis on assiste à la mise-bas d’une chèvre, en l’espace de deux minutes environ, avec l’aide d’Agnès, qui doit empêcher une autre chèvre d’approcher, car elle prend ce nouveau-né pour le sien. Agnès, comme Noémie (Calais) et Nicolas (Petit), revendique de pouvoir abattre ses animaux plutôt que de les emmener loin dans des conditions stressantes pour les porcs à l'abattoir de Boulogne-sur-Gers (découpe, ensuite, à la CUMA de Seissan, comme Noémie). Vente des fromages en magasins (dont Biocoop) et marchés d’Auch du jeudi et Muret (31) du samedi matin.

Illustration 13

[Dimanche 26 février 2023]

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La Ferme du Guillot et ses belles mirandaises

Illustration 14

Ferme située à Saint-Arailles. Visite avec Femke qui reprend progressivement la ferme de ses parents Dorine et Reinout Nauta,  60 ha de pâture et culture. 80 brebis basques pour le fromage (les agneaux, eux, sont vendus au marché d’Hasparren) : chacune produit en moyenne 1,5 litre par jour (il faut 6 litres pour un kg de fromage). Visite de la salle de traite. Femke préfère aux brebis les vaches de l’exploitation qui étaient la spécialité de son père (même si elle a eu un jour un accident avec une vache). Ce sont des mirandaises, espèce rare : vaches allaitantes qui mettent bas un veau par an (vaches qui à l’origine étaient utilisées pour la traction animale, donc gras et viande persillée). Femke a un faible pour une celle qui par hasard porte le n° 3232... doublement gersoise ! Visite de la fromagerie, et dégustation du fromage de brebis excellent (à noter celui au fenugrec, petite légumineuse donnant un goût de noix). Vente en magasins (dont Biocoop), à Canopée à Sansan, à Marciac, aux marchés de Mirande (lundi matin) et Vic-Fezensac (vendredi matin).

Illustration 15

[Dimanche 26 février 2023]

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On parle parfois de l’agrobashing : pour le peu que je connaisse de l’agriculture, il me semble que cela vise plus spécialement l’agriculture intensive prônée par la FNSEA ou la Coordination Rurale (née dans le Gers, à Lussan) : fermes très grandes si ce n’est gigantesques, et usage massif d’intrants. Pour ma part, j’ai plutôt du respect et de l’admiration pour ces paysans, souvent bio et/ou plein air, sur des petites fermes, qui parviennent à en vivre (même s’ils et elles sont très peu soutenus par l’État et la PAC), qui aiment leur métier et leurs animaux. Et qui incitent les citoyens à s’interroger sur l’alimentation. Femke Nauta rêve non pas d’un retour au service militaire mais d’un service « alimentaire » ou « paysan », éventuellement obligatoire, où chacun apprendrait ce que sont la nature, les animaux, la culture de la terre et la nécessité d’en prendre soin.

. pour mémoire : Noémie Calais, éleveuse : ne pas trahir l'animal,  et Des paysans agressés par l'État et les industriels (Nicolas Petit). 

. Le Salon de la Ferme comprenait également cette année, le domaine de Herrebouc à Saint-Jean-de-Poutge, la Ferme de Bidouze à Réans, et l’an dernier la Ferme de Las Lebes (Castelnau-d’Arbieu) et La Ferme de Canopée (Sansan).

. Visites effectuées aux dates indiquées entre crochets.

. Toutes les photos (exceptée la première qui vient du site du Collectif Fermier des Arbolèts), sont d'Yves Faucoup.

Billet n° 792

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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