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Billet de blog 11 avril 2024

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Madame Hofmann, une héroïne ordinaire

Le film de Sébastien Lifshitz met le projecteur sur Sylvie Hofmann, infirmière-cheffe dans un hôpital en surchauffe, pas pour la sanctifier mais pour révéler au public qu’il existe des êtres humains qui se donnent à fond dans leur travail auprès des autres. Pas des héros, des gens ordinaires qui résistent et agissent. [Rediffusion]

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On est plongé d’emblée dans l’effervescence d’un hôpital comme on l’a vu dans nombre de reportages, en particulier au moment du Covid. Les tests incessants, les masques et les blouses qui manquent, les arrêts de travail (nombreuses infirmières absentes), les plannings impossibles, les décès, les rapatriements de corps vers l’Algérie. Sylvie est cadre dans un service de cancérologie, sentiment d’échec quand un malade meurt : « tu culpabilises, qu’est-ce qu’on a loupé ». L’hôpital Nord de Marseille est en surchauffe, "on" lui prend des infirmières, tout le monde en a ras-le-bol mais il faut garder de l’empathie pour les patients mourants. Il faut rassurer les stagiaires, ne pas s’écrouler après la mort d’un enfant (Sylvie repense encore à un enfant mort dans son service il y a 40 ans). On la voit cependant davantage mobilisée dans la gestion du service qu'elle dirige que dans des actes de soin.

Sylvie se montre affairée sans perdre son humour. On la voit dans des moments tendus mais lorsqu’elle parle face à la caméra son visage parait apaisé. Elle s’étonne presque d’avoir tenu 40 ans, alors qu’en moyenne une infirmière tient 8 ans : « j’étais jeune fille insouciante et j’ai vieilli d’un coup », on nous prend parfois pour des robots, parce qu’on ne montre pas ce que l’on ressent. Malade, elle a été atteinte de surdité et se demande si ce n’était pas aussi un moyen de se couper du monde (« j’ai dû fermer les écoutilles »).

Elle dénonce les manques de l’hôpital, le fait que des médecins intérimaires sont recrutés à 2500 ou 3000 euros par jour.

Elle a de l’humour mais elle a de qui tenir. Sa mère, 85 ans, qui travailla jadis à l’hôpital de la Timone est trop drôle. Elle refuse une alarme portative (« c’est pour les vieux » dit-elle, « si je suis évanouie, je ne pourrai pas appuyer dessus »). La mère et la fille plaisantent sur leurs cancers (sur France Inter, le 10 avril, Sylvie a confié que sa mère lui avait dit : « tu feras tes cancers les uns après les autres, il n’y a pas de raison de t’inquiéter »). Mais les propos détachés ne signifient pas absence de lucidité : elle n’ignore pas que « sur cette planète on est là pour souffrir ».

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Le film est très bien construit, on est fasciné par la capacité d’un cinéaste à réaliser une œuvre à partir d’un objet connu où il pourrait rater sa cible. Il sait mettre l’accent sur Sylvie, sans la sanctifier. Elle est humaine, terriblement humaine et peut ainsi symboliser d’autres, nombreuses, qui sont engagées comme elle. La maladie est présente partout dans ce film : à l’hôpital bien sûr, mais aussi à la maison (sa mère, son père, sa compagne et elle-même). Cette omniprésence de la mort, étrangement, ne nous conduit pas, à la fin du film, à la dépression : on a approché de belles personnes. Et la rencontre qui suit la projection avec Sébastien Lifshitz nous confirme que lui-même est porteur de belles valeurs.

Rencontre avec Sébastien Lifshitz :

Madame Hofmann a été présenté en avant-première au Festival Indépendance(s) & Création à Ciné 32 à Auch le 6 octobre 2023, en présence du réalisateur.

Illustration 3
Sébastien Lifshitz, à Ciné 32 à Auch le 6 octobre 2023 [Ph. YF]

Sébastien Lifshitz voulait réaliser un portrait de femme en lutte, éventuellement seule avec enfant. Il a recherché une infirmière, quand soudain la pandémie de Covid-19 est tombée sur le pays. C’était impossible d’aborder un hôpital, devenu une véritable forteresse. Sylvie Hofmann avait été contactée et devait fournir des noms. Elle était elle-même très marquée par la première phase du Covid, ayant fait un AVC et ayant perdu l’ouïe. Un casting a démarré mais Lifshitz était très tenté par Sylvie et sa sincérité. Il a rencontré son équipe, ça été alors une évidence, il a senti qu’il y avait un film à faire. Sylvie, quant à elle, a été très surprise, trouvait que c’était insensé, qu’elle ne présentait aucun intérêt, mais étant assez joueuse, aventureuse, elle a accepté car ça l’amusait. Le but n’était pas seulement de tenir la chronique sur une année de la vie d’une femme qui s’est donnée sans compter mais aussi sur l’hôpital.

La mère de Sylvie, Micheline, s’est montrée comme elle, merveilleuse : punchline sur punchline, humour irrésistible, bien qu’elle ait été confrontée à de graves problèmes de santé. Le contact avec la compagne de Sylvie et sa fille ont été plus difficiles mais elles se sont adaptées.

Sylvie a créé un service à son image. Son équipe a joué totalement le jeu : la situation sanitaire était telle qu’au cours du tournage, qui a duré un an, la présence de la caméra a été le cadet de leurs soucis. Le réalisateur note cependant qu’il travaille de façon très discrète (caméra et ingénieur du son). Au début, il y a bien eu une tentative de certains de vouloir donner une image fantasmée d’eux-mêmes, on est à Marseille, verve, spontanéité, vannes, mais au fil du tournage chacune n'a plus montré que ce qu'elle est réellement.  Avec les malades, leur accord était sollicité. Le Portugais qui proteste a accepté, peut-être en considérant que la caméra serait témoin de ses revendications. Interrogé sur certains aspects apparemment fictionnés, Sébastien Lifshitz explique qu’il capte le caractère naturel de Sylvie, personne n’a appris un texte, mais au montage il cherche la fiction même s’il s’agit bien d’un documentaire.

Les gens de la génération de Sylvie se demandent s’ils ont bien fait de se donner autant. L’hôpital a un réel coût humain sur la santé de ses agents. Il n’est pas certain que les nouvelles générations accepteront de payer ce coût, elles pensent autrement. Il y a la concurrence du privé. Si l’hôpital s’effondre, cela posera un problème à la Nation tout entière. Ce n’est plus possible que la République poursuive avec un tel effondrement dans la santé, l’éducation.

Le réalisateur pouvait rester un mois sans venir à l’hôpital mais il a engrangé 150 heures de rush. Beaucoup de scènes filmées étaient sans Sylvie : lors d’une première projection cela s’est avéré problématique, malgré la qualité des scènes (il avait capté les propos des internes sur l’état de l’hôpital aujourd’hui, cela avait en soi un grand intérêt mais n’était plus axé sur Madame Hofmann). Sylvie, en voyant le film final un an après la fin du tournage (après avoir été opérée et avoir voyagé), a dit sa surprise en constatant qu’il y avait bien « une histoire » et cela l’a rendue très heureuse. Elle n’a pas eu un rapport narcissique à son image. Elle est comme un personnage de fiction, c’est une héroïne de film. Il y a une part fantastique dans chaque vie, une part romanesque et c’est pourquoi il faut une musique adaptée (là, celle de Grégoire Hetzel). C’est en cours de tournage qu’elle a annoncé qu’elle prenait sa retraite. Elle a le sentiment qu’au fil du temps elle s’est construit une carapace, qu’elle n’est pas telle qu’elle aurait aimé être, elle s’est endurcie. Elle voit bien que les nouvelles générations se protègent, ce qu’elle n’a pas su faire. Sébastien Lishitz pense que c’est certainement la raison pour laquelle elle se montre si humaine, si intuitive, sachant faire preuve d’une grande psychologie.

Sébastien Lifshitz a témoigné avoir visité d’autres services hospitaliers et a repéré combien l’infirmière-cadre est la clé de voûte, ce que l’on repère immédiatement. Quand ce n’est pas le cas, le service n’a pas de cohésion. Que de services dans le secteur social, médico-social et sanitaire sont concernés par cette remarque : le mal-être qui y règne est bien sûr lié essentiellement au manque de moyens accordés, mais aussi à une mauvaise organisation et à un management déficient. Sylvie a indiqué lors d’une interview qu’il fallait ruser pour laisser entrer les familles pendant le Covid pour qu’elles voient leurs proches mourant avant qu’ils ne partent. On pourrait dire aussi que la claustration imposée mécaniquement, selon des protocoles mal pensés, a mis des malades en difficulté et a pu anticiper leur mort. On n’a pas fait encore le bilan de la gestion de l’hôpital pendant la pandémie.

MADAME HOFMANN | Bande-annonce © AD VITAM

Billet n° 797

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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