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Le mardi 23 mai, dès potron minet, un apiculteur était à la barre du tribunal d’Auch : il lui était reproché d’avoir laissé s’installer des cabanes faites avec des palettes de bois sur son propre terrain jouxtant une zone devant héberger un parc de 15000 panneaux photovoltaïques au sol sur des bonnes terres agricoles exploitables (dans la commune de Haget, dans le Gers, à la limite des Hautes-Pyrénées). Devant le tribunal, une armée de policiers : on se demande un temps s’il n’y a pas une autre affaire, de terroriste ou de forcené ? Non, le déploiement est prévu pour les citoyennes et citoyens venus en soutien à Stéphane Cazaban. Ce dernier utilise les palettes pour installer ses ruches et il reconnait que des zadistes s’étaient installés sur son terrain.
Le Père Ubu préside le tribunal
L’affaire a été instruite en mars, jugée le 23 mai : étonnant non ? Sachant que tant de procédures mettent des mois si ce n’est des années (dans la salle d’audience, une jeune femme attend depuis trois ans que son agresseur soit jugé). Stéphane est poursuivi car il est en infraction avec un article du Code d’urbanisme : selon le PLU (Plan local d’urbanisme), il n’a pas le droit de construire des cabanes en bois et n’a pas porté plainte contre ceux qui les ont installées. La présidente du tribunal, qui préside à charge, en profite pour lui rappeler qu’il a été un peu en infraction sur la déclaration de ses ruches, même si cela n’a rien à voir avec l’affaire. Elle tend à lui faire avouer qu’il est complice de ces zadistes qui voulaient créer la ZAD de l’Orchidée, puisqu’il a trimballé les palettes, qu’il a participé à une marche de protestation contre le parc photovoltaïque (pire : sa famille était présente), et à une manifestation devant la préfecture (il a même été reçu par le préfet), et qu’il adhère aux Amis de la Terre (« vous n’êtes pas trésorier ? », « depuis quand vous adhérez ? ».

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À noter que les AT, dont il est accusé d’être adhérent, n’avaient pas appelé à occuper le terrain… de Stéphane). Last but not least, il s’est permis de contester, avec d’autres, le projet de parc devant le tribunal administratif de Pau : tous éléments concourant à démontrer qu’il y a une présomption de complicité avec ces constructeurs de cabanes et donc culpabilité. Il aggrave son cas car il n’a pas expulsé les zadistes (même s’il a la preuve qu’il leur a demandé par courriel de partir). Dans bien des procès, on s’attarde sans retenu sur le passé si possible à charge du prévenu, là que nenni. Stéphane a fait 14 ans de gendarmerie, c’est lui qui le glissera au passage, cela n’intéressait pas la juge qui murmure qu’elle le sait et qui lui rétorque que de ce fait il devrait connaître le droit et savoir qu’on ne construit pas de cabanes avec des palettes de bois sur son propre terrain !
La procureure dressera un réquisitoire déroulant les mêmes suspicions, surréalistes : s’il n’a pas construit les cabanes, il en aurait profité même si le bénéfice n’est pas « pécuniaire », mais moral puisqu’il approuve la position des contestataires du parc. En conséquence elle déclare solennellement qu’il doit être reconnu coupable et être condamné à 700 € d’amende… [courte pause pur ménager ses effets] avec sursis.

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Me Philippe Morant, l’avocat de Stéphane, a beau jeu de considérer que ces accusations frisent le délit d’opinion. Il note qu’il n’y a eu aucune violence, aucune destruction, que les photos du terrain vu des airs ne montrent que des ruches, des palettes et des bâches plastiques. Aujourd’hui, le terrain n’a que des ruches sur palettes, où est l’infraction ? Les gendarmes ont effectué des patrouilles et n’ont cessé de survoler en hélicoptères le site, pour prendre des photos : mais eux, pas plus que la mairie plaignante, n’ont jamais pénétré sur le terrain de Stéphane pour constater s’il s’agissait bien de cabanes. L’assistance est tendue devant une audience judiciaire où on semble vouloir écraser une mouche avec des gants de boxe. Mais elle se détend et rit quand l’avocat se demande en passant si les palombières sont bien toutes construites en respectant le PLU !

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L’avocat réclame la relaxe. Cette affaire inquiète les défenseurs des libertés publiques, le contexte des poursuites, le mode d’enquête, le caractère farfelu des accusations. Dans quel monde bascule-t-on si l’on en vient à mobiliser autant d’agents publics pour des peccadilles Est-ce que la trouille étatique de voir apparaitre une ZAD justifie un tel emballement policier et judiciaire ? L’affaire est mise en délibéré au 27 juin.
Poursuites contre un syndicaliste

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Le 24 mai, au lendemain de cette première audience, un syndicaliste, responsable départemental de la CGT Santé-sociaux est convoqué au commissariat d’Auch parce qu’il aurait apposé, en pleine lutte contre la réforme des retraites, une affichette sur la porte de la permanence du député Renaissance du Gers, Jean-René Cazeneuve, ci-devant rapporteur de la commission des finances. L’affichette représente le président Macron dans une poubelle avec ce commentaire délicat : « Une ordure peut en cacher d’autres » ! Nous assistons à une confusion générale : une partie de la classe politique et des médias mainstream tentent de faire croire que la contestation des élus, même hargneuse, serait l’équivalent d’une agression violente, comme celle subie par le maire de Saint-Brevin. Cette façon d’extrapoler la critique même sévère est une insulte à celles et ceux qui sont réellement et physiquement attaqués.
Le tribunal condamne l’apiculteur

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Le délibéré dans l’affaire de Stéphane Cazaban avait lieu ce matin, 27 juin, en présence d’une trentaine de militants. A la différence de la première audience en mai, aucun policier présent, à l’exception du service de sécurité du tribunal. L’ancien assesseur, faisant fonction aujourd’hui de président, a annoncé le verdict : M. Cazaban est condamné à 700 euros d’amende avec sursis et à verser 127 euros au tribunal pour frais de procédure. « Vous pouvez bénéficier d’un abattement de 20 % » (à solliciter dans un certain délai). Semblant vouloir être prévenant, le juge ajoute : « vous ne payerez pas à condition de ne pas recommettre une infraction dans un délai de cinq ans, alors l’amende de 700 euros serait exigée en tout ou partie ». Quant au casier judiciaire, le juge bafouille : il dit d’abord que ce ne sera pas inscrit, puis se reprend, annonçant que la condamnation sera inscrite au casier judiciaire. La salle se lâche alors, et hue le tribunal. On entend « c’est une honte ». Quatre policiers lourdement équipés sont arrivés.
Sur le perron du tribunal, Jean-Manuel (dit Manu) Fullana, des Amis de la Terre, dit qu’on est arrivé à un stade où il n’est plus nécessaire qu’il y ait des magistrats pour juger : des policiers suffiraient. Quant à la distinction entre magistrature debout et magistrature assise elle n’a plus lieu d’être, après un tel jugement. L’inscription au casier judiciaire est perturbante pour l’avenir de Stéphane. Ce dernier et son avocat s’accordent un temps de réflexion avant de décider des suites à donner (appel ou simple contestation de l’inscription au casier judiciaire).

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Manu exprime une inquiétude partagée : après Attac, Dernière Rénovation, Extinction Rebellion convoquées à l’Assemblée Nationale dans le cadre d’une commission d’enquête, après Anticor qui perd son agrément, après les menaces à l’encontre de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), après la dissolution des Soulèvements de la Terre, il y a de quoi s’inquiéter grave : « Qu’est-ce qui se passe dans ce pays. Des gens, des comités, des associations se lèvent contre des projets idiots : contre la méthanisation (un combat est mené dans le Gers contre des installations qui ne sont en rien de l’énergie renouvelable), contre l’agrovoltaïque (des hectares et des hectares avec des panneaux et dessous des pervenches, des herbes aromatiques et deux ou trois moutons) ». Manu rappelle le slogan selon lequel « le photovoltaïque c’est pour les hangars, pas pour les hectares ». Il appelle à la lutte : « à un moment donné, ils ne pourront pas tous nous enfermer ».
Pascal Levieux, pour la LDH, rappelle les menaces proférées à l’encontre de son organisation par le ministre de l’intérieur mais aussi l’attitude de la FNSEA qui a dans son collimateur la Confédération Paysanne, et, enfin, la plainte du député macroniste contre ce délégué CGT pour une affichette. Il constate qu’il y avait dans ce département rural une gestion plus apaisée des affaires, mais là on voit qu’il y a une volonté en haut lieu de dramatiser et de criminaliser les opposants. Les choses s’inversent, il y a un grand risque que ces dérives se renouvellent. Grande inquiétude dans les milieux militants. Comme pour la première audience, Sud/Solidaires, la Confédération Paysanne, la CGT, Amnesty International, Les Amis de la Terre, Génération Ecologie, La Ligue des Droits de l'Homme, étaient représentés.
Le 4 juillet, Morgan Jolivet, impliqué dans la lutte contre le projet de parc photovoltaïque de Haget, est convoqué également devant ce même tribunal. Affaire à suivre, donc.

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Billet n° 740
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
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