Instrumentalisation du drame
Alors que des ténors de La France Insoumise ont qualifié les crimes du Hamas d’actes de « terreur », de « terrorisme » (François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière), une campagne est menée contre LFI parce que le leader Jean-Luc Mélenchon a considéré que c’était un « crime de guerre ». "Simplement" un crime de guerre ? ont tonné les polémistes. Enrico Macias en a conclu sur la chaîne d’extrême droite CNews qu’il faut « dégommer physiquement » La France Insoumise, sans que personne ne s’offusque de cet appel au meurtre et devant un Pascal Praud qui s’en délecte même s’il tente de minimiser les propos du chanteur.
Il va de soi que pour qualifier les crimes commis par le Hamas le 7 octobre, massacrant 1400 personnes, juifs israéliens pour la plupart, mitraillant des familles, hommes, femmes, vieillards, enfants, bébés, jeunes faisant la fête, même s’ils s’inscrivent dans une guerre entre un État qui bafoue les droits des Palestiniens et des Palestiniens, excédés, qui accordent leur confiance aux plus violents d’entre eux, le terme crime de guerre semble ne pas suffire. Il a été utilisé cependant par des commentateurs de référence, comme Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Moyen-Orient, sur plusieurs plateaux (C ce soir, A l’air libre-Mediapart) sans être insulté par ses interlocuteurs qui parlaient de "terrorisme". Il voulait, comme apparemment la direction de LFI, bien marquer que le combat des Palestiniens est légitime et que condamner leurs crimes si abjects soient-ils serait discréditer les justes revendications d’un peuple lui-même massacré, et pas seulement depuis que la vengeance d’Israël s’abat sur Gaza, faisant des milliers de morts. Notons qu’Amnesty International a utilisé le terme "crime de guerre", mais personne n’est tombé sur le paletot de l’organisation humanitaire.
Caroline Fourest, en roue libre, en profite pour régler ses comptes accusant sans vergogne la « faute » de « la gauche Mediapart » dans les attentats islamistes sur notre territoire ! Quand un interlocuteur de Pascal Praud refuse de qualifier de terrorisme le massacre perpétré par le Hamas, Praud de son côté refuse de condamner les bombardements sur Gaza, après avoir bafouillé et sollicité l’aide de Louis de Raguenel (Europe 1, venu de Valeurs actuelles) qui murmure : « qui a commencé ? », suggérant que les crimes sur cette terre n’auraient commencé que le 7 octobre, comme si Gaza n’était pas sous le feu d’Israël depuis longtemps (Rony Brauman évoquait ce matin [samedi 21/10] sur France Inter les snippers israéliens dégommant les manifestants pacifistes palestiniens trop près de la barrière), comme si dans les territoires occupés de Cisjordanie, quelques jours avant le massacre du Hamas, il n’y avait pas eu d’exactions des colons à l’encontre des habitants palestiniens, comme si les assassinats de l’armée israélienne n’avaient pas eu lieu à Jénine (janvier), à Naplouse ou Jéricho (février), etc. De son côté, l'histrion du PAF, Frantz-Olivier Giesbert, dans Le Point, affirme que les Juifs ont tous les droits en terre de Palestine puisqu'ils y étaient il y a 2000 ans !
Les propos de certains politiques en France (la première ministre accusant LFI « de s’exclure du camp républicain ») relèvent manifestement d’une instrumentalisation des événements tragiques du Proche-Orient pour régler des comptes internes. Ce "débat" dévoyé ne fait que renforcer l'idée que la droite extrême et l'extrême droite mènent la danse, et dictent la façon dont doit être menée la confrontation politique. Malheureusement, des politiques dits de gauche enfourchent le même cheval de bataille pour justifier leur retrait de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale).
. Cette instrumentalisation est permanente : la destruction meurtrière d’un hôpital à Gaza a été utilisée par le "camp" palestinien pour montrer la violence d’Israël. A partir du moment où il y a un doute sur les auteurs de l’explosion, voilà que tout un discours se fixe sur cette éventuelle erreur afin de passer par pertes et profits le drame de la population de Gaza qui est toujours massivement bombardée par l’armée israélienne.
. Selon le Titre II, art. 6, al. b., de l'Accord de Londres du 8 août 1945, Statut du Tribunal Militaire International, le crime de guerre ce sont « les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ».
[21 octobre]
Doublement coupables
Lorsqu’on annonce soudain à la radio qu’un attentat a eu lieu et qu’il est attribué à un islamiste, celles et ceux qui militent pour les droits humains, en free-lance ou dans des associations en soutien aux sans-papiers, et les migrants eux-mêmes, tremblent. Non seulement ils et elles s’apprêtent à apprendre qu’une personne a été agressée, tuée peut-être, mais ils s’attendent aussi à ce que tous les haineux anti-immigrés déversent leur ritournelle. Et pas seulement sur CNews. C’est évidemment ce qui se passe après l’assassinat de Dominique Bernard, enseignant dans un lycée à Arras.
Les propagandistes de la droite extrême et de l’extrême droite se régalent à l’idée de pouvoir relier immigration et terrorisme. Zemmour et ses acolytes déroulent leur speech hargneux et raciste bien rodé, en toute impunité. Y compris en insultant les associations qui viennent en aide aux réfugiés. Pourquoi s’en priveraient-ils puisque tant d’autres enfourchent la même rhétorique ?
Il ne suffit pas de démonter ce discours indigne (certains s'y emploient, à juste titre), il faut dire que les assaillants sont doublement coupables : de s’en prendre à des innocents (acte terroriste) et aussi de porter un préjudice grave à l’encontre de tant de personnes, hommes, femmes, enfants, qui attendent de la France qu’elle les accueille et qui, dans l’angoisse, savent que ce sera d’autant plus difficile. Celles et ceux qui sont en règle dans notre pays, parfois même naturalisés, redoutent aussi que la vie soit plus dure pour eux.
Les assaillants encore en vie (c’est exceptionnellement le cas pour le tueur d’Arras) devraient être jugés non seulement pour leur crime abject mais aussi pour le mal qu’ils font à tous les étrangers dont la situation en France est d’autant plus menacée qu’un autre étranger, invoquant l’islam, s’est comporté comme un "idiot utile" des identitaires, réactionnaires, racistes, qui puisent là du grain à moudre pour leurs appels au refus d’accueillir les immigrés, et même au renvoi dans leur pays d’origine. Effet immédiat : le durcissement prévisible de la loi "immigration" en cours, dont la discussion débute au Sénat le 6 novembre.
[19 octobre]
. Ces deux chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets.
Billet n° 761
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
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