Le monsieur Propre du RN

Jean-Philippe Tanguy, député du Rassemblement National [RN] de la Somme, venu de chez Dupont-Aignan, cherchant à se montrer homme de dossiers qu’il connaitrait parfaitement et qui défend les petites gens, ne rate pas une occasion pour dire qu’il faut économiser sur les étrangers avec la préférence nationale. Bon prince, sur LCP le 2 avril, il s’est dit humain : ils auront un an pour s’organiser avant de voir leurs "aides sociales" supprimées (on sait, par ailleurs, que le RN, maîtrisant mal la législation sociale, assimile les allocations familiales aux aides sociales). Cela ferait une économie de 16 milliards d’euros, assène-t-il ! Encore sur LCP, le 9 avril, dans l’émission Ça vous regarde de Valérie Brochard, il déclare que deux millions d’immigrés sont au chômage dans notre pays. Ce qui lui permet de dire que la France ne peut pas faire venir des étrangers et les payer au chômage.

Il dit s’appuyer sur la Fondapol pour protester sur le fait qu’il y a trois fois plus d’immigrés occupant un logement social. C’est ainsi que le RN débite sa doxa, le plus souvent sans être contredit. La première réaction, au moins d’un journaliste, serait d’interroger ce chiffre de 16 Md€, totalement farfelu, lancé à la cantonade pour impressionner les foules. De même pour le chiffre de 2 millions d’immigrés chômeurs : rappelons qu’il y a en France 7 millions d’immigrés [personnes nées étrangères à l’étranger, sachant que 2,5 millions d’entre elles ont été naturalisées françaises], la population active immigrée est de 2,7 millions. Sachant que le taux de chômage chez les immigrés est de 13 % (contre 8 % dans l’ensemble de la population), on arrive à 350 000 chômeurs.

Certes, le RN considère qu’il y a réellement 5 à 6 millions de chômeurs, mais cela ne fait pas 2 millions d’immigrés chômeurs. Le drame n’est pas qu’un  parti politique raciste tienne un discours xénophobe, c’est qu’en face il n’y a pas ou peu de journalistes pour contrer les fausses informations. Tanguy invoque la Fondapol : là encore personne pour dire que ce think tank, financé par l’État, déjà bien à droite, est en pleine dérive droitière (son directeur, Dominique Reynié, présenté sur moult plateaux de télé comme un politologue est tout simplement un militant proche des LR, ancien candidat sarkozyste aux régionales en Occitanie). Et personne pour dire que si les immigrés sont plus nombreux dans les logements sociaux cela n'a rien d'étonnant et qu'il est indigne de leur en faire grief.

Le Monde du 18/04 a listé plusieurs résolutions du Parlement européen parmi les centaines que les députés RN ont refusé de soutenir, lorsqu’elles visent un régime autoritaire, la question de la peine de mort ou autres sévices infligés à des opposants. Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, Jordan Bardella et ses collègues RN ont systématiquement voté contre tout ce qui mettrait en cause Poutine. Bardella a expliqué que le RN, nationaliste, ne s’immisce pas dans les affaires des autres États. Manœuvre dilatoire puisque le RN ne se prive pas de se prononcer contre le Venezuela, Cuba, le Nicaragua ou la Bolivie. Jeudi 18 avril, dans la Matinale de France Inter, interrogé de façon pertinente par le journaliste Maxence Lambrecq sur ce comportement du RN, Jean-Philippe Tanguy fait la même réponse que Bardella et fait mine d’ignorer que le RN se soit prononcé contre d’autres pays, preuve s’il en est que cet homme politique sait botter en touche. Il a exprimé au micro de la radio publique son désaveu de l’attitude de Georgia Meloni qui a voté pour le Pacte immigration européen, précisant que le RN ne soutient pas Meloni mais Matteo Salvini, de la Ligue [du Nord], qui est d’extrême droite, xénophobe et considérée comme néo-fasciste.

Jean-Philippe Tanguy est d’autant plus dangereux qu’il exprime sereinement [plus que Bardella] ses positions même lorsqu’elles sont contraires aux principes de la République. Par ailleurs, ce qu’il dit du salaire mirobolant de Carlos Tavarès est tout à fait entendable, comme sur la réforme ratée des collectivités locales par François Hollande. Le Monsieur Propre du Rassemblement National est certainement destiné à faire du chemin : diable comme les autres, sachant efficacement donner le change de la dédiabolisation.

[19 avril]

Marine en Mayottée

Marine Le Pen boit du petit lait. Elle se rend à Mayotte où le RN a obtenu 60 % des voix au second tour de la présidentielle de 2022. Elle est ovationnée par des Mahorais, noirs et musulmans : situation cocasse sur laquelle, évidemment, elle surfe, et depuis longtemps . Les Mahorais accusent les Comoriens de les envahir, ce qui les conduit à adopter bien souvent (selon des témoignages qui m’ont été rapportés) des comportements franchement racistes envers les Comoriens. La loi asile immigration de 2018 a instauré un premier droit du sol, validé par le Conseil constitutionnel, qui prévoit qu’un enfant né sur Mayotte doit avoir au moins un parent présent sur l’île trois mois avant sa naissance. La récente loi immigration prévoyait d’exiger un an de présence aux deux parents, mais là le Conseil constitutionnel, on le sait, a retoqué cette clause, sur la forme et non sur le fond, considérant qu’elle était un "cavalier", qu’elle n’avait rien à faire dans cette loi. Le gouvernement prépare une nouvelle loi spécifique pour Mayotte.

Dans mon post de 2016 (ci-dessous), j’écrivais que Marine Le Pen annonçait que le RN supprimerait le droit du sol : deux ans plus tard, elle a obtenu en partie gain de cause, avec un début de remise en cause de ce droit (loi de 2018).

À Mayotte, on est face à une situation dramatique qui a été provoquée par l’État colonial : face aux revendications indépendantistes, la France a organisé en 1974 un référendum dans l’ensemble de l’archipel où l’indépendance a été voté à 99 %, excepté à Mayotte (33 %) qui était "française" depuis un peu plus longtemps. En 1975, les Comores sont devenues indépendantes, en 1976, un référendum à Mayotte s’est prononcé à 99 % pour son maintien dans la République française (sous Giscard). Et sous Sarkozy, en 2009, Mayotte a été élevé au rang de département français. Bien malin celui qui sait désormais comment sortir de cette situation apparemment inextricable.

[21 avril]

Mon post du 5 décembre 2016 : "Mayotte Le Pen" 

Marine Le Pen fait feu de tout bois. Elle rentre de Mayotte où elle a été ovationnée par les Mahorais qui ne veulent pas des Comoriens. Elle a été accueillie avec "effusion" et "affection" selon ses propres propos, qui semblent être corroborés par les images diffusées par le Front National. Les femmes noires la couvrent de baisers. Elle rend hommage aux "autorités religieuses" qui l'ont bien reçue (sans préciser qu'il s'agit des autorités musulmanes, qu'elle ne cesse de fustiger en métropole). Elle appuie les revendications qui réclament le rejet "des enfants de la mer" (ces enfants de mères comoriennes venues accoucher clandestinement à Mayotte). « Il faut supprimer les aides sociales aux clandestins », déclare-t-elle et dénonce le droit du sol qui sera annulé avec le FN au pouvoir. Au moment où elle félicite le candidat de l'extrême-droite autrichienne, raciste et néo-nazie, pour son score dimanche, elle promet à ses auditoires mahorais qu'elle solutionnera le problème que l'État français n'a pas su régler.

Malika Sorel, nouvelle groupie du RN

Malika Sorel (Halima Mayouf, mariée à M. Sorel-Sutter) vient d’intégrer le Rassemblement National. Le Canard enchaîné ayant révélé qu’elle avait proposé ses services à la Macronie (ne doutant de rien, elle visait le poste de ministre de l’Éducation), elle propage partout qu’elle est l’objet d’une attaque raciste parce qu’elle est d’origine maghrébine. C’est ce qu’on appelle l’hôpital qui se fout de la charité quand on connaît les propos anti-arabes et anti-musulmans qu’elle ne cesse de déverser, c’est d'ailleurs bien pour cela qu’elle est choyée à droite et à l’extrême droite : elle écrit dans Valeurs actuelles, dans le site islamophobe Riposte laïque, elle est nommée par Sarkozy au Haut Conseil de l'Intégration, est repérée par le chroniqueur d’extrême droite Ivan Rioufol, par Fillon, etc.

Cependant, elle s’attribue tellement d’actions que bien des personnalités concernées, contactées par Le Monde (ce 9 avril), démentent ses nombreuses vantardises. Le RN risque de s’en apercevoir, si ce n’est déjà fait : certains considèrent qu’elle ne va pas faciliter la tâche du parti d’extrême droite, tellement envahissante et imbue d’elle-même que cela risque d’aller au clash. Il n’y a pas besoin d’être expert en recrutement pour l’imaginer : il suffit de l’avoir entendue quelques fois dans les médias pour avoir mesuré qu’elle a un discours plaqué et un argumentaire simpliste (du style, comme le relève Libération du 8/04 : pour s’intégrer, il suffit de vouloir s’intégrer). Née en France, elle a vécu 15 ans en Algérie et déroule des assertions frappées du désir pathétique d’être admise dans le giron de l’extrême droite (selon elle, en France, « de plus en plus, faire partie de la "diversité" constitue un avantage, quand être français, tout court, ne présente plus guère que des inconvénients »). Si le staff de Jordan Bardella n’a pas reculé pour la recruter (propulsée deuxième sur la liste aux européennes tout de même) c’est certainement parce qu’il table sur ce qu’il perçoit comme un bon coup, mais cela n’est sans doute que la preuve de son incapacité à faire venir à lui des pointures.

Elle s’est comparée à la Marianne de la République ainsi qu’au Messie. Elle a cette manie des faux intellectuels de placer régulièrement une citation d’une célébrité au détour de ses phrases. Dans une interview accordée il y a dix ans au journaliste identitaire Alexandre Devecchio du Figaro-Vox, chroniqueur sur CNews, sans qu’elle ne fasse référence explicitement à son propre nom, lâchait tout de go que « la femme française d’aujourd’hui est la descendante directe d’Agnès Sorel qui avait libéré les corps » !

Dans un post du 5 mars 2017, titré La brochette du Trocadéro, où j’avais fait une capture d’écran la montrant au premier rang des fillonistes au Trocadéro, se faufilant pour être tout près du candidat de la droite LR (au début du discours, elle n'est pas sur les photos), j’écrivais : « Malika Sutter-Sorel (collée à lui, jubilant d'être là), essayiste d'origine algérienne, louée par la faschosphère car montant sans cesse au créneau pour vilipender, de façon souvent laborieuse et prétentieuse, l'islam, ne serait-ce que pour prouver aux zemmouriens qu'elle est bien de leur camp. Belle brochette ! ». Je me trompais : pour le moment, ce sont les lepénistes qu’elle essaye de convaincre.

Sur la brochette lessivée par la pluie, on reconnaît, outre François Fillon et Malika Sutter, Bernard Debré (décédé depuis), François Baroin (en partie caché par Fillon), Luc Chatel, Christian Jacob, Eric Ciotti, Gérard Longuet, Valérie Boyer (et hors champ : Damien Abad, Julien Aubert), celles et ceux qui voulaient à tout prix être vus auprès de Fillon. D'autres, calculateurs, qui sentaient la partie perdue et ménageaient l'avenir, n'y sont pas (en tout cas, pas visibles) : Bruno Retailleau, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse.

[9 avril]

Le RN fait d’autres adeptes pour sa liste aux européennes : Matthieu Valet, porte-parole du syndicat des commissaires SICP (et ancien chef adjoint de la BAC du Val-de-Marne), qui ne cessait de déverser sur les plateaux de télévision, en particulier sur CNews, des déclarations haineuses, visant visiblement à jeter de l’huile sur le feu sur les banlieues et Fabrice Leggeri, ancien patron de Frontex, qui devrait secourir des migrants en perdition mais qui organise la chasse à l’immigration (Leggeri est suspecté d’avoir illégalement couvert des refoulements en mer). Le RN prend les candidats qu’il veut : le problème est que sur des postes de la République, deux hommes censés être objectifs étaient en réalité des militants d’un parti d’extrême droite, qui surfe en continu sur la xénophobie et le racisme.

Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets, reproduites ici dans une version parfois complétée.

Billet n° 799

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

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