La gauche n’y arrive plus. Six petits mots suffisent pour résumer la situation du camp du progrès social et écologique, de l’émancipation et de la démocratie, en France et au-delà. La gauche ne parvient plus à prendre le pouvoir, et lorsqu’au gré des circonstances (souvent, le rejet de la droite) elle y arrive néanmoins, elle ne sait plus appliquer un programme de transformations sociale, écologique et démocratique.
Les causes internes sont régulièrement commentées : par un renversement de situation, la France aurait désormais la “gauche la plus bête du monde”, incapable de s’unir, incapable de proposer une vision de société intégrée porteuse d’espoir, une gauche minée par les ambitions personnelles. S’il y a une part de vrai dans ces constats, je suis convaincu qu’il faut malgré tout réussir à sortir de la flagellation collective pour comprendre ce qui a mené à cette situation.
Cette analyse permet de comprendre que la gauche fait face à un défi lié avant tout aux transformations de la société, et que sa situation n’est finalement que la réaction logique à la montée de l’anxiété et à l’atomisation de la société que nous connaissons. Je n’affranchis bien sûr pas la gauche de toute responsabilité, mais poser le juste diagnostic permet de déterminer le traitement efficace. Et l’urgence à le trouver n’a jamais été aussi importante.
Urgence, car demain notre société peut s’effondrer. Un effondrement lié aux inégalités sociales peut-être, dès lors que les fractures de notre pays ont cessé de se résorber progressivement et se creusent à l’inverse un peu plus chaque année. Un effondrement démocratique peut-être, alors que l’extrême-droite utilise l’anxiété de nos compatriotes comme terreau pour ses idées mortifères. Un effondrement écologique certainement, puisque le dérèglement climatique, la dégradation de l’environnement et l’épuisement de la biodiversité menacent de frapper l’humanité de plein fouet d’ici quelques petites décennies.
Heureusement, tout n’est pas noir et des solutions existent pour éviter, ou limiter, ces effondrements. A l’opposé du mythe du “ni-ni” qui a constitué un argument électoral victorieux en 2017 et auquel plus personne ne croit désormais, il devient vital de le conscientiser : ces solutions passent, toutes, par une victoire de la gauche ou a minima l’application de ses propositions. Voilà pourquoi il est capital de travailler à la revitalisation de la gauche et à sa victoire prochaine.
Comment faire ? Tout d’abord, il nous faut réinventer la stratégie de notre camp. Trouver une manière d’articuler, voire de fédérer, les efforts de l’ensemble des composantes de la gauche : partis politiques, syndicats, associations, mouvements sociaux, intellectuel·les, sympathisant·es. Nous devons également réfléchir à de nouvelles manières de communiquer et de mobiliser. Des expérimentations ont lieu, y compris organisées par des partis politiques (même si c'est le plus souvent ailleurs) : elles doivent se multiplier pour qu’enfin la gauche arrive à trouver le ton juste pour porter son message. Enfin, la gouvernance de notre camp doit être réexaminée, afin de répondre au double enjeu d’efficacité (portée par la verticalité) et d'encapacitation (ou d'empowerment, en franglais) des individus (porté par l’horizontalité).
De cette gauche réinventée doit émerger l’élément phare de reconquête du pouvoir : la perspective d’un modèle de société désirable. Les conservateur·rices et libéraux·ales s’évertuent depuis des années à caricaturer les modèles de justice sociale post-transition écologique comme des sociétés de privation. Il est nécessaire pour la gauche de réaffirmer que seules les valeurs qu’elle défend peuvent faire advenir une société meilleure pour chacun·e. Une fois ce nouveau modèle explicité, c’est un tout nouveau combat culturel qui nous attendra pour le faire infuser dans la société.
Ma conviction : ce nouveau modèle pourrait être l’écosocialisme. Seul véritable horizon mêlant la justice sociale et l’exigence démocratique à la soutenabilité écologique, l’écosocialisme pourrait être la bannière autour de laquelle se retrouve l’ensemble de la gauche pour mener le combat victorieusement. A l’heure où les politiques d’accompagnement du capitalisme, telles que la social-démocratie (même repeinte en social-écologie), ont prouvé leurs limites, et où les modèles productivistes (socialiste ou communiste par exemple) se heurtent aux limites planétaires, l’écosocialisme vient définir en positif une société égalitaire, qui garantit le bien commun, qui permet l’épanouissement de chacun·e, le tout en respectant l’environnement de vie de l’espèce humaine.
Comprendre notre société pour comprendre les difficultés qui s’opposent à la gauche, poser un regard lucide sur les limites de notre fonctionnement actuel, adopter une stratégie en phase avec notre temps et redéfinir un modèle de société désirable : voici le chemin qui nous attend, et que je vous propose de développer dans les articles qui suivront. C’est en travaillant sur ces différents axes que la gauche pourra à nouveau jouer le rôle qui a été le sien dans l’histoire de ces derniers siècles : celui d’engager la France sur le chemin de l’émancipation des individus, du progrès social, de la démocratie. En y ajoutant un objectif, non des moindres : sauver la planète des excès de l’activité humaine.
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Introduction : Sauver la gauche pour sauver le monde
Partie I - Des remises en cause existentielles
A - La gauche face à la société
- La montée de l'anxiété : une menace pour la société et un défi pour la gauche
- Histoire d'un désamour politique : quand défiance et lassitude s'installent
- L'engagement citoyen à l'ère de l'atomisation sociale
B - La gauche face à elle-même
- L’impossible convergence des luttes
- A gauche, passion fragmentation
- Entre fin et moyens, l'éternel dilemme de la gauche
Partie II - Stratégie, organisation : inventer une nouvelle voie pour la gauche
A - Construire la gauche du XXIème siècle
B - Leadership, engagement, mobilisation