Les allocations familiales ont été créées par une loi de 1932, qui élargissait une pratique caritative ou paternaliste de certains employeurs (souvent chrétiens) mais les laissait sous gestion du patronat. Une législation dès 1938, mais surtout en 1945 généralise les allocations familiales, dont la gestion est intégrée à la Sécurité sociale. Elles sont accordées sous réserve de travailler, mais de nombreux textes font progressivement en sorte que ces prestations, à visée à la fois nataliste et de protection sociale, puissent bénéficier au plus grand nombre d’enfants. C’est une loi de 1975 qui prend acte de leur généralisation. Le Traité du social de Nicole Questiaux et de Jacques Fournier (Dalloz, 1976, 1101 pages), ouvrage de référence, dit : « la condition d’activité professionnelle a toujours été interprétée très largement, et de manière à n’exclure pratiquement aucun enfant résidant en France et remplissant les autres conditions : toute référence à la notion d’activité professionnelle est désormais supprimée depuis la loi du 14 juillet 1975 ; elle consacre ce qui était pratiquement un état de fait dans les habitudes françaises ».
Il y a fort à parier qu’un grand nombre de commentateurs, prétendus experts, journalistes, élus, membres du gouvernement, ne se sont jamais penchés sur les fondements de la protection sociale. À les entendre, ne cessant pas de dire que la législation française prévoit déjà des délais de présence sur le sol français pour avoir droit au RSA ou à l’ASPA (minimum vieillesse), on est en droit de penser qu’ils et elles ne savent pas que cette protection sociale se divise en deux : l’assistance (sur budget de l’État, les aides sociales) et l’assurance (Sécurité sociale alimentée par des cotisations sociales). Les allocations familiales relèvent, elles, du système d’assurance. Hier soir, Gérald Darmanin, prolixe et nerveux, répétait qu’il fallait bien 5 ans de présence en France pour pouvoir bénéficier du RSA et Elisabeth Borne était sur le même tempo ce matin sur France Inter (sans préciser que deux aides sociales, l'AAH et l'APA pour personnes âgées dépendantes, qui n'exigeaient pas de délai de présence, tombent sous les fourches caudines de la nouvelle loi). Des télévisions, comme LCI encore ce matin par un journaliste censé instruire le téléspectateur, commettaient la même erreur.
Il est vrai que les politiques familiales, y compris de la gauche ou surtout de la gauche, ont créé la confusion : quand Lionel Jospin supprime un temps le versement des allocs aux plus riches, il transforme les allocations familiales non pas en un droit social (lié à la présence d’enfants dans un foyer) mais à une aide sociale, une sorte de secours accordé aux pauvres. Idem avec François Hollande qui modifie les montants en fonction des ressources. Pour ma part, j’ai toujours dénoncé ce détournement, accru par le fait que la Sécurité sociale est souvent non plus seulement alimentée par les cotisations sociales mais par l’impôt. Il serait bien préférable de s’interroger sur le quotient familial qui permet à des foyers aisés des réductions d’impôts considérables sans que cela fasse la une des médias.
Les allocations familiales ne sont pas un secours, elles relèvent d’un budget abondé par les cotisations sociales. Parce que seuls les employeurs cotisent, une kyrielle de commentateurs ânonnent que ces prestations ne seraient pas contributives : que nenni, elles sont contributives, elles relèvent du salaire différé. Donc un salarié ne devrait en aucun cas être exclu de ce droit, sauf à faire de la préférence nationale, en un mot : du racisme. Et celui qui ne travaille pas, devrait également y avoir droit pour les raisons invoquées plus haut qui ont expliqué le pourquoi de notre législation sociale que l’extrême droite cherche à battre en brèche.
***
. Je profite de cette chronique inédite ci-dessus pour reproduire ci-après des petits textes publiés sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets.
Véran porte-élément de langage
Ce qu’il a dit :
Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement a déclaré aujourd’hui : « J’entends et je lis que lorsque vous conditionnez les prestations sociales à des délais de présence sur notre sol ce serait une entorse au principe d’universalité qui traduirait une forme de bascule dans une pensée de préférence nationale. C’est faux puisque c’est déjà le cas pour des prestations sociales telles que le RMI, c’était Michel Rocard qui en avait décidé ainsi, puis le RSA encore aujourd’hui, mais également pour la prime d’activité votée sous Hollande. J’en sais quelque chose puisque [je l’ai votée] qui n’est accessible pour les étrangers dès lors qu’ils ont 5 ans de résidence sur le sol et à l’époque je n’ai pas entendu de cris d’orfraie ou de contestation ».
Il reconnait cependant que « ce choix aujourd’hui ce n’est pas le nôtre », « il y a dans cette loi des choses que nous n’aimons pas, qu’une partie de la population française n’aime pas, que je n’aime pas mais qui ne nous déshonore pas ». Certaines de ces mesures, dit-il, ont plutôt tendance à gêner l’accès au travail des étrangers : « nous réinterrogerons certaines de ces mesures dans un avenir proche ».
Commentaire :
En 70 secondes, le ministre aligne beaucoup de bêtises, sans doute lisant une fiche préparée par un obscur collaborateur, ou rédigée par l’Intelligence Artificielle. Son argument est un élément de langage totalement fallacieux : il consiste à comparer Allocations familiales et aides sociales (type RSA et prime d’activité), il a été sans cesse répété par des députés, des sénateurs et des ministres, qui devaient disposer de la même fiche. Il n’y a pas eu de cris d’orfraie parce qu’il n’est pas rare qu’un délai soit instauré pour l’octroi d’une aide sociale qui a le statut de "secours", avec parfois des règles d’obligation alimentaire. Or cela n’a rien à voir avec les AF. D’ailleurs, même des aides sociales étaient sans délai d’obtention : l’AAH (allocation d’adulte handicapé) et l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie), pour lesquelles la nouvelle loi impose un délai de 5 ans. Mais on sent le malaise : pourquoi tient-il tant à nous dire qu’il a voté le texte sur la prime d’activité sinon pour nous confier combien il est social ? Pourquoi avouer que ce n’est pas leur projet et que lui-même ne l’aime pas sinon parce qu’ils s’attendent certainement à du grabuge en Conseil constitutionnel. Et que veut dire ces mots : réinterroger les mesures ? Ils savent que des mesures ne sont pas légales, ne sont pas bonnes, ils se rassurent par un plaidoyer pro domo en proclamant « on est pas déshonoré », mais annoncent qu’ils engageront bientôt des modifications ! Est-ce qu’on peut faire plus nul comme porte-parole ?
. Emmanuel Macron ce mercredi soir (20/12), dans l'émission C à vous sur France 5, a sorti le même argument en comparant les allocations familiales avec le RSA et la prime d'activité, ce qui est assez effarant de la part du président de la République. Patrick Cohen a tenté de dire que ce n'était pas les mêmes allocations. Le seul commentateur sur les plateaux de télé que j'ai entendu poser le problème correctement est Laurent Neumann, sur BFMTV, ce 20 décembre, affirmant avec force à un député Renaissance qui ressortait l'élément de langage du gouvernement (y compris "je n'ai pas entendu de cris d'orfraie") que "le RSA et la prime d'activité n'ont rien à voir avec les allocations familiales".
. Ce soir, on apprend que 32 Départements dirigés par des élus de gauche refuseront de respecter cette future loi pour l'attribution d'aides sociales comme pour l'APA (allocation personnalisée d'autonomie), pour personne âgée dépendante : ils n'attendront pas 5 ans avant de l'attribuer à un étranger.
[20 décembre]
Pierre noire : 19 décembre 2023 !
Cette date restera dans les mémoires celle où un gouvernement français a basculé à l’extrême droite. En effet, plusieurs aspects du projet de loi adopté relèvent non pas d’une législation de droite mais d’extrême droite : jamais le Rassemblement National (et auparavant le FN) n’avait eu à ce point gain de cause. D’où l’élément de langage du RN prononcé partout proclamant sa « victoire idéologique », quand une loi reprend les mantras de Jean-Marie Le Pen, en particulier sur la préférence nationale. Il y a le risque que l’opinion publique ne voit qu’une loi cherchant à réduire l’immigration qui serait envahissante comme des médias d’extrême droite (dont CNews) et des commentateurs (pas tous d’extrême droite mais traitres aux valeurs républicaines) n’ont cessé de l’affirmer. Or si certains banalisaient le RN, qui aurait un programme "social", qu’on n’a pas "essayé", désormais on a vu que des élus BCBG sont perclus de haine envers l’étranger, de rejet de l’autre venu d’ailleurs. En réalité racistes et fiers de l’être (même s’ils s’en défendent encore, pour combien de temps).
Mais le drame n’est pas que le RN fasse du RN : il est que le pouvoir en place, macroniste, pour des raisons purement tacticiennes, politiciennes, se soit rangé, avec son ministre sarkozyste de l’intérieur, derrière les thèses du RN (au Sénat il avait validé le texte LR digne du RN), en criminalisant sans cesse les immigrés (ces propos, en démocratie et république, devraient être poursuivis devant les tribunaux). Ça c’est la honte du jour : honte à Emmanuel Macron qui devait faire barrage à l’extrême droite (et qui a sollicité les voix de la gauche deux fois, en 2017 et 2022), honte à Elisabeth Borne (on ose nous dire qu’elle viendrait de la gauche, elle-même, ce matin à la radio, pathétique, se dit humaniste et fille d’apatride).
Par contre, la petite lueur d’espoir est que des députés de droite (Renaissance et Modem), malgré les consignes impératives mais inquiets de la dérive législative, n’ont pas voté le projet (59, contre ou abstention) et même des ministres auraient menacé de démissionner si ce texte était adopté. Sans convaincre, Elisabeth Borne sur France Inter ce matin prétend que ces députés auraient admis ce texte mais n’ont pas voulu se joindre aux voix du RN et a nié que des ministres aient envisagé de démissionner (alors qu'un instant plus tard, Aurélien Rousseau sera absent du conseil des ministres car démissionnaire). Par ailleurs, elle manipule ou ment effrontément, en comparant abusivement les prestations familiales avec le RSA et la prime d’activité, qui imposent 5 ans de présence sur le territoire (se permettant de s’invoquer de Rocard et de Hollande qu’on n’accusait pas de pratiquer la "préférence nationale"), or les PF sont des droits alimentés par les cotisations sociales donc un droit absolu. Interrogée avec insistance sur la perte des allocations, elle emberlificote sa réponse en affirmant que son gouvernement agi toujours en faveur du travail et que c'est cela qui détermine la mesure prise et non le fait d'être étranger (alors même qu'un étranger travaillant devra attendre deux ans et demi).
Autre élément d’espoir à court terme : le Conseil constitutionnel pourrait retoquer plusieurs points, entre autres sur la préférence nationale (Darmanin et Borne ont reconnu que des dispositions méritaient d’être vérifiés par le CC, que Macron va saisir, ce qui ne les a pas empêchés d’appeler à voter ce texte, signe de leur incohérence ou de leur fébrilité). J’ai suivi plusieurs heures hier soir, toutes les interventions au Sénat puis à l’Assemblée Nationale : espoir pour le long terme car les discours des ténors de la NUPES ont été impressionnants de qualité (Benjamin Lucas Écologiste, Boris Vallaud PS, Mathilde Panot LFI, Elsa Faucillon PCF), et dans une parfaite entente (je l'ai déjà dit : c’était déjà vrai au cours des débats de la commission des lois).
Ce matin, Mediapart ouvre ses pages en sombre et annonce : « Ça y est, l’extrême droite est au pouvoir ».
[20 décembre]
Le Rassemblement National est en passe de gagner
Ce matin [19/12], Jordan Bardella disait sur France Inter que le texte sur l’immigration était une « victoire idéologique » du RN. Cet après-midi, après la commission mixte paritaire (Sénat/AN), Marine Le Pen a annoncé qu’elle voterait le texte. Elle n’a pas obtenu totale satisfaction mais les allocations familiales et APL ne seront accordées aux étrangers qu’après 5 ans de présence s’ils ne travaillent pas, et s'ils travaillent 30 mois de présence soit deux ans et demi pour les allocs, et 3 mois pour l'APL. Dussopt, Darmanin, hier soir Stefanini (LR) s’égosillent pour dire que c’est normal, tentant d’assimiler les prestations familiales à des aides sociales (comme le RMI de Rocard, le RSA, la prime d’activité) qui nécessitent un temps de présence sur le territoire français. Tous ces pontes ainsi qu’une pléthore de consultants et autres journalistes ignorants ou à la botte, affirment que les allocations familiales relèvent de la solidarité nationale, prises sur le budget de l’État. C’est faux : elles sont, comme la sécurité sociale, alimentées par les cotisations sociales.
Pour la première fois, pour exclure des étrangers en situation régulière, on lie l’attribution des PF au travail (quitte à imposer tout de même 30 mois de présence à ceux qui travaillent). Dussopt insiste : on ne fait pas de la "préférence nationale" mais de la préférence au travail, façon de se cacher derrière son petit doigt tellement il a honte, lui qui fut socialiste, d’avouer que ce texte est du RN pur jus. D’autant plus RN d’ailleurs qu’il exprime un mépris pour celles et ceux qui n’ont pas de travail. Demain, si c’est le non-travail qui ne permet pas de percevoir une prestation, si ce n’est pas le fait d’être étranger, qu’est-ce qui empêchera de retirer les allocs à des chômeurs ?
La France file vraiment un mauvais coton. Darmanin peut bien lister tout ce qui serait positif dans la loi (selon lui, si le RN la vote, ce sera en se reniant), il se garde bien de nommer toutes les mesures gravement restrictives que Renaissance refusait jusqu'alors mais qu'elle finit par accepter pour satisfaire LR jamais aussi proche du RN. Je considère pour ma part qu’avec ce texte jamais la Macronie n’est allée aussi loin dans son alliance de fait avec l’extrême droite. L’Assemblée Nationale va certainement adopter. Cette journée sera sans doute à marquer d’une pierre noire. Jamais le RN n’avait voté une loi immigration de la droite. Le seul espoir est que le Conseil constitutionnel retoque cette clause sur les prestations familiales, à mon sens contraire à la Constitution car dénaturant la nature même de notre modèle de protection sociale.
[19 décembre]
Parlement de la honte ?
La Commission Mixte Paritaire (CMP) a suspendu ce soir ses travaux jusqu’à 21 h. Les 14 élus (7 Sénat et 7 Assemblée Nationale) ne se mettent pas d’accord. Les LR exigent que les étrangers en situation régulière n’aient pas droit aux allocations familiales et aux allocations logement avant d’avoir 5 ans de présence. Le gouvernement ne serait pas d’accord. Darmanin avait envisagé un éventuel compromis : les étrangers qui ont un emploi devront attendre 30 mois, ceux qui n’ont pas de travail devront atteindre 5 ans. Aurore Bergé, ministre des Solidarités, aurait donné un avis favorable ! On ne sait si la première ministre est d'accord. Au risque de me répéter, cette exigence est gravissime (pire, s’il faut faire un classement douteux, que l’AME transformée en AMU et le droit du sol avec des jeunes nés en France devant faire la demande de naturalisation à 18 ans). La France assure à tous des moyens pour élever ses enfants : les allocs, c'est pas un secours, c’est un droit social comme la Sécu : tout le monde y a droit y compris ceux qui ne travaillent pas, quelle qu’en soit la raison (y compris la maladie , l'invalidité). Darmanin et certains commentateurs laissent entendre que ceux qui travaillent et cotisent ont des droits à percevoir les prestations familiales (quitte à les restreindre pour les étrangers même pour ceux qui travaillent comme on vient de le voir) : or personne ne cotise pour les allocs (ce sont seulement les employeurs et depuis toujours), c’est un droit général. Darmanin a déjà montré que manifestement il ne connait pas la législation sociale en la matière, mais il n’est pas le seul.
On devrait batailler sur ce point, descendre dans la rue. Demain, avec le même argument, des chômeurs se verront priver des allocs. Et on peut s’attendre, avec des arguments à la Ciotti, au niveau de ceux de Zemmour ou de Marion Maréchal Le Pen, qu’ils iront plus loin dans leurs exigences : empêcher les étrangers d’avoir accès à d’autres droits. Une fois qu’ils auront imposé 5 ans, ayant mis le doigt dans l’engrenage, ils exigeront 10 ans. Etc.
Le seul espoir : que le Parlement, lors du vote du texte final, le refuse s’il est un compromis par trop favorable à l’extrême droite. Mais pour cela il faudrait qu'il n'y ait pas trop de députés Renaissance prêts à s'incliner devant la droite dure et à dérouler le tapis rouge au Rassemblement National.
[18 décembre]
Le Conseil d’État compromis sous Vichy !
CNews boit du petit lait : le Conseil d’État désavoue le ministère de l’intérieur pour avoir expulsé le 14 novembre un Ouzbek vers son pays alors qu’il est fiché S comme radicalisé mais qu’on attendait une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) devant statuer sur les risques encourus. Pour Laurence Ferrari et Eugénie Bastié ("grand reporter" du Figaro) c’est pain bénit, ça prouve bien que rien ne va au royaume de France. Comme en plus, une adolescente de 12 ans (une « jeune femme » dit Laurence Ferrari) a menacé sa prof avec un hachoir et que cette mineure est fille de réfugiés mongols, c’est la totale. Ajoutez à cela que selon une amie de Valeurs actuelles, Eugénie Bastié nous annonce qu’un homme serait entré dans une crèche avec un couteau à la main (à ce moment-là, on n’en sait pas plus).
Mais dans un tel contexte que croyez-vous qu’Eugénie Bastié va dire : que le Conseil d’État juge en droit et que le ministre de l’intérieur a (volontairement) outrepassé ses pouvoirs en procédant à l’expulsion de cet homme en sachant qu’il devait attendre que la CEDH se soit prononcée ? Qu’il a voulu avoir un bon argument pour faire passer sa loi immigration ? Pas vraiment : en réalité, elle met gravement en cause le Conseil d’État, en l’accusant tout simplement d’avoir… sous Vichy approuvé toutes les lois anti-juives ! Les conseillers chercheraient aujourd’hui à se racheter et à faire oublier leur attitude d’il y a 80 ans !
Imaginons qu’un responsable de gauche ait tenu de tels propos, ce soir tous les médias mainstream, possédés par les milliardaires (CNews, LCI, BFM au premier rang), ne parleraient que de ça. Un ancien général de gendarmerie était sur le plateau (c’est cocasse, il avait dit peu avant qu’« Israël s’était installé sur une terre musulmane », Eugénie Bastié a tiqué, mais sans commenter). Ce désormais conseiller en sécurité semble par ailleurs bien en phase avec la ligne éditorial de CNews mais est-ce que Mme Bastié pourrait un jour critiquer la gendarmerie d’aujourd’hui en se fondant tranquillement sur le comportement de tant de gendarmes pendant la dernière guerre ayant, sur ordre, procédé aux rafles et aux déportations des Juifs : seule une minorité de gendarmes s’y est opposée. Sujet tabou que CNews, bien sûr, n’est pas près d’aborder. Mais le Conseil d’État, chargé de faire appliquer l’État de droit…
[13 décembre]
« Tondue à la Libération » !
En janvier 2020, à Auch, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve, protestant contre des profs qui avaient collé des affichettes sur la permanence d’un candidat aux municipales qui avait son soutien, écrivit dans un tweet : « Ils ont choisi le noir, la couleur du fascisme, Il taguent les vitrines comme d’autres en 38 (…) ». Dans un post Facebook qui en rendait compte, j’avais commenté de la manière suivante : « toute tentative d’assimiler des protestataires (dont la plupart ont un engagement antifa, ceci dit en passant) à des fascistes ou des nazis (dit Point Godwin) a volontairement ou non, par son excès et sa méconnaissance de l’Histoire, pour effet de minimiser et d’édulcorer ce que furent les ligues fascistes dans les années 30. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un député de la République ».
Je pourrais tout aussi bien aujourd’hui répéter cette phrase puisque, selon Cyrielle Chatelain qui préside le groupe Écologiste à l’Assemblée, le même Jean-René Cazeneuve l’a insultée hier parce qu’elle avait voté la motion de rejet du projet de loi immigration, en même temps que le RN, que les LR, que tous les partis de la NUPES. Il aurait appuyé son accusation par ces mots, en les répétant : « Tu seras tondue à la libération ». Plusieurs témoins attestent de la teneur de ces propos, JR Cazeneuve dément. L’élue écologiste demande à la présidente de l’Assemblée des sanctions. Il va de soi que cette insulte sexiste, faisant référence avec beaucoup de légèreté, d’irresponsabilité à une période sombre de notre histoire, devrait être sévèrement sanctionnée si elle est attestée. Notre d’Artagnan d’opérette, qui ne se prive pas de reprocher à ses opposants de bordéliser l’Assemblée, y met du sien. Lui qui poursuit en justice un syndicaliste qui a apposé une affichette sur sa porte de permanence, s’autorise ainsi des paroles d’une extrême violence. Il risque de traîner cette affaire comme un boulet pendant bien longtemps. Pas sûr qu'il puisse conserver sa fonction de rapporteur du budget après un tel propos déplacé tenu dans le Parlement.
[13 décembre]
Quelques minutes d’horreur…
… à l’Assemblée Nationale (AN). Je croyais que c’est surtout CNews que je ne pouvais suivre que 5 minutes tellement le racisme ambiant et l’idéologie d’extrême droite s’y déversent à pleins tombereaux. Mais cet après-midi j’ai voulu suivre un instant les questions au gouvernement à l’AN (sur son site). J’ai à peine tenu 10 minutes. D’abord, une députée Renaissance, Laure Miller larmoie : pauvre Gérald dont la loi a été recalée. Et le ministre de l’intérieur de lister tous les problèmes que cela pose, entre autres, au maire de Briançon car les passeurs et les sans-papiers ne pourront pas être contrôlés dans sa ville limitrophe avec l’Italie (alors que cette ville des Hautes-Alpes a deux compagnies de gendarmes mobiles spécialisées, soit 160 agents, 16 bus et nombreux véhicules qui sillonnent la montagne menant une véritable chasse à l’homme.
Ensuite Clémentine Autain (LFI) pose la question de Gaza massacrée, alors le représentant de Natanyahou au Parlement français, Meyer Habib, hurle comme un abruti, la présidente de l’Assemblée tente de le faire taire tandis que la ministre des affaires étrangères répond expliquant les démarches du gouvernement français. Enfin, Caroline Parmentier, du Rassemblement National, interpelle la ministre de la culture qui cherche à faire entrer la diversité dans la direction d’établissements culturels : la députée accuse la ministre de racisme, osant proclamer que le racisme est interdit en France et demandant, ingénue, « il y a trop de Blancs ? ». Elle lui reproche également d’avoir osé critiquer C8 et CNews. Rama Abdul Malak, outrée, répond que son projet est de favoriser la diversité qui n’est pas que la couleur de peau mais est aussi sociale et géographique d’où son projet "La Relève". Elle trouve surréaliste que le parti de « la discrimination permanente » ose ainsi l'accuser de racisme alors que son parti traite les étrangers de racaille, et qu'il a pour frère d’armes Reconquête (Zemmour) qui dénie le droit (comme elle) de porter un prénom d’origine étrangère. Elle conclut son propos en répétant : « pourquoi la diversité vous fait-elle peur ? ». Madame Parmentier se marre d'avoir eu son petit instant de gloire auprès de ses camarades et insiste : « vous avez dit couleur de peau » ! J'ai craqué et n'ai pas eu la force de regarder la suite.
[12 décembre]
Députée fière de sa parenté avec l’OAS !
C’est Michèle Tabarot (LR) qui est montée à la tribune cet après-midi pour défendre un texte visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 (signé par De Gaulle) accordant un statut particulier aux Algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France. La députée du groupe Écologiste Sabrina Sebaihi a appelé à voter contre un texte « défendu par une descendante de l'OAS qui a commis 2000 assassinats et fomenté un attentat contre le Général De Gaulle, applaudie par les héritiers des tortionnaires de l’Algérie », faisant référence au fait que le père de Michèle Tabarot, Robert Tabarot, était l'un des chefs de l'organisation terroriste, et au fait que les députés RN ont applaudi vivement la députée LR.
« Je suis fière de mon histoire familiale, a rétorqué la députée LR, je n'ai pas de leçon à recevoir de votre part », ajoutant pour la gauche de l'hémicycle coupable de l'avoir « mise en cause de façon assez honteuse » : « vous étiez les amis du FLN qui ont aidé à tuer des Français en Algérie, et vous êtes aujourd'hui les amis du Hamas qui tuent les Palestiniens ».
Certes, on ne peut reprocher à quiconque sa filiation, la députée écologiste prenait des risques en portant cette accusation. Sauf que puisque Michèle Tabarot a affirmé sa fierté pour son histoire familiale et donc pour l’appartenance de son père à l’OAS, Sabrina Sebaihi a fait mouche. La députée des Alpes-Maritimes, une proche d'Eric Ciotti, n'avait certainement pas été désignée par hasard par le groupe Les Républicains pour défendre ce texte. C’est un degré supplémentaire dans la déliquescence de la vie politique française : un texte visant l’Algérie et les Algériens défendu par une parlementaire fière de l’OAS ! Et soutenue par des élus qui se disent gaullistes et approuvée par d'autres, d'extrême droite, fiers aussi de leur filiation.
[8 décembre]
Le rapport sur l’AME
Alors que le Sénat s’apprêtait à voter une projet de loi de l’immigration en supprimant l’AME (aide médicale d’État), remplacée par l’AMU (dans les cas d’extrême urgence), un rapport a été demandé par les ministres de l’Intérieur et de la Santé à un ancien ministre de la santé (Claude Evin) et à un conseiller d’Etat honoraire (Patrick Stefanini). On sait que finalement la commission des lois de l’Assemblée Nationale a retoqué cette suppression fin novembre… et le rapport qui devait éclairer ce débat a été publié avant-hier, 4 décembre.
Ce rapport montre d’abord qu’il n’y a pas explosion de la dépense en AME du fait des personnes en bénéficiant. Si la dépense est en hausse (près d’un milliard d’euros) c’est parce que le nombre de bénéficiaires a augmenté, et plus particulière les mineurs étrangers (qui juridiquement ne devraient pas être comptabilisés ici puisqu’un mineur étranger en France n’est pas expulsable et est pris en charge par l’ASE). La mission n’a pas eu les moyens de s’assurer qu’il y ait vraiment des fraudes comme tant de fauteurs de troubles (Bardella, Ciotti) s’ingénient à l’affirmer, sans preuves.
Les propositions faites consistent à accentuer les contrôles sur les conditions d’accès. Le rapport s’insurge sur le lien fait systématiquement entre AME et étranger en situation irrégulière, car non seulement il y a des mineurs qui ne sont pas en situation irrégulière, il en est de même pour les demandeurs d’asile.
Tous comptes faits, un rapport qui ne remet pas en cause l’AME. En quelques jours, 84 personnalités ont été interrogées (élus, fonctionnaires, caisses, diplomates, médecins, hôpitaux, associations, centres de santé) pour aboutir à 106 pages : les fonctionnaires chargés de ce genre de travail ont bien bossé ! En effet, Evin et Stefanini ont bien dû donner un avis mais sûr que ce n’est pas eux qui ont fait le boulot. Déjà qu’il était cocasse de nommer M. Stefanini pour réaliser un tel rapport, lui qui fut secrétaire général du ministère honteux de l’immigration et de l’identité nationale sous Sarkozy, qui a été impliqué dans les emplois fictifs de Chirac, et qui a été proche de Zemmour (le conseillant au début de sa campagne présidentielle avant de rejoindre Pécresse).
Le Sénat avait aussi prévu de supprimer les allocations familiales aux migrants qui n’ont pas 5 ans de présence sur le territoire français. Je verrai bien un rapport sur le sujet : pourquoi cela a-t-il été négligé alors qu’il s’agissait d’une proposition de la droite dure (LR) sacrément dangereuse ?
. lien pour télécharger ce rapport : ici.
[6 décembre]
Le racisme en roue libre au Parlement
Le Sénat avait supprimé l’Aide Médicale d’État, remplacée par une AMU (soins seulement en cas d’extrême urgence). Des médecins des hôpitaux avaient dit que non seulement il serait difficile de déterminer cette extrême urgence et s’étaient engagés à ne pas respecter cette forte restriction à l’accès aux soins. La Chambre haute avait également limiter l’accès aux prestations sociales à 5 ans de présence pour les étrangers, non seulement pour celles qui relèvent de l’assistanciel (AAH, minimum vieillesse) mais aussi de l’assuranciel (les allocations familiales). Cela aurait été une première car si les AF peuvent être réduites en fonction des revenus (les rapprochant de ce fait des prestations d’assistance) il n’empêche qu’elles sont universelles (droit pour tous).
La commission des lois à l’Assemblée Nationale qui depuis le lundi 27 novembre étudie le texte, a d’emblée supprimé la suppression de l’AME et le texte sur les AF. Au grand dam des LR et du RN. J’ai passé plusieurs heures à suivre ces débats (nombreux amendements défendus par des parlementaires qui n’ont droit qu’à une minute de prise de parole). Je peux attester que les député·es RN tiennent des propos d’une violence inouïe à l’encontre des immigrés, des mineurs isolés (MNA). PH Dumont (LR), du Pas-de-Calais, dit que tous les jours des femmes se font violer par des clandestins étrangers. Darmanin, qui résiste parfois aux propos sanguinaires du RN, joue avec Dumont la carte régionale, le gratifiant de son estime et de son amitié. Un RN dit tout de go que la gauche ne pouvant obtenir les voix du Hamas cherche à obtenir celle des délinquants. Un autre a demandé que la France sorte de la Cour européenne des droits de l’homme. Tout de même un élu Modem dénonce les propos tenus contre les mineurs étrangers, il approuve Louis Boyard, LFI, qui a dit au RN : « vous êtes immonde, ce sont des enfants ». Cet élu Modem accuse le RN « d’être le parti de la haine, de la xénophobie ». Le RN est impassible, il déverse effectivement sa haine des étrangers, à se demander si certaines assertions ne relèvent pas des tribunaux. LR fait sa tirade contre la fraude sociale (pas la fraude des professions de santé, ou du patronat, non celles des petites gens, confondant erreurs et indus).
Je ne peux tout citer : je fais ce post juste pour dire que les élus de gauche (NUPES) sont l’honneur de la République, ils et elles contestent pied à pied les positions de la droite et de l’extrême droite, dans une belle entente et complémentarité. Certes, en vain, mais cette parole compte car vraiment notre pays file un mauvais coton. Il importe de rappeler inlassablement que ce qui se joue actuellement, contre les migrants, si cette France rance l’emporte un jour, ce sont presque tous les citoyens qui passeront à la casserole. Faut-il un exemple ? Le principe de la non-perception des allocs pendant 5 ans s’appuyait sur le fait que c’est une prestation non contributive, sous-entendu l’immigré n’a pas cotisé. Or personne ne cotise aux AF et n’a jamais cotisé : c’est l’employeur qui cotise, il n’empêche qu’il s’agit de prestations de droit (pas d’un secours de l’État comme le RSA, l’AAH et le minimum vieillesse). Demain, si une telle mesure passait, pourquoi ne pas supprimer les allocs aux chômeurs, au citoyen lambda (parce qu’un fils a commis un acte délinquant ou je ne sais quelle autre raison).
[2 décembre]
Billet n° 775
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup