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Les éditions Libertalia publient un ouvrage sur Clément Méric, jeune libertaire, militant syndicaliste et antifasciste, battu à mort par des néonazis à Paris le 5 juin 2013. Il s’agit d’un recueil, réalisé de façon collective, rassemblant des témoignages de ses amis, à Brest et à Paris, de militants de Solidaires, de l’AFA-PB (Action Antifasciste Paris-Banlieue), de La Horde, de ses proches, de ses parents. S’il n’y avait pas l’émotion, le livre se lirait d’une traite : en effet, les textes sont courts, et on enchaîne facilement les chapitres, d’autant plus que l’intention est claire avec une articulation limpide entre les éléments de la chronologie, le contexte politique de l’époque (les nombreux homicides racistes et homophobes commis depuis 1986), les témoignages, les faits, les procès et les analyses politiques d’un tel événement.

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Sauf qu’il y a l’émotion qui freine la lecture : il est nécessaire de poser le livre, d’attendre un peu avant de reprendre. Étrangement pas lorsqu’est abordé le déroulé des faits : les explications sont précises, donc techniques, on est dans le tragique mais les explications sont fournies sans pathos ce qui facilite la compréhension. Non, l’émotion nait de ce jeune homme, qu’on n’a pas connu, et qui apparait progressivement : une personnalité attachante, une intelligence évidente, une vivacité d’esprit, une économie de paroles mais efficaces, des goûts affirmés (lecture, musique), des audaces, des utopies, de l’humour, un militantisme précoce (à la CNT à 15 ans), une façon étonnante de s’affronter à la maladie (leucémie à 16 ans) et surtout l’affirmation de valeurs, qui aujourd’hui, à la lecture, forcent l’admiration, d’autant plus qu’elles sont accompagnées d’un réel engagement dans l’action, soucieux qu’il était de combattre les injustices et conscient que le « fascisme ordinaire conduit au pire ». Un mois avant sa mort, dans une manifestation protestant contre la mort de Brahim Bouarram, jeté à la Seine par des militants du Front National, il sera lui-même blessé à la tête par des hooligans et des néonazis, soigné avant de rejoindre à nouveau le cortège et le service d’ordre. Plus tard, lors du procès d’assises, une femme, qui avait été en danger face à cette agression raciste, viendra remercier les parents de Clément d’avoir été protégée par lui.
Les témoignages, qui cherchent nullement à en faire un héros, qui prennent garde à ne pas l’investir d’une aura de martyr, sont très touchants. Avant cette lecture, Clément avait une existence plus abstraite pour moi, c’était un être désincarné qui symbolisait la violence des fachos et la lutte nécessaire contre eux. Certes, nous l’avions évoqué souvent lors des commémorations, on en avait un peu parlé avec ses parents, mais eux restaient toujours très pudiques. Désormais, il occupera pour nous, pour tous, une place particulière, parce qu’aux dix ans le voile de protection s’est levé. On le connait mieux : des personnes qui l’ont approché, qui l’ont aimé, ont livré leur ressenti, toujours vivace après tant d’années. Ce qui, pour nous, érige Clément en ami, en frère, en fils, violemment disparu.

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Le but de ce livre ne vise pas seulement à faire mieux connaître Clément : il consiste à rétablir des vérités car de fausses informations ont été colportées et certains médias en prennent pour leur grade car leur légèreté sur une affaire si dramatique est coupable. Ce fut particulièrement le cas de l’infographie bidonnée, diffusée par France 2, sur un récit de RTL, s’appuyant sur des interprétations fallacieuses vraisemblablement propagées par des agents de la police judiciaire, qui fut déchargée de l’enquête au profit de la brigade criminelle : sauf que le mal était fait et que des médias peu scrupuleux avaient repris cette version. Il était bien commode, surtout pour les meurtriers, de chercher à n’en faire qu’une bagarre qui a dégénéré (d’où des expressions sur le flou ou les « zones d’ombre » utilisées durablement par Le Parisien, 20 Minutes, Le Figaro, Le Monde et l’AFP). De leur côté, Elisabeth Levy de Causeur et Zemmour sur i-Télé cultivaient l’idée que Clément l’avait bien cherché. La décision judiciaire (attendus et condamnations), sur laquelle comptaient les proches de Clément, a eu le mérite de ne plus leur faire subir les divagations de commentateurs médiatiques en mal de sensationnel et d’audimat et a apporté à Paul-Henri et Agnès Méric la possibilité de pleurer leur fils sans qu’il soit sali au-delà de sa mort.
Clément a été victime d’individus qui prônaient des idées mortifères et qui baignaient dans une culture de violence. Il était à l’exact opposé de cela, mais savait que la solution n’était pas l’évitement, qu’il importait de dire non à l’inacceptable. Dans les descriptions qui sont faites de lui, on lit qu’il était solaire, rayonnant, inspirant, qu’il avait une réelle qualité d’écoute, qu’il regardait droit dans les yeux (même les voisins de son immeuble l’attestent). Il n’était pas fanfaron, il ne se vantait pas. Une personne dit qu’il avait le même sourire que ses parents. Une autre qu’il était une « belle personne » : cette expression ne s’utilise jamais abusivement, elle nous vient rarement à l’esprit si elle n’est pas fondée, et le plus souvent on est surpris de mesurer combien d’autres, autour de soi, partagent le même point de vue. Manifestement, Clément n’avait pas que son sourire en partage avec ses parents.

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Entretien avec les parents de Clément
Paul-Henri et Agnès Méric sont domiciliés depuis plusieurs années dans le Gers, après avoir été juristes universitaires à Brest. Lors de leur déposition devant la Cour d’assises de Paris puis celle d’Evry, leur dignité a impressionné l’assistance et les commentateurs. Nombreux articles se sont faits l’écho des valeurs humaines qui transparaissaient dans les propos qu’ils ont tenus à la barre.

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Nous sommes amis : je les sais réservés et chaleureux. Celles et ceux qui les connaissent éprouvent pour elle et pour lui une grande estime, qui n’est pas d’abord due au drame qu’ils ont vécu. Je les ai rencontrés et je leur ai demandé les raisons qui ont fait qu’après un si long silence ils avaient accepté de s’exprimer. En effet, l’ouvrage est collectif mais, malgré leur modestie et leur souci constant de rester discrets, on croit deviner leur présence dans bien des pages. Paul-Henri précise : « on a toujours pensé qu’on n’avait pas un titre particulier à intervenir dans le débat public sous prétexte qu’on était les parents, on n’est pas propriétaire de la mémoire de Clément ». Agnès ajoute qu’ils sont vigilants « afin que cette mémoire soit respectée, mais elle appartient à toutes celles et tous ceux qui sont fidèles aux convictions de Clément ». Cela explique le fait que tous deux se soient si peu prononcés depuis dix ans sur cette tragédie, et qu’ils ne s’engageront pas dans la promotion du livre.
À l’origine, c’est un membre de La Horde qui assure des formations sur l’extrême droite et qui, croisant des jeunes qui ne connaissaient pas cette affaire, a voulu faire œuvre de mémoire. Agnès et Paul-Henri étaient prêts à se lancer si c’était une démarche collective. De son côté, l’éditeur a souhaité publier un ouvrage à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Clément. Il précise en en-tête du livre qu’il est honoré de publier cet ouvrage : « L’antifascisme est au cœur des engagements de Libertalia et traverse tout le catalogue de notre maison d’édition ».

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Les parents de Clément me confient que le comportement des médias a été une épreuve, le pire moment ayant été l’exploitation mensongère d’une vidéo, par le biais d’un prétendu scoop de RTL puis d’une infographie coupable de France 2. C’est Libération qui a été le plus correct, Le Nouvel Obs aussi, L'Humanité également, Mediapart a informé en restant en dehors de l’emballement médiatique. Le Monde a été variable, accordant parfois de l’importance à des témoignages douteux. Surprise, Le Figaro a assuré le meilleur suivi détaillé des audiences de Paris. La Dépêche (du Midi) a manqué de prudence, affirmant une thèse controversée sans la mettre au conditionnel mais elle a ensuite bien informé sur le déroulement du procès. Le Télégramme de Brest a bien couvert, Sud-Ouest et Ouest-France bien moins. Une grande partie de la presse « a renvoyé dos à dos les fachos et les antifas » [par la suite, aux dates anniversaires et pour couvrir les manifestations d'hommage à Clément, la plupart des médias se contentaient de recopier les dépêches AFP]. Ce traitement de l'information a été extrêmement douloureux. Il en a été ainsi jusqu’au procès : et là, à Paris, l’audience a été menée de main de maître par une présidente qui connaissait parfaitement le dossier. Les antifas n’avaient pas particulièrement confiance dans la Justice de notre pays. Pour Paul-Henri et Agnès, il en était différemment : « on n’a jamais douté de la vérité. On a toujours eu confiance dans les propos des copains de Clément. On n’attendait pas la vérité, on attendait qu’elle soit dite et reconnue publiquement par la Justice ». C’est ce qui a eu lieu, la Justice reconnaissant l’agression et l’utilisation d’une arme (poing américain), ça été un soulagement… pour aussitôt, après tant d’années d’attente, se retrouver face au fait que ce dénouement finalement ne changeait rien quant à la disparition de Clément.

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Les Assises d’Evry, en appel, ont été moins sévères (8 et 5 ans de prison au lieu de 11 et 7 ans pour les deux principaux accusés). Certains s’en sont émus, pas les parents : les peines du premier jugement avaient été au-delà de ce à quoi eux-mêmes et leurs avocats s’attendaient. Le verdict d’Evry ne les a pas étonnés.
Tous deux sont inquiets chaque fois qu’il est question de manifestations de l’extrême droite, comme cela a été le cas récemment à Paris, à Annecy. Il importe d’être mobilisé contre cette montée de l’extrême droite et des thèses fascisantes. Agnès est une militante très active et discrète des droits des migrants, cette question la taraudait jadis mais elle avait reporté son engagement. La mort de Clément dans de telles conditions, les valeurs que ses amis et amies proféraient l’ont incitée à franchir le pas (1).
Elle me confie que combattre l’extrême droite, ce n’est pas seulement manifester contre elle mais c’est combattre le terreau sur lequel elle prolifère. C’est dénoncer le mépris permanent dont souffrent certaines populations, c’est lutter contre les inégalités, pour l’éducation, pour le lien social. Son admiration va surtout vers tous ces bénévoles qui passent des mercredis et des samedis avec des enfants des quartiers populaires, dans des actions sportives ou culturelles, pour faire vivre le lien social, contre tout ce qui contribue à son délitement.
Agnès et Paul-Henri rappellent que Clément avait une exigence chevillée au corps : que les idéaux et la pratique soient toujours en conformité. Et que cette façon d’être au monde le soit dans un contexte joyeux, dans un cadre festif.

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(1) Ses connaissances juridiques font qu’Agnès Méric est beaucoup sollicitée par les nombreux collectifs gersois d’aide aux réfugiés, aux sans-papiers. Ils sont unanimes pour dire combien l’aide qu’elle leur apporte est utile et efficace, alors même que cet engagement a lieu en toute discrétion.
Extraits :
« Le deuil et la lutte se sont inextricablement mêlés. Avec ce livre, nous voulons seulement et modestement ajouter une petite pierre à la mémoire de la longue histoire de la gauche antifasciste. Une petite pierre à l’ouvrage collectif sur lequel pourront s’appuyer les luttes à venir. »
« Une fraction du grand capital a déjà commencé à miser sur l’extrême droite la plus identitaire. » (cf. Zemmour et son concept du grand remplacement ayant le soutien de certains membres de cette fraction des grands possédants).
« Le militantisme de Clément était à la croisée de divers combats : antifascisme, anticapitalisme, syndicalisme révolutionnaire, défense des quartiers populaires, des LGBT, antisexisme, antidiscriminations, antiracisme, antispécisme, contre les politiques sécuritaires… »
Certes, on peut regretter qu’« à en juger par la montée de l’extrême droite dans l’opinion et dans les urnes, l’agression mortelle de Clément, comme d’autres méfaits de l’extrême droite, n’a pas eu d’impact durable dans la société française. » Cependant, « s’il est une chose que Clément nous a léguée, c’est bien la solidité des liens qu’il a tissés, sans sectarisme, sans exclusive. Sa mémoire, construite collectivement, doit être aujourd’hui fédératrice. » Le livre se termine par cette promesse : « Le meilleur hommage, c’est de continuer le combat ».
. Clément Méric. Une vie, des luttes, 240 pages (avec un cahier de 16 pages avec photos). 10 €. Droits reversés au Comité pour Clément. Dans toutes les bonnes librairies à partir du 26 mai et ici.
. La Horde : Procès des meurtriers de Clément (en 9 chapitres), le meilleur compte-rendu du second procès.

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Billet n° 735
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
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