Note : cet article s'inscrit dans le cadre d'une série intitulée (sobrement !) Sauver la gauche pour sauver le monde. Voir la table des matières de la série en fin d'article.
La défiance des Français·es vis-à-vis de la politique de manière générale est bien sûr également l’un des grands facteurs explicatifs des difficultés que connaît la gauche. 70% déclarent ainsi ne pas avoir confiance en la politique1, 68% pensant que la démocratie française fonctionne assez ou très mal. Ce mal a de nombreuses racines, et ses explications sont abondamment commentées, dans les médias comme “à la machine à café”.
La gauche touchée de plein fouet, non sans raison
La gauche n’est bien sûr pas épargnée par cette défiance généralisée. Elle en est d’autant plus victime que les Français·es ont toujours eu une exigence plus importante sur les questions éthiques envers la gauche qu’envers la droite. Le décalage entre le discours porté autour du bien commun et les faits incite à moins de clémence (ce qui permet visiblement à la droite et à l’extrême-droite de s’affranchir de l’éthique de façon décomplexée…). Dès lors, lorsqu’un Jérôme Cahuzac fraude puis ment en direct, les yeux dans la caméra, ou qu’un Thomas Thévenoud met la “phobie administrative” à la mode, la condamnation par l’opinion (juste et nécessaire) ne se fait pas attendre. Et, plus grave, c'est l'ensemble de notre camp politique qui s'en trouve éclaboussé.
Au-delà des condamnations juridiques, reconnaissons que la gauche a également sa part dans la défiance envers la (les) politique(s) en termes de trahison des promesses électorales. Combien de fois avons-nous promis, lors de nos porte-à-porte, le droit de vote aux étranger·es ? Lorsqu’un candidat à la présidentielle promet de renégocier le traité sur la discipline budgétaire, et que l’une de ses premières décisions présidentielles est de le ratifier, comment s’étonner de la perte de valeur de la parole de gauche ?
Ainsi, il est logique que la gauche, au même titre que le reste du spectre politique, subisse la défiance des Français·es. Mais elle souffre également d’un phénomène spécifique qui régit la sphère politique depuis plus de 10 ans.
La déviation vers la droite, nouvelle loi de la physique politique ?
Le mandat de François Hollande a en effet marqué le début d’un glissement sémantique et politique peut-être plus grave encore que les promesses non tenues, tant il semble condamner la gauche pour longtemps. Comme souvent, le vocabulaire a précédé l’idéologie : la gauche dite d’accompagnement (du capitalisme) est devenue “social-libérale”, promouvant par exemple la “flexisécurité” (quel terme mélodieux !), reléguant la gauche de rupture au rang de “gauche radicale” (dans les bons jours) voire “d’extrême-gauche” (dans les mauvais). Ce glissement sémantique a ouvert la voie à une droitisation de la scène politique, qui s’est opérée via un développement Hollande -> Valls -> Macron -> Darmanin. L’alternance gauche-droite historique, traditionnellement constituée de bascules-ruptures au moment des élections, s’est donc faite depuis 2012 de manière continue et progressive. Disruptif ! Le tout étant camouflé sous couvert de “bon sens” via l’expression “ni-ni”, disqualifiant la gauche (comme la droite) et la reléguant au XXème siècle.
Ces glissements ont eu un effet direct sur la fenêtre d’Overton en politique : à défaut d’une victoire électorale (qui semble moins impossible au fil des scrutins mais n’est toujours pas advenue), l’extrême-droite a imposé ses thèmes, voire ses propositions, qui sont désormais appliqués par un gouvernement qui se revendiquait pourtant il y a peu “ni-ni”.
Érosion institutionnelle : l’ennuyeuse Vème République
Il existe par ailleurs un phénomène qui n’est que très peu identifié et qui pourtant joue beaucoup sur la représentation que les Français·es ont de la politique et des institutions : leur ancienneté. Voici désormais plus de 65 ans que la Vème République existe, et plus de 60 que les institutions sont relativement stables (en choisissant l’élection présidentielle au suffrage universel direct comme dernier bouleversement culturel institutionnel ; le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral auraient pu en être un autre, mais ils ont eu moins d’impacts culturels, malgré le bouleversement dans l’équilibre des pouvoirs qu’ils ont engendré).
Ceci signifie que 78% des Français·es2 n’ont connu que ces institutions de leur vie, et que 95% n’ont pu voter que dans le cadre de ces institutions. A l’heure où les écrans fractionnent l’attention à l’infini, il est logique qu’une lassitude certaine s’installe vis-à-vis de la Vème République. Cette lassitude fournit une caisse de résonance aux déceptions face au manque de résultat, réel ou supposé, des politiques successives, en particulier celles de gauche. Nous sommes tou·tes de grand·es enfants, et les vieux jouets finissent toujours au fond d’une caisse. Cela vaut pour les institutions comme pour les partis.
Notes :
1 Voir Baromètre de la confiance politique - Cevipof - https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/BConf_V15_Extraction1_modif.pdf
2 Voir INSEE : https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5014911/pyramide.htm
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Introduction : Sauver la gauche pour sauver le monde
Partie I - Des remises en cause existentielles
A - La gauche face à la société
- La montée de l'anxiété : une menace pour la société et un défi pour la gauche
- Histoire d'un désamour politique : quand défiance et lassitude s'installent
- L'engagement citoyen à l'ère de l'atomisation sociale
B - La gauche face à elle-même
- L’impossible convergence des luttes
- A gauche, passion fragmentation
- Entre fin et moyens, l'éternel dilemme de la gauche
Partie II - Stratégie, organisation : inventer une nouvelle voie pour la gauche
A - Construire la gauche du XXIème siècle
B - Leadership, engagement, mobilisation