YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

885 Billets

2 Éditions

Billet de blog 28 février 2023

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Macron à Rungis : le ridicule ne tue pas

Le président Macron se rend à Rungis pour glorifier ceux qui se lèvent tôt, façon de traiter les autres de feignasses. Soirée retraites dans une ville moyenne de province : des arguments percutants. Gabriel Attal en visite dans cette même ville : je l’interpelle sur la démagogie consistant à supprimer les cotisations sociales sur les heures supplémentaires.

YVES FAUCOUP (avatar)

YVES FAUCOUP

Chroniqueur social

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Emmanuel Macron a fait son petit Sarkozy le 21 février en se rendant à Rungis dès 5h30 pour s’adresser à « ceux qui se lèvent tôt », façon de traiter les autres de feignasses. Il déroule encore et encore la phraséologie réactionnaire sur la ʺvaleur travailʺ qui est une insulte envers celles et ceux qui défendent le progrès social. En effet, celui-ci a toujours consisté à réduire le temps de travail, autant que possible en améliorant les conditions de travail. Si la valeur du travail en prend un coup ce n’est pas parce que de façon simpliste certains prôneraient la paresse, mais parce que gestionnaires et bureaucrates, depuis des décennies, sabotent le sens du travail et provoquent malaise dans le salariat.

Illustration 1

Macron déclare à des spécialistes du veau à la découpe : « moi, je crois dans le travail ». Il affirme qu’il a réduit le nombre des chômeurs, ce qui reste à prouver, les experts sérieux ayant des doutes sur la véracité des chiffres officiels (même s’il est vrai que la hausse importante de l’apprentissage peut expliquer, en partie, cette baisse). Mais de façon générale, la politique du chômage est entretenue par un pouvoir politico-économique qui y a intérêt, même s’il ne cesse d’afficher un discours contraire. De ce fait, proclamer qu’on croit au travail est ridicule. Il ne va pas tarder à nous dire qu’il préfère être en bonne santé que malade.

Un des bouchers maugrée en s’offusquant de la « fraude sociale » et d’une classe moyenne (à laquelle il appartient apparemment) pressurée. Un autre proteste : « il y a trop de social ». Macron répond : « je ne crois pas qu’il faille moins de social : il faut que le travail continue à payer davantage ». Phrase malignement ambiguë : car elle ne veut pas vraiment dire que le travail doit être mieux payé, sinon il veillerait à ce que le Smic augmente réellement. Non, cela semble être tout simplement en conformité avec le discours classique de la droite et de l’extrême-droite qui considère que les revenus des aides sociales seraient à peu près équivalents aux revenus salariaux. Ce qui est totalement faux, digne d’un Wauquiez ou d’un Ciotti, donc indigne.

[22 février]

Soirée retraites

L’Intersyndicale contre la réforme des retraites a organisé le 22 février, à Auch (Gers) une soirée-débat sur le sujet (Modef, Confédération paysanne, SUD, FSU, CGT, FO et UNSA étaient là, CGC et CFDT absents).

Illustration 2
[Photo YF]

Victorien Pâté, économiste de la CGT, expose la façon dont le pouvoir trompe le public sur le déficit et comment ce déficit éventuel a été établi par le COR ʺgrâceʺ à des perspectives du gouvernement les plus négatives sur la baisse des salaires et le gel du recrutement des fonctionnaires. Il rappelle les réserves des caisses de retraite (200 milliards d’euros [MD€] en stock, sans parler des cotisations annuelles soit 340 Md€) et les exonérations exorbitantes accordées aux entreprises (cumulées : 45 Md€). Alors même que les 12 Md€ de déficit éventuel concernent un secteur d’utilité sociale. Il cite opportunément Eric Lombard, ancien patron de la BNP, actuel patron de la Caisse des dépôts, reconnaissant sur BFM le 15 février 2022 que trop de revenus reviennent au capital et qu’il est temps de partager les richesses.

Une responsable de la CGT constate que les femmes vont faire les frais de cette réforme et liste différentes mesures proposées par la CGT pour régler le problème (égalité salariale hommes-femmes, hausse des salaire et donc des cotisations, augmentation de l’emploi des femmes avec un service public de la petite enfance). L’UNSA reconnait qu’il faut travailler plus longtemps, mais en réduisant le chômage et avec un meilleur système de santé. FO voit dans cette lutte la preuve que les syndicats ont encore tout leur rôle à jouer. Betty Jean dit Teyssier, pour la FSU, constate que le recours excessif aux contractuels dans la fonction publique a pour effet de diminuer le niveau des pensions.

Pour Stéphane Léger (SUD), une société qui progresse est une société où les enfants vont mieux que leurs parents, or on recule sur les droits sociaux. Il se réjouit de la mobilisation actuelle (certains n’étaient jamais descendus dans la rue). Après avoir rappelé les 157 Md€ d’aides aux entreprises (ce qui ramène à sa juste valeur l’éventuel déficit agité comme un hochet par le pouvoir), il met en garde : s’il ne se passe rien, demain c’est le Front National !

Illustration 3
Sébastien Pigache au micro [Ph. YF]

Sébastien Pigache, pour la Confédération Paysanne (« on est un syndicat de patrons », plaisante-t-il), dit sa colère face à un patron comme Emmanuel Besnier (Lactalis) dont la fortune est estimée à 14 Md€. Il conteste une réforme voulue par le gouvernement selon son prisme, sans prendre en compte bien d’autres solutions. Il approuve la suppression des régimes spéciaux, à la condition que le meilleur soit appliqué à tous. La loi Egalim, soutenue par le député Renaissance local, Jean-René Cazeneuve, rapporteur du budget, est un échec. Il pose le problème des femmes qui sont nettement défavorisées dans l’agriculture (en particulier quand elles reprennent une exploitation). Il milite pour qu’il y ait 500 000 agriculteurs de plus. André Belvèze, pour le Modef, note que la retraite de base à 1035 € pour les agriculteurs, déjà acquise (grâce au combat mené par le député André Chassaing, PC) a eu une portée limitée à cause de modalités complexes de mise en œuvre. Il ne cache pas que certains agriculteurs préfèrent acquérir des terres pour se constituer une fortune plutôt que de cotiser à hauteur de leurs revenus (ils se plaignent ensuite d’avoir une très petite pension). Il critique sévèrement le patron de Leclerc qui revendique de petits prix sur les produits de première nécessité, au détriment des producteurs.

Enfin, Matthieu Bolle-Reddat, conducteur de train (ligne C du RER), CGT, habitué à la lutte sur le terrain et aux diatribes sur les plateaux de télé, défend les régimes spéciaux (invoquant l’histoire, expliquant qu’ils ont été des pionniers de la protection sociale). Il constate que personne ne soutient cette réforme. Il appelle à des blocages de l’économie à partir du 7 mars, seul moyen que le pouvoir entende raison. Il rappelle que 64 ans c’est l’âge moyen de l’espérance de vie en bonne santé (et « une moyenne c’est entre le clochard et Bernard Arnault »).

Au cours du débat qui a suivi, les médias ont été mis en cause, la gestion démocratique de la Sécu revendiquée (elle a existé jusqu’en 1967, année où le patronat a repris le contrôle qu’il n’avait pas après la guerre), la nécessité que chaque manifestant aille convaincre dix personnes à s’engager contre cette réforme (action horizontale contre la propagande verticale des médias des milliardaires). La dignité de la rue est mise en valeur, face à l’indignité des élus à l’Assemblée (cf. le coup de gueule du ministre du travail). Un militant rappelle que les socialistes (plusieurs étant présents dans la salle, dont Philippe Martin, ex-ministre de Hollande, nommément désigné par l’intervenant) ont fait la loi Travail.

Eric Cantarutti, CGT, qui animait la soirée, rappelle la journée d’action du 7 mars (grèves et manifestation), avec scène musicale, et la journée du 8 mars, journée internationale de luttes pour les droits des femmes, occasion de dénoncer l’injustice sociale majeure de cette réforme des retraites envers les femmes.

. Lien avec post complet (Facebook) dont vidéo avec extrait de la prise de parole de Matthieu Bolle-Reddat : ici

[23 février]

Gabriel Attal face à la rue !

Gabriel Attal, ministre des Comptes publics (beaucoup le croient encore porte-parole du gouvernement), était dans le Gers (Occitanie) le lundi 21 février. Il a visité l’entreprise Parera à L’Isle-Jourdain (200 salariés), spécialisée dans la cartographie. Le ministre, selon La Dépêche, a parlé de pouvoir d’achat et vanté la ʺprime Macronʺ. Des parents d’élèves qui redoutent une fermeture de classe l’ont interpellé. Puis il a rendu visite aux agents de son administration (Finances publiques) à Auch (chef-lieu du département) qui se sont plaints des baisses d’effectifs. Il a annoncé un nouveau plan de lutte contre les fraudes fiscales avec davantage « de moyens humains et techniques ». Enfin, il s’est rendu à la Préfecture pour une rencontre avec les élus. Sur son passage, une poignée de manifestants des organisations syndicales qui contestent la réforme des retraites étaient présents, moins pour lui que pour s’adresser aux élus qui se pressaient pour rencontrer le ministre-star. Le soir, à Pessan, Gabriel Attal retrouvait les partisans de Renaissance, raout auquel participait, dans une confusion des rôles inédite, le Préfet du Gers, en personne et en uniforme !

Illustration 4
Frédéric interpellant le ministre [Ph. YF]

Le lendemain, de ma fenêtre, j’aperçois quelques voitures officielles à la Patte d’Oie (grand carrefour en basse-ville). Bizarre : la rumeur m’avait bien été transmise hier selon laquelle il allait peut-être déambuler dans l'après-midi rue d’Alsace, mais c’était hier. Damned, serait-il là dans mon quartier ? Je fonce et le trouve, avec le député Renaissance Jean-René Cazeneuve, à la boucherie : je suis le staff au pas de charge à la boulangerie, puis à la maison presse et librairie, et enfin au café (je jure que je n’ai pas organisé son déplacement bien que je fréquente précisément ces magasins tous les jours).

Les commerçants évoquent leur activité, Gabriel Attal échange avec quelques personnes croisées au cours de ce zig-zag dans l’avenue d’Alsace : des passants et des clients l’interpellent comme l’ami Frédéric qui soulève le problème de la suppression de services en basse ville (d’autant plus problématique pour les personnes à mobilité réduite) et la fermeture du bureau de poste, tant décriée, ce qui complique la vie des habitants du coin qui n’ont plus ce bureau de proximité ni, surtout, la banque postale. Le ministre écoute avec compassion. Certains évoquent les retraites. Une personne soulève des questions liées au transport et à la santé (un collaborateur précise… qu’un nouvel hôpital sera construit pour 2028-2030).

Le ministre doit prendre un avion, je peux lui poser une question tout en marchant en direction du convoi officiel : je lui dis que je désapprouve la politique du gouvernement et ses propres déclarations, bien que je reconnaisse avec d’autres qu’il est efficace dans les débats publics. Je lui reproche de qualifier ses opposants de démagogues alors que lui-même n’hésite pas à les accuser de vouloir taxer les heures supplémentaires et réduire ainsi le pouvoir d’achat des ouvriers et employés, alors même que cette mesure porte délibérément atteinte à la Sécurité sociale, privée ainsi de cotisations sociales. Il me répond qu’il y a déjà beaucoup de taxes, que le gouvernement a réduit de 24 milliards les cotisations… compensées par l’augmentation du nombre des cotisants (baisse du chômage). Si c’est vrai cela signifie que le budget des retraites pourrait être pérennisé par d’autres moyens que de faire travailler les seniors plus longtemps : on voit bien que le déficit hypothétique du budget des retraites de 12 milliards (avant que les baby-boomers ne disparaissent) peut être compensé par de meilleurs salaires et une hausse des personnes en emploi.

Illustration 5
[Photo YF]

Cette séance de communication (un photographe du ministre immortalise chaque étape) a été voulue par le député (rapporteur du budget) qui a ainsi pu conduire Gabriel Attal auprès de commerces où il a l’habitude de se rendre lui-même. C’est la première fois qu’un ministre en visite ici est aussi facilement reconnu dans la rue. Le staff piaffe : il faut partir, le ministre s’engouffre dans une voiture noire.

. Lien avec post complet (photos) : ici.    

[21 février]

. Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets.

Billet n° 724

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.