Réformer la réforme, étymologiquement, ce serait la corriger, la rectifier, la changer en mieux, retrancher en elle tout ce qui est nuisible, ou carrément la mettre au rebut. On ne révise pas à la légère un système social, on ne retraite pas impunément les retraites, si l’on méprise délibérément la démocratie sociale (voir plus loin le propos d’Alain Supiot).
Réforme injuste : la preuve !

Agrandissement : Illustration 1

La Commission Mixte Paritaire (CMP), réunissant 14 sénateurs et députés, n’a pas retenu la possibilité pour celles et ceux qui ont travaillé avant 21 ans de pouvoir partir en retraite après avoir totalisé 43 années de cotisation, et pas un jour de plus. La droite macroniste et ciottiste n’a pas lâché prise, confirmant que la réforme deviendrait quasiment sans effet si cette possibilité avait été retenue. Confirmant par la même occasion qu’il s’agissait bien, comme on a été quelques-uns à le dire dès le début, qu’elle vise à pressurer celles et ceux qui ont les plus faibles salaires et donc les plus petites pensions (10 milliards d’euros sur leur dos). N’oublions pas les explications alambiquées d’Olivier Dussopt pour endormir l’Assemblée, où une partie n’a rien compris mais l’a acclamé croyant plus ou moins qu’il avait concédé le départ à 43 ans de cotisation pour ceux qui ont commencé à travailler tôt.
Par ailleurs, la CMP a accepté, pour plaire à LR, de créer un CDI de fin de carrière (de façon expérimentale sur un an pour inciter les employeurs à embaucher des séniors). De quelle façon ? En ponctionnant sur les cotisations de la branche famille (soit 800 millions d’euros par an). C’est-à-dire qu’on a une réforme qui s’attaque aux catégories sociales les moins favorisées et contribue à détruire notre système de protection en réduisant le budget de la Sécurité sociale (dont la CAF). La totale.
[16 mars]
Retraites : p’tite chronique avant manif

Agrandissement : Illustration 2

Pour se faire une idée de la validité des annonces de déficit du budget retraite, je ressors la version papier du Monde du 13 juin 2020, qui indiquait en Une que le déficit selon le COR serait de 29,4 milliards d'euros [Md€], année du Covid (moindres rentrées de cotisations malgré la hausse des décès de retraités). Ce chiffre a finalement été ramené à 14 Md€, dont on ne nous a presque pas parlé (il y avait tellement d'autres dépenses et d'autres déficits). Soit une erreur de calcul de 15 milliards, mazette ! Par ailleurs, on le sait, on nous annonçait un déficit en 2021 et 2022, alors que le budget retraite a été en excédent ces deux années.
On nous dit que dix éventuels milliards de déficit dans quelques années c'est la cata, alors qu'on lit, toujours dans Le Monde mais aujourd'hui 15 mars 2023, que le total des dons philanthropiques s'élevait en 2019 à près de 9 milliards, bénéficiant pour une grande part aux plus riches, pour contourner l'IFI (impôts sur la fortune immobilière) avec remboursement à 66 % par l'Etat (les mêmes riches qui économisent chaque année 4 à 5 Md€ d'ISF supprimé).
Autre remarque : Bruno Retailleau ce matin sur France Inter (sénateur LR), milite pour que la réforme passe, invoquant son souci de la sauvegarde du système par répartition (alors qu'il n'en a rien à faire, l'idéologie que son parti véhicule étant contraire à cette notion de solidarité, bien plus favorable à une capitalisation, individualiste, système qui est tapi dans l'ombre et qui attend le moment pour s'imposer en France si les défenseurs des droits sociaux ne réagissent pas). Il ajoutait que la réforme Fillon de 2010 [âge de départ à 62 ans] n'avait pas été modifiée par la "gauche" (Hollande) qui avait même durci la situation avec la loi Hollande-Touraine (43 années de cotisations). Il a raison : cette gôche-là a aggravé la situation.
Enfin, Gabriel Attal, le 13 mars toujours sur France Inter, laissait entendre en gros que c'était grâce à la CFDT que les manifestations étaient calmes, avec son « grand dirigeant » (Laurent Berger). Et aujourd'hui, Bruno Retailleau dit qu'il a beaucoup d'estime pour Laurent Berger « parce qu'il vient de l'Ouest comme moi » ! Comme s'il fallait s'enfoncer dans le ridicule, à une auditrice pas convaincue sur le déficit, il répond que le budget d'un foyer ne doit pas être en déficit et ajoute : « ce qui vaut pour une famille vaut pour une nation ». On peut difficilement faire plus imbécile comme commentaire. Et ce genre d'individus prétend vouloir gouverner la France !
[15 mars]
Travailler plus parce que l’espérance de vie s’accroît ?

Agrandissement : Illustration 3

Depuis longtemps, les tenants de mesure restrictives des droits sociaux en matière de retraite invoquent la démographie (moins de cotisants pour un retraité) et une espérance de vie qui s’accroît. Argument qui fonctionne auprès de beaucoup de gens, parce qu’il semble frappé au coin du bon sens, selon une arithmétique quelque peu simpliste. Or en 1950, l’espérance de vie moyenne était de 66 ans, aujourd’hui elle est de 82 ans (2020) soit 16 ans en 70 ans. Est-ce qu’il a fallu augmenter l’âge de départ d’autant ? Que nenni. Certes des mesures contestées d’économie ont été prises mais on est aujourd’hui encore à 62 ans âge de départ alors qu’il était à 65 ans en 1950 : malgré la « démographie », le budget des retraites est globalement équilibré (ce qui signifie qu’il a été en partie admis que le progrès technique doit se transposer en progrès social, malgré tous les freins imposés par ceux qui cherchent toujours à accroitre leurs profits au détriment du plus grand nombre). D’autres mesures auraient pu être prises, comme la hausse des cotisations et/ou une taxation sur d’autres revenus que ceux du travail, pour une mesure sociale profitant à terme à tous les citoyens, accroissant les conditions de bien-être. Je n’y reviens pas, cela a été largement explicité, on sait que la classe sociale dominante se préoccupe davantage de ses propres intérêts que de ceux de l’ensemble de la population. Ils ont beau jurer leurs grands dieux qu'ils veulent seulement sauvegarder le système par répartition ils ne peuvent convaincre que les naïfs qui croient que tel est leur conception du modèle social.
Revenons à l’espérance de vie : en passant c’est étrange que l’on dise si peu que cette espérance de vie est différente selon les professions et aussi selon les sexes. On connait l’argument concernant la différence entre les cadres et les ouvriers : plus de six ans ! Cela pèse un peu dans les discussion sur les carrières longues, sachant que ceux qui ont commencé tôt sont plutôt les ouvriers qui profiteront de beaucoup moins d’années en retraite. D’où quelques concessions en la matière, qui ont agité le microcosme (les 43 ans de cotisations pour ceux qui ont commencé avant 20 ans).

Agrandissement : Illustration 4

Mais entre les hommes et les femmes, la différence est de six ans pile (79,1 pour les hommes, 85,1 pour les femmes, en 2020). Est-ce que ceux qui ne cessent d’affirmer que, quand même, puisque l’on vit plus longtemps on devrait travailler plus longtemps, sont prêts à décréter que les femmes devraient travailler plus longtemps que les hommes ? Ils redoutent sans doute le tollé que cela engendrerait, donc, pour le moment, ils s’en gardent bien.
Sauf que sur France 5, dans l’émission C l’hebdo samedi (11 mars), Eugénie Bastié, journaliste BCBG du Figaro (que L’Express avait comparée à Éric Zemmour en 2017 alors qu’elle s’épanchait sur le fait que, selon elle, les femmes étaient « moins performantes » que les hommes), assénait que le patriarcat n'existe plus (puisque le droit ne reconnait plus de différences entre hommes et femmes) et tentait de lister les inégalités… en faveur des femmes : les garçons ont plus de retard scolaire que les filles dans les pays de l’OCDE, les femmes bénéficient de la parité (donc pas forcément pour leurs compétences). Et surtout l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes. Elle considère que si c’était l’inverse, il y aurait eu des manifestations pour s’en offusquer.
Certes, elle ne revendiquait pas de prendre en compte ce fait dans la fixation de l’âge de départ en retraite mais il faut bien imaginer que des tenants de la droite ont certainement ça en tête : il est d’ailleurs étonnant qu’ils ne l’invoquent pas pour le moment alors même qu’ils veulent inciter les salariés à travailler jusqu’à un âge avancé en invoquant le fait qu’ils vivent plus longtemps. Fort heureusement, dans un système par répartition, c’est-à-dire marqué fortement par la notion de solidarité, on ne prend pas en compte l’espérance de vie de chacun (il en est tout différemment dans la capitalisation qui, par définition, tient compte des parcours individuels, système qui a les faveurs de la droite, quoi qu’elle en dise). Par ailleurs, l’espérance de vie en bonne santé, on le sait, plafonne… à 64 ans ! En dix ans, l'espérance de vie moyenne a gagné un an (de 81 à 82 ans) tandis que, si la loi passe, l'âge de départ en retraite aura progressé de quatre ans !
[13 mars]

Agrandissement : Illustration 5

Pourquoi la clause du grand-père n’est pas généralisée ?
Les régimes spéciaux sont au nombre de 42 qu’ils disaient. En fait, ils faisaient feu de tout bois, prenant en compte tout ce qui pouvait passer pour un régime : en réalité il n’y en a "que" 17. Finalement, à ce jour, à l’Assemblée et au Sénat, 5 régimes "seulement" ont été supprimés dont l’un, pour les membres du CESE (Conseil économique social et environnemental) ne compte que quelques centaines de retraités et à peine plus de 200 cotisants. Mais n’ont été modifiées ni la caisse des ministres des cultes (les religieux) ni celle des sénateurs !
Les 5 régimes supprimés sont de création ancienne pour répondre à des conditions de travail particulières. Ils étaient pour la plupart le résultat de luttes sociales avant même l'invention de la Sécu. Est-ce que les salariés de ces secteurs perdront les avantages du régime auquel ils pensaient avoir droit ? Que nenni ! C’est ce qu’on appelle "la clause du grand-père" : seuls les nouveaux embauchés perdront ces droits plus avantageux et seront soumis au régime général. L’article 1 du projet de loi ne sera donc applicable que dans 43 ans ! En 2066, diable !

Agrandissement : Illustration 6

Et pourquoi la réforme ne s'applique pas tout de suite ? Parce que le pouvoir redoute que le tollé soit plus grand encore si cela devait concerner celles et ceux qui sont en fonction, qui pourraient de ce fait être plus nombreux dans la rue. Et quel est l’argument pour agir ainsi : ces salarié.es ont été recruté.es en ayant l’information selon laquelle ils auraient droit à une pension à un âge et avec une durée de cotisation inférieurs à ce que prévoit le régime général.
Très bien. Mais les générations qui ne relèvent pas de régimes spéciaux, qui sont nées à partir de septembre 1961, qui ont commencé à travailler au début des années 80, pourquoi ne pourraient-elles bénéficier de la "clause du grand-père" ? Ces générations sont impactées par la réforme des 64 ans (elles devront effectuer progressivement des trimestres en plus jusqu’à deux ans, pour celles nées en 1968), il en est de même pour celles qui devront anticiper la durée de cotisation de 43 années (applicable dès 2027). Elles ont été trompées : déjà en activité, elles ont longtemps espérer partir à 62 ans, avec 43 ans de durée de cotisation seulement en 2035. Ne sont-elles pas légitimes elles aussi à crier au non-respect des engagements initiaux ? Et je ne parle pas des réformes précédentes qui ont consisté de la même manière à ne pas respecter le contrat social qui était passé, en modifiant la "règle du jeu" en cours de parcours.
[6 mars]
Ne pas mépriser la démocratie sociale

Agrandissement : Illustration 7

Alain Supiot, juriste, ancien professeur au Collège de France, est une personnalité renommée et estimée, ayant publié de nombreux ouvrages. L’un porte sur La Gouvernance par les nombres (l’espace public est saturé de discours économiques et identitaires qui croient pouvoir fonder une harmonie sur le calcul, les chiffres, les stats), un autre, collectif, sur La Solidarité (enquête sur un principe juridique), ouvrage de référence, copieusement documenté. Il a publié hier dans Le Monde une tribune qui invite le gouvernement à « se garder de mépriser la démocratie sociale ».
En effet, notre démocratie ne repose pas seulement sur la représentation parlementaire. Il conteste que l’on puisse aborder la question de l’âge de la retraite comme une donnée comptable. Il défend le rôle des syndicats qui ont, certes, des défauts, mais « ont de la réalité des conditions de vie et de travail de l’ensemble de la population une connaissance dont aucun parti ni commentateur politique ne peut aujourd’hui se prévaloir ». D’ailleurs, la loi prévoit que tout projet de loi intéressant les relations de travail fasse l’objet d’une négociation préalable avec les organisations représentatives des salariés et des employeurs (article 1 du Code du travail). Sauf que « l’esprit s’en est envolé, emporté par le souffle du credo néolibéral ». C’est ce qui s’est passé avec cette réforme des retraites abordée selon la procédure des lois de finances « pour couper court à toute négociation ».
. Un gouvernement avisé doit se garder de mépriser la démocratie sociale.
[17 mars]

Agrandissement : Illustration 8

Défaire méthodiquement le programme social de la Résistance
Souvenons-nous des propos de Denis Kessler, n° 2 du Medef déclarant dans le magazine Challenges du 4 octobre 2007 :
« Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer. (...)
Prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception (...). Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
Ce compromis (...) se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc.
Cette «architecture» singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d'un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous ses partenaires ».
Il faut donc désavouer le modèle social hérité de la Résistance et ceux qui la représentaient : « Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse », conclut intelligemment cet homme qui fut l’âme damnée du patronat.

Agrandissement : Illustration 9

. Certaines chroniques, suivies d'une date entre crochets, sont parues dans une version à peu près identiques sur mon compte Facebook.
Billet n° 727
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup