Pour le respect du préambule de la Constitution
L’extrême droite représente-t-elle 41,5 % des Français ? Je sais bien que Marine Le Pen et ses affidés s’ingénient à prétendre qu’ils ne sont pas d’extrême droite, et il est bien possible qu’une partie de l’électorat les croit. On entend : Marine ce n’est plus Jean-Marie, et bla-bla dédiabolisation... Des sommités pas suspectes de fricoter avec ce monde nauséabond confirment que le RN serait républicain ! Parce qu’il n’a pas fait de coup d’État et respecte les lois du pays ? Mais lutter contre l’immigration, déverser sans cesse des propos haineux à l’encontre des banlieues, vouloir constitutionnaliser la préférence nationale, réserver les allocations familiales aux familles françaises, prôner un nationalisme exacerbé, avoir longtemps méprisé publiquement les plus démunis jusqu’au jour où leur vote est apparu comme pouvant servir, c’est pas d’extrême droite ? Par ailleurs, cerise sur le gâteau, si l’on peut dire : Marine Le Pen a admis qu’il y avait des « Nazis » au RN qui n’ont même pas été exclus par elle mais se sont rangés d’eux-mêmes sous la bannière de Zemmour, combien en reste-t-il ? Ce parti, outre le fait qu’il s’agit d’une dynastie, ne serait donc ni de droite ni de gauche ? La candidature Zemmour (avec un programme ouvertement xénophobe et raciste), malgré leurs bisbilles, a fortement boosté le score de Le Pen.

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Manifestement, il y a eu inefficacité du combat qui cherchait à montrer la vraie nature de ce parti (même si on a évité un 54/46 ou même un 52/48 que certains pronostiquaient). La banalisation de Le Pen a été, il faut le dire, bien menée par les cadres de ce parti, aidés tout de même par certains médias et le président Macron himself, apprenti-sorcier qui avait tellement besoin de l’avoir comme adversaire principale, au risque de la faire gagner. Du coup, des électeurs se sont dits, lui ou elle, faut p’tête l’essayer, et pis de toutes façons elle ne pourra pas vraiment appliquer son programme dans ses aspects les plus contestables. Certains, kamikazes, se sont même dits : elle ne passera pas, et voter pour elle cela évitera à Macron de trop pavaner.
Au final, et c’est la leçon du premier tour : il y a une droite, une extrême droite, et une gauche. Certes, les temps sont mauvais, car droite et extrême droite sont dominants dans le pays. Les 41,5 % ce sont les voix Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan, Lassalle en partie (son choix de l’abstention vaut blanc-seing pour voter Le Pen), et Pécresse beaucoup (les électeurs LR qui ne sont pas de tendance Ciotti étaient déjà partis au premier tour sur Macron). Et les 58,5 % de Macron ce sont ses électeurs du premier tour évidemment, les électeurs Jadot, Hidalgo, Roussel, bien sûr, mais aussi beaucoup des électeurs de Mélenchon, quoi qu’en disent certains à droite et à gauche : il suffit d’étudier en détail les scores entre les deux tours, y compris en comparant avec les résultats de 2017, dans les villages, dans les villes moyennes, dans les grandes villes, dans les quartiers. Sans toutes ces voix de gauche (42 % de son score) pour empêcher l’extrême droite de gagner, Macron n’était pas élu. Le plus souvent, Le Pen arrive en tête là où elle était déjà en tête au premier tour, et là où Mélenchon était en tête, au second tour c’est Macron qui l’emporte (les Antilles sont un contre-exemple, pour des raisons diverses, mais partout en métropole on voit bien que les électeurs de Mélenchon ont voté massivement Macron au second tour : c’est particulièrement visible en Ile-de-France ou à Marseille, où Mélenchon fait des scores à 40 ou 50 % au premier tour, tandis que Macron est à la peine mais explose les plafonds au second tour).

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Moralité : comme l’a dit Emmanuel Macron avec raison, « ce vote m’oblige pour les années à venir. Je suis dépositaire de leur sens du devoir, de leur attachement à la République et du respect des différences qui se sont exprimées ces dernières semaines ». Si les partis de gauche parviennent à s’entendre sur des candidatures sans concurrence, la gauche peut être sinon gagnante (faut pas rêver) en tout cas mieux représentée qu’en 2017. Ensuite, le président élu devra tenir compte du fait qu’il doit son élection ni à la droite non-macroniste, ni à des abstentionnistes venus voter (puisqu’il y a eu davantage d’abstention) mais aux électeurs qui avaient voté Jadot, Hidalgo, Roussel et Mélenchon au premier tour. Cela signifie qu’il ne pourra pas appliquer son programme en totalité : certes il est élu selon la Constitution, il est le président de tous les Français, mais sa politique doit d’abord tenir compte de celles et ceux qui, de façon flagrante, ont empêché la victoire de Le Pen. Donc exit les lois antisociales et même revenir sur certaines adoptées lors du premier quinquennat comme celle sur le chômage : s’il n’en tenait pas compte, comme Chirac après 2002, comme lui-même après 2017, il violerait ouvertement sa propre parole (« ce vote m’oblige ») : il faudra sans cesse le lui rappeler, partout et toujours. Par ailleurs, des citoyens galèrent avec des bas salaires ou des minima sociaux qui ne leur permettent pas de vivre décemment or la Constitution prévoit que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » [préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur]. Une des premières exigences pourrait être d’obtenir que la Constitution soit respectée.
. Emmanuel Macron obtient 18,8 millions de voix, soit 5,5 millions de mieux que Marine Le Pen qui obtient 13,3 millions de voix. Ce qui correspond à l’évaluation basse du nombre des électeurs du second tour ayant voté Macron tout en n’approuvant pas son programme, simplement pour contrer Le Pen (sans doute davantage puis qu’un sondage a évoqué 42 %, soit 7,5 millions de ses électeurs). Il est possible que Marine Le Pen ait obtenu elle aussi des voix qui ne soient pas d’adhésion, venant d’électeurs ayant voulu juste contrer Macron. Ce qui signifierait que Macron n’aurait pas été élu ou que les deux auraient été moitié-moitié, fifty-fifty, nouss-nouss.
Antifas : organiser la résistance

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L’"Assemblée spontanée de défense sociale" avait appelé dimanche soir à un rassemblement devant la mairie d’Auch (Gers, Occitanie) un peu avant l’annonce des résultats. Une quarantaine de personnes venues protester contre le dilemme surréaliste auquel le pays est soumis : n’avoir au second tour d’une élection présidentielle que le choix entre une droite dite "libérale" qui défend les intérêts des possédants et une extrême droite qui a le culot de prétendre faire du social alors que son nationalisme exacerbé et sa xénophobie viscérale laissent entrevoir des lendemains saignants. Aucun des participants ne désirait la victoire d’Emmanuel Macron, encore moins celle de Marine Le Pen. L’absurdité de la situation empêchait d’espérer une faible victoire de Macron qui impliquait un fort score de Le Pen, et vice versailles : piégés sur toute la ligne. Malgré tout, le résultat annoncé à 20h. rassurait quelque peu, juste savoir que les fachos ne seraient pas au pouvoir le lendemain matin, mais résignés à devoir combattre un nouveau quinquennat d’un président élu uniquement parce que des opposants à sa politique ont été contraints à le soutenir.

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Tandis qu’une soupe chaude était servie, un militant de Gasconha action antifasciste (Gers antifa) prononçait un discours dénonçant « la politique liberticide, antisociale et répressive [de Macron qui] enferme la société dans une spirale sécuritaire » : « le système Macron c’est l’anéantissement programmé du peu de socialisme qu’il reste en France et la mise en place d’une haie d’honneur nauséabonde en faveur de l’ultralibéralisme ». Le quinquennat écoulé a servi de « terreau fertile aux idées d’extrême droite » (réhabilitation de Pétain ou de Maurras, oppression contre les populations migrantes, légitimation des violences à Calais, atteinte aux organisations antifascistes, stigmatisation des antiracistes par un vocable imbécile comme "islamogauchisme" ou "wokisme").
Il appelle à ce qu’on n’oppose pas « celles et ceux qui ont voté la mort dans l’âme pour faire barrage à une fasciste, et celles et ceux qui n’ont pu s’y résoudre ». Il dit la nécessité « d’organiser la résistance » en mobilisant les syndicats, les mouvements féministes et LGBTQIA+, les organisations antiracistes, les défenseurs des sans-papiers et des mal-logés, avec mobilisation des quartiers populaires. Mettre en place une « organisation progressiste et révolutionnaire qui mettra à bas l’individualisme et le dogmatisme », car, il ne faut pas en douter, les néo-fascistes s’appuieront sur leur résultat électoral pour « continuer à instiguer la peur et la défiance ». Ils sont présents dans nos campagnes avec « la Ligue du Midi, l’Action française, la Rose blanche, la Jeunesse avec Zemmour », et Renaud Camus, le propagandiste de la théorie immonde du Grand remplacement, vit dans le Gers. Le danger est d’autant plus grand que « l’on sait que policiers et militaires votent majoritairement pour l’extrême droite, qu’ils y militent et font le service d’ordre de Zemmour ».
Conclusion : « Nous ne pouvons pas accepter et rendre acceptable que certaines personnes soient chassées et violentées en raison de leur couleur de peau, leur religion, leur nom de famille ou leur orientation de genre et de sexualité ». Et avant dispersion : « Siamo tutti antifascisti ».

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. Ces deux chroniques ont été publiées les 25 et 26 avril sur mon compte Facebook, reproduites ici dans une version parfois légèrement modifiée.
. voir mon précédent billet : Pour le mauvais contre le pire.
Billet n° 676
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.
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