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David Angèle-Diniz a publié un livre sur son passé d’enfant placé. Il n’est pas le seul à le faire : le sien, comme heureusement quelques autres, ne répond pas à une commande d’éditeur qui cherche à faire pleurer dans les chaumières, veillant à ce que le récit soit bien croustillant afin que cela fasse le buzz si possible dans les médias. Pourtant c’est ce genre de témoignage qui devrait être popularisé, car il respire la sincérité.
J’ai lu Mon doux foyer lentement, comme toujours, mais d’une traite. L’écriture et le style sont d’une grande qualité. Dès les premières lignes, on comprend que l’auteur a une plume. Le texte est musical, scandé de notations se référant à des chansons (Si j’avais su, rapé par Shurik’N, Enfants de la DDASS, par MC Jean Gab’1). Le propos est pétri d’humanité, la bienveillance transparait sans cesse : envers sa famille, ses camarades, ou, malgré bien des reproches, envers les travailleurs sociaux, le directeur du centre éducatif et la juge des enfants. Il relève les différences de comportement et de personnalité des éducateurs et éducatrices (quelques « lèche-cul » avec le directeur qui est magistralement décrit, telle femme ayant plus d’autorité que les hommes).
Le livre est dédié à ses parents, « ces âmes solitaires », auxquels il dit son amour. Le père était ouvrier, émigré portugais ayant fui la dictature, la mère au foyer, issue d’une famille italienne venue de Tunisie. Le père travaille, mais sur le plan affectif « c’est toujours le grand désert » et la mère est malade (dépressions répétées, jalousie extrême) : l’ambiance est aux disputes incessantes.
C’est parce qu’ils étaient défaillants qu’un jour, lui et ses frères et sœurs, ont dû être placés hors du foyer familial, malgré la résistance des parents cachant un temps les enfants et celle de David lui-même dont l’objectif sera longtemps de fuir le centre pour retrouver sa famille. Le récit est ainsi fait que l’on entend à tout moment le sentiment éprouvé par l’enfant et la lucidité de l’adulte qui écrit (et qui comprend ce qu’il ne percevait pas enfant : la maladie « invisible » de sa mère et la nécessité d’un cadre de vie que finalement le foyer proposait). Il parsème son texte de quelques extraits de rapports des services éducatifs et sociaux auxquels il a eu accès. Lui dit que sa famille vivait « dans un parfait taudis », tandis que les travailleurs sociaux euphémisent dans leurs écrits : « dans un appartement sans confort ». L’auteur, qui avoue n’avoir pas tout compris, a bien cerné que les travailleurs sociaux avaient un mal fou à rencontrer sa famille.
Il ne fait pas de misérabilisme, mais ses propos provoquent de l’émotion. Il décrit avec honnêteté ce qu’il a vécu, les rencontres qu’il a faites, et avec talent. Il exprime la complexité de ce qu’un enfant vit dans de telles situations, l’ambiguïté, l’incertitude, les impressions contradictoires. Et il ne se ménage pas, et livre avec simplicité certains aspects intimes. Il nous fait part de l’angoisse des dimanches soir, du super-héros qu’il s’était inventé, des autres enfants de l’école qui méprisaient les enfants du foyer. Je ne connais pas David Angèle-Diniz, mais je l’ai lu comme un ami qui se confie aujourd’hui avec sagesse sur un passé douloureux avec un regard raisonné de quelqu’un qui a réfléchi et analysé son parcours, a cerné les causes de ce qui a provoqué ce malheur. Il est capable de glisser un peu d’humour (comme lorsqu’il décrit le commerce des lignes, un pensionnaire copiant des lignes de punition et les vendant aux autres, punis, contre de l’argent de poche).
Sa tendresse pour sa mère est très touchante, d’autant plus qu’on mesure bien le contraste entre le comportement de cette dernière qui n’a jamais exprimé d’affection et les sentiments qu’il éprouve. Il en veut au système qui n’a rien fait pour qu’elle bénéficie des traitements adaptés. Et cela a fini en « enfer » : dix années d’aller-retour à l’hôpital psychiatrique, mais accompagné par un mari meurtri et désormais attentionné (le court récit qu’il fait d’un rêve arrache les larmes). À la lecture, on perçoit la résilience de David, qui pour moi ne signifie pas seulement d’avoir vécu des événements terribles et de s’en être sorti. Sa capacité à exprimer son expérience et à surmonter cette épreuve, et les valeurs qui l’animent, ne peuvent que découler de qualités personnelles, ce qui suppose qu’au moins, dans sa petite enfance, un adulte a joué autant que possible son rôle.
Ce témoignage confirme ce que tout professionnel a pu constater : c’est lorsque les mères sont défaillantes que le plus souvent la protection de l’enfance entre en jeu, tellement la charge mentale relève encore de leur seule compétence dans notre société. Ce qu’il nous indique aussi c’est qu’il importe de ne jamais faire une dichotomie entre les situations "normales" et les autres : David Angèle-Diniz ne dresse pas un tableau noir de sa famille, a contrario combien d’adultes sont marqués à vie parce qu’un parent était psychiquement défaillant, même si aucune mesure de protection de l’enfance n’a été mise en place. Enfin : ne jamais oublier que les enfants ne connaissent que le monde dans lequel ils vivent, ils n’ont pas de possibilité de comparaison. Ce qu’ils vivent, même le pire, c’est « naturel ».
Je serai tenté d’en dire davantage car j’ai lu ce beau livre ligne après ligne. Pour le présenter, je le relis en partie et j’en mesure plus encore non seulement ses qualités humaines mais aussi littéraires. Pour moi, c’est un vrai scandale qu’un tel ouvrage ne soit pas mis en avant lorsqu’il est question, dans les médias, du placement des enfants. On est en droit de s’étonner que tant de télés et de gazettes, qui font régulièrement leur beurre avec le drame des enfants placés, ne tiennent pas compte d’un tel témoignage.
J’ai adressé un message à David Angèle-Diniz qui a bien voulu répondre à mes questions.
"Rendre hommage à mon passé"
YF : Qui vous a aidé à ne pas vous enfoncer lors de cette enfance difficile et après ?
DAD : Il m'est très difficile de répondre. J'aurais presque envie de dire "personne" mais vous soulevez un point intéressant : qui alors m'a transmis les valeurs qui étaient les miennes déjà enfant ? Lorsque je regarde en arrière, j'ai presque l'impression que c'est inné, comme si j'avais eu la chance d'avoir très jeune une conscience élevée et donc un regard sur le monde qui m'aurait permis d'agir comme je l'ai fait.
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Mais en y regardant plus attentivement, j'ai l'impression que c'est un tout. Ma mère, sans doute, qui était issue d'une famille très croyante et qui nous parlait souvent de Dieu, du bien, du mal. Ma sœur ainée Delphine qui, très jeune déjà, était un peu notre référente. Les différents instituteurs, à l'école, qui, eux aussi, avaient un grand rôle éducatif à jouer (et qui l'ont plus que certainement tenu).
Et j'aurais presque envie d'ajouter "Walt Disney", ou les dessins animés en général. Cela peut paraitre un peu mièvre, mais j'étais très touché étant enfant par les scènes qui se jouaient sur le petit écran, d'héroïsme, de générosité, de combat contre l'injustice, etc. et j'avais souvent le sentiment que c'était la ligne de conduite qu'il fallait suivre.
Le foyer familial était malgré tout un foyer aimant, même si dysfonctionnant. Et cet amour, même s'il était "cassé", m'a beaucoup aidé je pense. Ce qui m'a permis de ne pas sombrer, c'est l'espoir. D'abord de retourner chez mes parents, puis de "vaincre" la solitude et enfin, l'espoir d'apporter une vie meilleure à ma mère. Le simple fait de la voir comme ce qu'elle était, un être faible ayant besoin d'aide, m'a naturellement donné la force de me battre pour elle.
Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?
Cela faisait bien longtemps que j'avais envie de raconter cette histoire. J'ai, à plusieurs reprises, commencé l'écriture, pour l'abandonner aussitôt. Pour plusieurs raisons : j'allais trop vite, j'allais à l'essentiel, et en une trentaine de pages, l'histoire était racontée. Je n'arrivais pas à trouver le ton, trop "pleurnichard" à mon goût. Je pense que je n'avais pas la maturité, ni le recul nécessaires (sans parler des qualités rédactionnelles qui se sont bien améliorées aussi avec l'expérience).
L'envie est venue comme je le décris dans l'épilogue. Et puis ma conjointe qui m'annonce un soir qu'elle va lancer la création d'un blog dans lequel elle écrirait des articles. Et moi de répondre, "ça me donne envie, j'aime beaucoup l'écriture moi aussi, mais je ne sais pas quel sujet traiter". J'ai formulé le prologue dans ma tête, je l'ai couché sur papier, et à partir de là, j'étais lancé.
J'ai été porté par plusieurs envies : rendre hommage à ma mère, mon père ; à mon passé (si tant est qu'on puisse rendre hommage à du vécu) ; aux jeunes ayant croisé ma route ; mais aussi l'envie de transmettre une expérience, des leçons et une philosophie de vie : prendre conscience que la vie vaut la peine d'être vécue, qu'elle est belle, surtout dans les choses simples. Se servir de la mort comme boussole aide énormément en ce sens.
Que faites-vous aujourd’hui ?
Il est vrai que je suis resté discret sur ce point. J'ai parfois peur (sans pouvoir imaginer quelles conséquences cela aurait) de mélanger cette dimension avec ma dimension professionnelle, d'où mon choix de rester (presque) anonyme (David Angèle-Diniz étant un pseudonyme, un nom de plume, pas si éloigné de mon vrai nom, vous l'aurez compris).
J'ai fait pas mal de choses dans ma vie, toujours à la recherche d'un épanouissement professionnel que je n'ai jamais trouvé : le plus gros de ma carrière dans la propriété industrielle, en tant qu'assistant juridique (brevets) ; j'ai été graphiste indépendant ; aujourd'hui je suis gestionnaire des ressources humaines (dans un groupement d'intérêt public dédié au relogement des réfugiés (principalement).
Et dernier point que vous soulevez : je ne cite pas l'ASE, effectivement, car je n'en connais pas bien les mécanismes, et je ne saurais dire, encore aujourd'hui, si elle est intervenue dans le processus de placement ou non. Je sais qu'avant le placement, il y avait cette "mesure éducative en milieu ouvert", lorsque les assistants sociaux nous rendaient visite régulièrement à la maison, et que le juge pour enfants a ordonné le placement face à la réticence de mes parents à collaborer avec eux (pour faire court). Mais je n'avais pas envie de parler de choses que j'ignore ni d'en inventer, j'ai donc tout simplement tu le sujet.
. Mon doux foyer, David Angèle-Diniz, chez BoD, à commander ici (livre 9,99 €, ebook : 6,99 €).
Billet n° 728
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
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