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Ainsi Emmanuel Macron a prévu dans son programme que les gens aux RSA devront effectuer 15 à 20 heures par semaine dans une activité. Il le justifie par le fait que c’est ce qui a été prévu pour les jeunes avec le contrat d’engagement, car il ne s’agit pas, dit-il, de traiter la pauvreté par des prestations. Sans vergogne, il bascule dans la phraséologie d’une droite dure et d’une extrême droite qui n’ont cessé depuis plus de 30 ans de colporter que celles et ceux qui sont condamnés à faire appel à l’assistance (RMI puis RSA) pour survivre étaient des profiteurs et qu’il fallait les faire bosser. C’étaient les attaques du Front National, de Laurent Wauquiez… et de certains présidents de Conseils Départementaux qui cherchaient de façon démagogique à désigner les plus démunis pour les présenter comme des profiteurs, quitte à être retoqués par le Conseil d’État quand ils allaient trop loin.
Or le principe d’un engagement lié au versement du RSA n’est pas une invention de Macron : c’est prévu depuis l’instauration du RMI (1988), repris dans la loi du RSA de 2008. Si ce n’est pas appliqué ou insuffisamment appliqué ce n’est pas parce que les personnes concernées refuseraient des solutions d’insertion, mais parce que l’emploi manque, parce que l’accompagnement ne dispose pas des moyens nécessaires. Emmanuel Macron, dans son Plan de pauvreté en 2018 avait promis de mettre l’accent sur l’accompagnement. Parole en l’air comme tant d’autres promesses. Ce matin, Christophe Castaner, de sa voix mielleuse habituelle, disait sur France Inter que l’idée de l’insertion était là dès le début quand Michel Rocard a créé le RMI. Exact, donc il n’y a pas besoin de nouveaux textes, il suffit d’appliquer ceux existants. L’affichage de Macron, qui sans doute ne sera même pas en mesure de réaliser ce qu’il annonce, est pure démagogie, discours indigne d’exclusion à la sauce Sarkozy qui, en son temps, a procédé de la même manière.
Aujourd’hui, il faut que ce soit Marine Le Pen qui conteste que l’on puisse accuser les chômeurs d’être responsables de leur situation : ce n’est pas leur faute, déclare-t-elle ce matin sur France Inter. Elle estime à éventuellement 5 % de fraudeurs, de chômeurs qui abusent (ce qu’elle n’a jamais dit jusqu’alors, ne se privant pas à une époque de s’en prendre avec mépris aux « assistés »). Ainsi, dit-elle, 95 % des chômeurs cherchent du travail. On croit rêver. Malheureusement, bien sûr, son racisme atavique fait qu’elle dit vouloir ne verser le RSA aux immigrés que s’ils ont 5 ans d’ « équivalent temps plein » sur le sol français (sans doute sans interruption). Là encore, comme Macron, pure propagande car c’est en partie déjà le cas (comme pour bien d’autres prestations d’aide sociale). Le journaliste de la radio lui demande naïvement si ce n’est pas contraire à la Constitution !
Moralité : tous ces discours ne sont pas volonté d’avancer sur les questions sociales mais instrumentalisation démagogique de ce que subissent les plus démunis. [18 mars]
. voir copies des articles du Code de l’action sociale et des familles en fin de billet.
Pourquoi pas « RSA jeunes » ?
Le contrat engagement jeune (CEJ), de 6 à 12 mois, consiste en un accompagnement personnalisé (Mission Locale) avec un conseiller dédié, avec 15 à 20 heures par semaine composé de divers types d’activités et une allocation de 500 euros par mois.
Valérie Pécresse a déclaré le 17 janvier qu’il s’agit selon elle d’un RSA jeunes, d’une « faute politique », car la rémunération à 500 euros ne serait pas suffisamment différente des 650 à 800 euros perçue par les apprentis. Elle avait du coup sorti la ritournelle habituelle : « il faut que le travail paie plus que l’assistanat ».

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Aujourd’hui, les médias nous annoncent la mise en œuvre de la mesure ce 1er mars : ce ne serait « surtout pas un RSA jeunes, car il ne faudrait pas que ce soit de l’assistanat, car là il y a accompagnement », nous dit-on.
Nouvelle façon d’afficher officiellement le mépris envers les citoyens condamnés à devoir faire appel au RSA (on sait que beaucoup ne le demandent pas, à cause, entre autres, de ce mépris affiché et des risques de devoir reverser des indus, des erreurs étant fréquentes de la part des organismes attributaires). La loi sur le RMI de 1988 et celle sur le RSA de 2008 n’ont pas prévu une allocation sans contrepartie. Chaque bénéficiaire doit faire l’objet d’un accompagnement social et/ou professionnel. Si souvent ce n’est pas le cas, ce n’est que rarement la faute des allocataires mais bien plutôt de tout le dispositif qui ne dispose de moyens suffisants pour assurer un réel suivi avec activités, formations, projets (comparable à celui qui sera peut-être en œuvre pour le CEJ). Décidément, aucune occasion n’est ratée pour humilier celles et ceux qui galèrent par la faute d’un système économique qui ne leur donne pas la place à laquelle ils et elles ont droit. [1er mars]
Des fossoyeurs ou des charognards ?
La lecture du livre de Victor Castanet (Les Fossoyeurs) est édifiante : non seulement à propos des conditions de vie qui sont imposées aux pensionnaires des Ehpad du groupe privé Orpéa mais aussi et surtout pour le travail du journaliste qui décortique par le menu les pratiques de ces gestionnaires cherchant à tout prix à faire du profit, y compris sur des produits financés par le public, en imposant au personnel, y compris cadres, des conditions insupportables. Travail colossal mené par un homme seul pendant trois ans, qui devrait entraîner des poursuites judiciaires car certains faits révélés tombent sous le coup de la loi. On se dit que des inspecteurs des ARS auraient dû mener ce genre d’enquête : ils ont d’autres moyens d’investigations. Or ils ne l’ont pas fait et surtout ils ont entravé les tentatives de Castanet d’en savoir plus. Souhaitons que l’impact de ce livre ira au-delà des quelques jours où les médias ont semblé s’intéresser vraiment à l’affaire.
Voir dans cette vidéo le député LREM qui, sur CNews, déclarait de façon irresponsable que l’on venait juste de découvrir une crise dans les Ehpad avec la parution de l’ouvrage Les Fossoyeurs, alors que divers articles ont déjà mis le doigt sur le problème mais surtout qu'un rapport de 2018 co-rédigé par une députée LREM, Monique Iborra, et une députée LFI, Caroline Fiat, avait soulevé le manque crucial d’effectifs et le problème des profits faits par le secteur privé (19 Ehpad visités en France et 5 aux Pays-Bas et au Danemark). Ce qu’évoque Caroline Fiat dans cette vidéo. [24 février]
. rapport d'information parlementaire sur les Ehpad : ici.
. voir Orpea ou les chasseurs d’or de la silver-économie, YF, blog Social en question Mediapart, 28 janvier.
Non-recours aux droits sociaux
Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) publié le 11 février établit que 34 % des éligibles au RSA (revenu de solidarité active) ne le demandent pas. Soit 3 milliards non versés ! Presqu’autant que l’exonération à l’ISF pour les plus riches. On ignore le montant non réclamé de la prime d’activité (à noter qu’elle a permis d’élargir le champ des bénéficiaires car à l’époque du RSA activité, conçu par Martin Hirsch sous S

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arkozy, ils étaient 2/3 à ne pas le demander). Ces non-recours ont des causes diverses : la crainte d’être considéré comme « assisté » (les discours méprisants de certains politiques font effet ; la complexité de constitution des dossiers d’attribution ; la crainte de devoir rembourser suite à des indus).
Ce sont plutôt les personnes de moins de 30 ans, en couple sans enfant, diplômées, hébergées chez leur parent ou propriétaires de leur logement, résidant dans des communes rurales ou dans l’agglomération parisienne, qui ne demandent pas le RSA auquel ils ont droit. Les montants des sommes ainsi non perçues sont du même niveau (330 € par unité de consommation) que pour ceux qui perçoivent l’allocation.
C’est un vrai problème, ancien, puisqu’il y a dix ans on était sur les mêmes proportions. Cela signifie que rien n’est vraiment fait pour faciliter l’accès aux droits. Au contraire, tout une phraséologie méprisante incite les gens à ne pas demander, à les culpabiliser (encore récemment les discours de Zemmour ou Pécresse vont dans ce sens). Des idéologues colportent des affirmations dénuées de tout fondement sur des abus.
Aujourd’hui, est-ce que pendant la campagne présidentielle, on va sur les estrades rappeler que parmi les plus pauvres autour de 600.000 foyers (mon évaluation) ne perçoivent pas leur dû ? [16 février]
. Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d’activité : méthode et résultats.
. et voir article de Faïza Zerouali sur Mediapart, 14 février : RSA : le scandale du non-recours.
985 morts pour le travail

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En 2020, alors que le Covid ralentissait l’activité économique, il y a eu cependant 550 accidents mortels sur le lieu de travail, 221 en s’y rendant, et 214 pour maladie professionnelle. En général, le nombre de décès au travail tourne autour de 700 soit 14 par semaine. Le nombre d’accidents se situe à environ 600.000 selon les années. Comme pour les accidents de la route, ces chiffres baissent année après année (1 million dans les années 50), mais restent tout de même élevés. Par ailleurs, des accidents restent non déclarés, idem pour les maladies professionnelles.
Étrangement, ce n’est pas un sujet qui passionne, peu de médias s’en font l’écho (à part ponctuellement quand un accident survient localement). Peu probable que ce soit abordé pendant la campagne présidentielle. On s’inquiète à raison pour d’autres décès, mais les accidents du travail [comme les suicides] semblent n’intéresser personne. D’une part parce que, comme l’indiquait la sociologue Véronique Daubas-Letourneux, dans Mediapart le 27 octobre dernier, le sujet n’intéresse pas trop les chercheurs, et aussi, comme le précise Philippe Bernard dans un article du Monde des 30-31 janvier (version papier), parce que les ouvriers y sont 40 fois plus exposés que les cadres et que, parmi les hommes, un ouvrier sur deux n’atteint pas 80 ans. Il faudrait que le monde ouvrier ait du poids dans la société et dans les instances dirigeantes et électives, pour que l’on en parle davantage et que les décideurs prennent véritablement en compte cette réalité cruelle. Et, comme une lectrice me le signale à raison, en plus Emmanuel Macron, dans son obsession "libérale", a supprimé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dont les délégués élus se consacraient exclusivement à ces questions. [2 février]
. Pour Romain, 17 ans, bûcheron, mort dans le Bas-Rhin en 2018, Teddy, 20 ans, manœuvre dans le BTP, mort à Béthune en 2020, Chahi, 41 ans, mort à vélo pour Uber Eats à Sotteville-lès-Rouen en 2021, Omar, 48 ans, ouvrier du BTP, mort à Villepinte en 2021…
. « Les accidents du travail tuent en silence », Philippe Bernard, Le Monde, 29 janvier.

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. La sociologue Véronique Daubas-Letourneux : « Le sujet des accidents du travail est invisibilisé », interview par Dan Israel, Mediapart, 27 octobre 2021.
. L’accident du travail est rarement accidentel, par Nadia Vargaftig, Libération, 30 septembre 2021.
. Santé au travail : dans les TPE, des salariés en moins bonne forme qu’il n’y paraît, par Mélanie Mermoz, L’Humanité, 23 octobre 2021.
. Accident du travail : silence des ouvriers meurent, compte Twitter de Matthieu Lépine, le prof qui recense les accidents du travail.
Le dépérissement de l’État social

Alain Supiot a été professeur au Collège de France où il occupait la chaire État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités. Il n’est pas connu du grand public mais c’est un grand monsieur : il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont l’un quelque peu ardu mais tellement documenté (100 pages de notes) sur La Gouvernance par les nombres où il décrit un espace public saturé par les discours économiques et identitaires. Il a dirigé également un ouvrage sur La Solidarité, Enquête sur un principe juridique (une véritable somme sur le sujet, une référence).
Le 28 janvier dans Le Monde (30-31 janvier pour la version papier), il critique vertement le gouvernement quant à sa politique envers EDF, car au lieu de restaurer le service public de l’électricité il oblige EDF à soutenir artificiellement ses concurrentes. Il dénonce la façon dont l’État a pris l’entier contrôle de la Sécurité sociale, lui imposant de s’endetter pour payer ses propres factures. Emmanuel Macron s’est employé à démanteler tous les statuts garantis par l’État. Au passage, il égratigne les élites du pays qui ont fait le choix depuis 30 ans de la financiarisation et de la désindustrialisation (à noter que ce sont les mêmes, qui ont organisé ces dégâts, qui font la morale aux autres, aux chômeurs par exemple).

Cette façon méthodique de détruire la république sociale va à l’encontre du beau projet initial : cela ne peut que conduire à la violence. Conclusion terrible de la part de ce spécialiste de l’État social : « Privés d’un tiers garant de leur état civil et professionnel, les humains se regroupent en tribus hostiles, selon une logique amis/ennemis qui est le degré zéro du politique et dont les médias nous donnent tous les jours le désolant spectacle ». [1er février]
. Le dépérissement de l’État social.
Repos hebdomadaire

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En France, le repos dominical tombe en principe le dimanche. Lorsque ce n’est pas le cas, le salarié a droit à une rémunération doublée. Evidemment, il existe un grand nombre de dérogations, comme dans les industries où « les matières [sont] susceptibles d'altération très rapide et celles dans lesquelles toute interruption de travail entraînerait la perte ou la dépréciation du produit en cours de fabrication » : dans ces cas, l’employeur a le droit d’instaurer un repos hebdomadaire par roulement. Idem dans une liste d’activités précisées dans le Code du travail (dont établissements de santé, internats, gardiennages, etc).
Par contre, le repos dominical (du dimanche) était jusqu’alors récupéré dans les établissements religieux, comme pour tout salarié hors de la liste. On me signale qu’un décret du 28 janvier (aucun média ne s’en est fait l’écho à cette heure) prévoit que les « établissements à caractère religieux » puissent déroger à titre permanent au repos dominical. Il aura donc fallu attendre janvier 2022 pour que les salariés bossant dans des institutions religieuses ne puissent plus bénéficier d’une majoration pour travail le dimanche. [31 janvier] ici
. articles du Code de l’action sociale et des familles [voir première chronique de ce billet] :

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. Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets.
Billet n° 667
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup