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Billet de blog 20 octobre 2023

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Faut-il recentraliser l’Aide sociale à l’enfance ?

Certains militent pour une recentralisation de l’Aide sociale à l’enfance, l’État s’interroge. S’il y a des failles dans la protection de l’enfance, un dispositif centralisé ne garantit nullement qu’il sera efficient.

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Précision préalable : avant les lois de décentralisation des années 1980, la protection de l’enfance dépendait des directions départementales des affaires sanitaires et sociales [DDASS] qui relevaient de l’État et donc directement du ministère des affaires sociales. La loi de 1986 a précisé les conditions de transferts de la compétence aux Départements. Il serait trop long de développer ici les raisons (car il y a eu alors débat) : j’en retiens deux, l’une cynique, l’autre entendable. La première est liée au fait que l’État préfère avoir à traiter de police, de justice, d’économie, d’affaires étrangères, et même de formation et d’éducation, mais pas de missions peu glorieuses telles que la lutte contre la pauvreté et la protection des enfants en risque de danger ou carrément en danger. Même les décisions prises par un juge des enfants au civil sont prises en charge financièrement par l’autorité départementale. La deuxième raison mettait l’accent sur l’importance d’une action sociale de proximité.

Dans Le Figaro du 11 octobre, la secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, laisse entendre que la protection de l’enfance pourrait être recentralisée. Son propos manque de clarté car elle dit que certains départements ont demandé que l’État se charge des mineurs étrangers : sauf qu’elle n’est pas favorable à deux types de prises en charge des enfants (« un enfant est avant tout un enfant »). Elle semble vouloir dissocier par contre les suivis selon la nature de la mesure, évoquant le fait que les placements sont sous décision de justice, ajoutant que, par ailleurs, la prise en charge médicale, scolaire et du handicap relève de l’État. Elle laisse entrevoir que la reprise en main de l’État pourrait porter sur la seule étape de l’évaluation. En gros, l’État déciderait ce qu’il faut faire et les Départements exécuteraient. J’ai l’intime conviction que jamais l’État ne reprendra cette mission, il s’agit vraisemblablement dans ces hésitations une manière de gagner du temps. Car, comme il est dit dans l’article du Figaro, à l’époque de la DDASS, la prise en charge des enfants en danger était loin d’être satisfaisante, les collectivités locales ont même plutôt amélioré l’action sociale de terrain que l’État négligeait. Ce qui est cocasse c’est que le quotidien de la droite française va chercher l’avis du directeur des Villages d’enfants, qui ne représentent qu’une partie infime de la protection de l’enfance (mais c’est médiatiquement plus vendeur), comme s’il était incapable d’interviewer des responsables compétents dans les Départements.

Dans le même ordre d’idée, la journaliste interroge Lyes Louffok (éducateur spécialisé, ancien enfant placé, qui se dit apprenti juriste) : il a fait un break pendant un an et vient de réapparaitre non seulement sur les réseaux sociaux, mais on apprend en lisant Le Figaro qu’il a été reçu à l’Élysée où il aurait évoqué la situation de l’Aide Sociale à l'Enfance [ASE], sans que l’on sache à quel titre. Déjà, il y a quelques années, il invoquait son entregent avec la première dame et le président pour obtenir qu’un secrétaire d’État à l’Enfance soit nommé ! Certes, ses contacts manifestement nombreux avec des enfants placés ou l’ayant été lui donnent une certaine légitimité, ainsi que sa propre expérience, même si son discours sur la protection de l’enfance montre qu’il n’en perçoit qu’un aspect, celui des situations graves où l’enfant, comme ce fut son cas, passe toute son enfance à l’ASE. Sauf que la protection de l’enfance est une notion bien plus large, qui comprend tous les enfants suivis à domicile, sans qu’il y ait nécessairement la perspective d’un placement, ou pour des placements de courte durée. Longtemps, lors de ses interventions publiques, il chargeait sévèrement les professionnels éducatifs, ce qui provoquait plus qu'un agacement dans le secteur. Il a depuis changé de discours.

Une recentralisation, défendue par certains qui ont appuyé Lyes Louffok dans cette idée, court le risque, si vraiment le gouvernement l’envisage, de casser tout une conception transversale de l’action sociale sur les territoires, y compris dans le domaine de la protection de l’enfance (et d’instaurer une véritable usine à gaz). Il ne s’agit pas de nier les problèmes, les différences entre les départements, mais rien ne dit que l’État ne fera pas pire. Il n’y a qu’à voir la grande défaillance de l’État sur le terrain de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie. Par ailleurs, ce n’est pas pour rien que le RN réclame une centralisation du RSA, afin de pouvoir un jour réduire des droits d’un trait de plume.

Illustration 1

Si la décentralisation a des défauts, il appartient aux politiques de définir ce qui pourrait être mis en place pour les éviter (éventuellement par un contrôle plus déterminé d’un ministère ou d’une inspection indépendante sur la façon dont est déclinée l’ASE dans les Départements). Mais on peut s’étonner que La France Insoumise [LFI], invitant Lyes Louffok à une table ronde lors de la Fête de l’Humanité en septembre, ait indiqué qu’elle soutenait l’idée d’une recentralisation de la protection de l’enfance. Je ne suis pas certain que LFI ait bien étudié la question, d’ailleurs je sais que des députés LFI ne sont pas au clair sur une telle mesure. Lors du débat, Mathilde Panot a ironisé sur les membres de la NUPES (PS ou PC), dirigeants de Départements, qui ne souhaitent pas une recentralisation car ils ne veulent pas perdre leurs prérogatives en la matière et le budget afférent, accusation qui me parait un peu courte. En tout cas, la décentralisation, a fortiori dans le domaine de l'action sociale et éducative, ne devrait pas être redoutée par des démocrates.

. vidéo du débat LFI à la Fête de L'Huma : ici.

« Abandonneriez-vous vos enfants après la majorité ? »

Illustration 2

Le mouvement Repairs de l’Adepape de Paris (Association départementale d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance) demande à ce que les mineurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) puissent être accompagnés « jusqu’à leur pleine inclusion dans la société ». La loi prévoit depuis longtemps (depuis 1975) que cet accompagnement est possible jusqu’à 21 ans, mais nombreux Départements, coupables, ont fait des économies en incitant les jeunes à être autonomes à 18 ans (sans parler évidemment des jeunes qui exigent eux-mêmes de ne plus avoir à faire avec l’ASE dès le jour où ils atteignent la majorité). Une nouvelle loi, du 7 février 2022, a contraint les Départements à proposer systématiquement aux mineurs relevant de l’ASE la poursuite de leur prise en charge jusqu’à 21 ans. Cependant, la moyenne d’âge des arrêts de prise en charge est 19 ans. Aujourd’hui près de 35000 jeunes majeurs sont pris en charge par l’ASE, en hausse suite à la loi, certains Départements n’ayant d’ailleurs jamais procédé à des sorties-couperet. Le combat de Repairs est de faire en sorte que davantage de jeunes bénéficient de cette prise en charge (hébergement, aide financière, accompagnement), et au-delà de 21 ans.

. Précision : le document de Repairs dit que 370 000 sont sous protection de l’Aide sociale à l’enfance, laissant ainsi entendre qu’ils sont à terme aussi nombreux à être concernés par les conséquences d’un arrêt de prise en charge à 18 ans. Or les mineurs physiquement pris en charge ne sont pas 370 000 mais 200 000. Ce dernier chiffre est en forte hausse ces dernières années : cet état de fait devrait interroger les politiques bien plus que nombre de débats subalternes qui agitent régulièrement le microcosme. Notre société va mal, à bien des égards elle est pathogène, des familles s’y prennent très mal avec leurs enfants (constats faits à l’école, en protection de l’enfance, en psychiatrie), la maison brûle mais on regarde ailleurs. Les autres enfants (170 000) font l’objet de suivis éducatifs et sociaux à domicile (sur décision d’un juge des enfants ou du président du Département avec accord des parents) : dans certains cas, ils peuvent avoir besoin d’un accompagnement après 18 ans, mais ils n’étaient pas hébergés par l’ASE et ne relèvent pas des dipositions prévues par la loi de février 2022.  

. Site de Repairs : ici.

Billet n° 760

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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