Directeur d’études, École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Membre du Conseil scientifique d'ATTAC, de la LDH, d'Ensemble ! (Paris 11e), de SolidaritéS (Suisse), de SOS-Asile et du SSP/VPOD
75011 Paris - France
Qui est confronté depuis des années aux barrières et mesures policières opposées à exilées et exilés aux frontières de l'UE ne saurait rester insensible à un fait de langue paradoxal. Alors que l’on dénigre l’enseignement du latin et du grec dans les collèges, les dénominations antiquisantes connaissent dans ce domaine une étonnante vogue. A cet égard, l’agence Frontex a sans doute la palme.
Ces lignes sont rédigées dimanche soir 15 novembre dans un appartement sis à 200 mètres de la terrasse de « La belle Equipe ». Toute la journée, habitantes et habitants d'un quarter à la population "multiculturelle" se sont simplement et dignement recueillis devant le café au rideau de fer abaissé, apportant des roses blanches et allumant des bougies. La présence policière était des plus discrètes.
Sur une plage de Turquie, léché par les vagues, le petit Aylan Kurdi semble s’être endormi, sur le ventre, les mains retournées, comme s’endorment paisiblement les enfants de son âge. Ainsi reposent au fond de la Méditerranée centrale, avec leurs mères, des dizaines d’enfants, anonymes, enfermés dans les cales d’embarcations qui ont chaviré dans le passage clandestin entre la Libye et le Sud de l’Italie.
Aux 3419 migrantes et migrants morts dans le passage de la Méditerranée en 2014 se sont donc ajoutés 300 morts dans la seconde semaine de février 2015 au large de Lampedusa ; puis 400 « disparus » le dimanche 12 avril, 40 nouveaux morts le mercredi suivant et près de 700 le week-end dernier (la plupart des cadavres ne peuvent être identifiés, retenus qu’ils sont, femmes et enfants inclus, dans la cale où les migrants avaient été enfermés). Cette sinistre statistique correspond au bilan de la politique mortifère de contrôle et de bouclage des frontières menée par l’Union Européenne, de Ceuta et Mellila en face de Gibraltar au fleuve Evros en Grèce du Nord.
Est-il opportun d'ajouter une réaction aux attentats des 7-9 janvier sinon que, la révolte, la répugnance, et le deuil acceptés, les sinistres attaques du début janvier nous invitent à jeter un regard sur nous-mêmes : interrogation sur ce qu'en Europe nous sommes devenus, sur le régime qui rend possibles de tels meurtres?