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Billet de blog 8 octobre 2021

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Déconjugalisons-nous, Folleville !

Bataille autour de la « déconjugalisation » de l’allocation adulte handicapé : ne plus retenir les revenus du conjoint. Même la droite LR s’y met ! Pourquoi pas pour le minimum vieillesse et le RSA : chiche !

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Illustration 1
Manifestation de l'APF France handicap, 16 septembre [Photo YF]

Les minima sociaux concernent 4 millions de foyers en France : les allocations principales sont le RSA (1,9 million d’allocataires), l’AAH (1,2 million), l’ASPA ou minimum vieillesse (570.000) et l’ASS ou allocation de solidarité spécifique (presque jamais citée, du montant du RSA : 380.000 allocataires). Emmanuel Macron, depuis son arrivée au pouvoir, a fait progresser l’AAH et l’ASPA, de 800 à 903 euros. Aujourd’hui, il essuie une contestation, qui revendique la « déconjugalisation » de l’allocation adulte handicapé : elle devrait être versée sans tenir compte des ressources du conjoint. Son gouvernement oppose qu’il s’agit d’un minima social, c’est-à-dire d’une aide sociale, un revenu d’assistance et non d’assurance, un secours de la collectivité en faveur de citoyens qui souffrent d’un handicap mais n’ont pas cotisé (la Sécu verse, de son côté, une pension d’invalidité à ceux qui ont cotisé, qui, comme les indemnités journalières en cas de maladie, n’est pas soumise à plafond de ressources au sein du couple).

C’est assez cocasse de voir ce soudain engouement en faveur de l’individualisation d’une telle prestation. Et parmi ceux qui mènent combat, il y a le député LR, Aurélien Pradié, et Damien Abad, le président du groupe LR à l’Assemblée. Pourtant Les Républicains se sont bien gardés dans le passé d’instaurer une telle modification : en effet, elle est contraire à toute la conception de l’assistance chez la droite. Ainsi un parti qui n’a cessé d’exprimer son mépris à l’égard de celles et ceux qui survivent avec des revenus d’assistance (je pourrais en établir un florilège), parlant à tout bout de champ d’ « assistanat », vient revendiquer aujourd’hui l’assimilation d’une allocation en revenu individuel.

Illustration 2
[Photo YF]

Pour ma part, il y a belle lurette que j’ai défendu cette idée de non prise en compte des revenus du conjoint, pas seulement pour l’AAH mais pour tous les minima sociaux. Ce qui n’est pas expliqué dans les médias aujourd’hui c’est que l’AAH prévoit déjà une prise en compte  partielle des ressources du conjoint puisque le plafond annuel de ressources pour une personne seule est de 10.843 € (tout simplement 903 X 12), et pour un couple 19.626 € (ce qui implique, lorsque les deux membres du couple sont bénéficiaires d’une AAH, que l’une d’elle est amputée de 2060 €). Le revenu du conjoint (comme un salaire) est pris en compte après un abattement de 20 % : s’il gagne par exemple 1200 € par mois soit 14.400 € par an, avant de calculer le plafond de ressources (19.626 €), on effectue un abattement de 20 % sur ce salaire soit 2880 €. Le projet du gouvernement, arguant du fait que 20 % c’est bien plus profitable aux hauts revenus, prévoit un abattement de 5000 €, ce qui serait effectivement plus juste que ce qui est en vigueur. Mais il refuse l’individualisation de la prestation.

À noter que l’AAH peut être cumulée avec un salaire en ESAT (plafond : 1539 € pour une personne seule ; 2000 € pour une personne vivant en couple).

***

De son côté, l’ASPA prévoit un cumul de ressources mais limité à 16.826 € pour un couple. On voit bien dans ces deux cas que le principe général invoqué par le gouvernement a déjà fait l’objet d’adaptations, puisqu’il a été prévu pour certains minima sociaux, plus ou moins, un cumul de ressources.

Par contre, le RSA qui est d’un montant de 497 € pour une personne seule (une fois déduit le forfait logement quand il y a par ailleurs une AL, mais, par définition, aucune prime d’activité complémentaire) s’élève à 712 € pour un couple (toujours après déduction du forfait logement). Ainsi, un allocataire du RSA qui vit avec une personne percevant un salaire de misère mensuel à 800 € n’a pas droit au RSA ! Et là, silence (presque) total dans les rangs (médiatiques et politiques).

Illustration 3
[Ph. YF]

Il faut bien reconnaître que ces dispositifs sont complexes (tellement qu’un député à l’Assemblée vient de défendre la « déconjugalisation » avec des arguments pertinents, pour ajouter que le système actuel contraignait des femmes à rester en couple, quitte à être maltraitées, ce qui évidemment est ici hors de propos, puisque le dit-système incite justement à ne pas vivre en couple). Ces dispositifs sont marqués par la volonté des pouvoirs en place à bien les présenter comme des revenus d’assistance, donc limités. La solidarité familiale et donc conjugale devant venir compenser en partie la situation de celui ou celle qui galère.

Pour justifier une allocation (AAH et ASPA) plus élevée que le RSA, l’explication qui est donnée (y compris dans les associations de défense des personnes en situation de handicap) est le fait qu’au RSA la personne est censée retrouver du travail. Sauf que si cette remarque tient pour l’ASPA (minimum vieillesse), ce n’est pas totalement convainquant pour l’AAH car pour certains bénéficiaires elle n’est attribuée que pour une durée limitée (2 ans, 5 ans), éventuellement renouvelable. Par ailleurs, quand on compte 5 millions de citoyens sans emploi ou avec un emploi réduit, l’allocataire du RSA ne peut pas espérer retrouver un emploi rapidement (il faudrait pour cela que l’État mette en place des dispositifs autrement ambitieux, en matière de formation, d’emplois aidés et de contreparties aux exonérations et subventions dont bénéficient les entreprises).

Moralité : avec Eugène Labiche, proclamons toujours "embrassons-nous, Folleville", mais aussi déconjugalisons à tout crin. La société a évolué, les relations de couple aussi, on ne peut plus considérer qu’une situation de vie commune entraîne de telles conséquences (perte de revenus). Ce serait plus intelligent et concret de remettre en cause la prise en compte des revenus du ménage plutôt que de ratiociner sur un éventuel revenu universel, à prévoir aux calendes grecques. Toute personne, ne travaillant pas parce que handicapée, sans emploi ou ayant l’âge de la retraite devrait bénéficier d’un revenu minimum équivalent au seuil de pauvreté. Le coût d’une telle réforme est à évaluer mais serait bien inférieur à ce que l’État a déboursé pour le CICE (et ne parlons pas des dépenses astronomiques engagées sans hésitation pendant la crise sanitaire). Le plus coûteux serait le quasi-doublement du RSA : cela représenterait autour de 10 milliards, soit à peine ce que l’État a perdu avec la baisse de l’impôt sur les sociétés (dans la foulée, rappelons que les suppressions de l’ISF et de la taxe d’habitation ont entraîné 25 milliards de pertes fiscales).

Illustration 4
[Photo YF]

Il est clair que les associations militant sur le handicap sont actives et efficaces, bien plus que celles œuvrant pour la défense d’un revenu décent pour les sans-emploi. En attendant qu’un tel revenu s’étende à tous les minima sociaux, le revendiquer pour l’AAH est fondé, en ayant bien pour perspective que si c’était mis en œuvre, cela justifierait rapidement de l’étendre aux autres minima. C’est bien ce que le gouvernement explicitement redoute, lui qui, avec sa contre-réforme du chômage, aggrave considérablement les conditions de vie des chômeurs. Il craint, et avec lui tout une partie de la classe politique, qu’un RSA établi à un niveau permettant un minimum vital contraignent de fait à augmenter le Smic. Pour éviter cela, les Bertrand, Bellamy et autre Wauquiez préfèrent affirmer jusqu’à plus soif et contre toute vérité qu’en ne travaillant pas on perçoit davantage qu’en travaillant.  

Illustration 5
Manifestation des intermittents et précaires au printemps à Auch, Gers [Photo YF]

. Pour un revenu minimum à 900 euros individualisé, 14 avril 2021.

Billet n° 635

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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