Francis Poézévara (avatar)

Francis Poézévara

Écosocialiste - Conseiller municipal - Le Printemps Putéolien - Génération·s

Abonné·e de Mediapart

15 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 mai 2024

Francis Poézévara (avatar)

Francis Poézévara

Écosocialiste - Conseiller municipal - Le Printemps Putéolien - Génération·s

Abonné·e de Mediapart

SLG#6 - A gauche, passion fragmentation

C'est peut-être ce que nous savons faire le mieux à gauche : fragmenter notre camp politique. Recherche de "pureté idéologique" qui engendre la multiplication des partis politiques ou atomisation de l'engagement qui provoque un découplage des luttes politiques, associatives ou syndicales, et si c'était là notre principale faiblesse ?

Francis Poézévara (avatar)

Francis Poézévara

Écosocialiste - Conseiller municipal - Le Printemps Putéolien - Génération·s

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Note : cet article s'inscrit dans le cadre d'une série intitulée (sobrement !) Sauver la gauche pour sauver le monde. Voir la table des matières de la série en fin d'article.


Conséquence de l’absence de convergence des luttes (mais pas uniquement, j’y reviens) : la gauche est fragmentée comme jamais dans son histoire elle ne l’a été.

Les maths selon la Vème République : 1+1 = 1,5 

Le niveau de fragmentation le plus connu et commenté est celui-ci : jamais la gauche n’a connu autant de partis ou mouvements politiques en son sein. Les militant·es politiques sont peu nombreux·ses, et il·elles n’ont jamais été réparti·es entre tant d’organisations. Cela a bien sûr à voir avec l’atomisation des luttes et à l’absence de convergence entre elles, mais c’est également l’une des conséquences de l’encapacitation progressive des citoyen·nes : il est plus facile d’avoir une influence, de “peser”, dans une organisation de taille raisonnable que dans une mégastructure de plusieurs centaines de milliers de membres. 

Cette fragmentation n’est pas nécessairement préjudiciable. Dans la troisième République par exemple, les partis étaient moins puissants et les positions des députés (point d’écriture inclusive ici, et pour cause…) pouvaient bouger en fonction des différents textes. Cela n’empêcha pas la République de perdurer pendant 70 ans en dépit de violentes crises, ce qui en fait pour quelques années encore le régime républicain le plus stable de l’histoire de France (même si elle devrait perdre cette place en 2028). La fragmentation ne serait donc pas un problème en elle-même ? Pourtant, chacun·e peut mesurer ses effets dévastateurs, en particulier depuis 2002. La réponse tient en deux mots : cinquième République. 

Notre régime républicain pénalise en effet extrêmement fortement les camps fragmentés. L’ensemble, sans exception, de nos modes de scrutin plaide pour l’union la plus large possible des forces véritablement progressistes. C’est bien sûr le cas en premier lieu pour les scrutins majoritaires à deux tours, tels que l’élection présidentielle et les élections législatives. Il en devient quasiment inutile de se présenter à ces élections désuni·es, ce qui a fini par être compris par les appareils politiques de gauche pour les législatives de 2022. Mais même pour nos scrutins dits proportionnels, la fragmentation est mortifère. Lors des élections municipales, pourtant parmi les préférées des Français·es, une prime de 50% des sièges est attribuée à la liste arrivée en tête, avant tout calcul proportionnel (qui devient dès lors cosmétique). Pour les élections régionales, cette prime s’élève toujours à 25%. Ceci a pour effet direct d’éviter (ou de décourager) la dispersion, et de revenir quasiment à un mode de scrutin majoritaire. Même lors de notre élection la plus proportionnelle, l’élection européenne, le législateur a intégré un seuil de 5% pour contrer la multiplication des candidatures. C’est ainsi qu’en 2019, la gauche a perdu 4 sièges1 en se présentant de manière fragmentée.

Dès lors, et tant que les institutions n’auront pas été profondément transformées, il est absolument contre-productif de se présenter de manière séparée, sauf à vouloir des candidatures de témoignage et refuser de prendre le pouvoir. J’insiste sur le volet électoral de ce constat : si l’union lors des élections est primordiale, rien n’interdit a priori les organisations même fragmentées et atomisées d’exister et de travailler entre deux scrutins. 

Les partis politiques ne sont pas (toute) la gauche

Le second niveau de fragmentation est souvent oublié, car moins visible (en particulier lors des élections) : il s’agit du découplage entre les partis politiques, les syndicats, le mouvement associatif et les mouvements sociaux. La gauche n’est pas une simple addition de partis politiques. Aujourd’hui, la gauche française est même représentée de manière extrêmement minoritaire par les organisations qui se présentent aux élections.

Elle se retrouve déjà plus nombreuse au sein des syndicats2, ce qui s’est illustré lors du mouvement contre la réforme des retraites de 2023, au cours duquel les syndicats ont démontré leur vitalité et sens des responsabilités. Mais la gauche française est encore plus majoritairement constituée par des personnes engagées dans le monde associatif, voire engagée individuellement uniquement3. Ceci s’explique aussi bien par la défiance envers la politique que par le fait que les Français·es sont plus nombreux·ses à vouloir défendre une cause en particulier plutôt qu’une vision intégrée d’une transformation du modèle de société. Il est important de garder cet état des lieux en mémoire lorsque l’on parle de l’unité à gauche : le combat le plus important n’est pas celui mené entre les partis (qui en est une étape capitale néanmoins), mais celui mené vers le reste de la société. Et aujourd’hui, aucune réponse convaincante n’y a été apportée.


Notes

Voir Le Monde : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/27/europeennes-avec-une-liste-commune-la-gauche-aurait-pu-arriver-en-tete-avec-cinq-sieges-supplementaires_5467994_4355770.html

2 Voir Statista : https://fr.statista.com/statistiques/1375149/nombre-adherents-syndicats-francais/

3 Voir L'engagement citoyen à l'ère de l'atomisation sociale

>> Article suivant : Entre fin et moyens, l'éternel dilemme de la gauche


Introduction : Sauver la gauche pour sauver le monde

Partie I - Des remises en cause existentielles

     A - La gauche face à la société

  1. La montée de l'anxiété : une menace pour la société et un défi pour la gauche
  2. Histoire d'un désamour politique : quand défiance et lassitude s'installent
  3. L'engagement citoyen à l'ère de l'atomisation sociale

     B - La gauche face à elle-même

  1. L’impossible convergence des luttes
  2. A gauche, passion fragmentation
  3. Entre fin et moyens, l'éternel dilemme de la gauche

Partie II - Stratégie, organisation : inventer une nouvelle voie pour la gauche

     A - Construire la gauche du XXIème siècle

  1. Diversité de l'engagement et rôle des partis
  2. Défragmenter enfin la gauche

     B - Leadership, engagement, mobilisation

  1. Verticalité ou horizontalité ?
  2. Un leadership de gauche ?
  3. Décentralisons l'action politique
  4. Retrouver la joie militante

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.