Note : cet article s'inscrit dans le cadre d'une série intitulée (sobrement !) Sauver la gauche pour sauver le monde. Voir la table des matières de la série en fin d'article.
Nous l'avons vu : construire une nouvelle voie pour la gauche passe par une réflexion en profondeur sur son organisation, des relations entre chacune de ses composantes (partis, syndicats, associations, individus) à sa structure à un niveau macroscopique (quels partis ? quelles structures transpartisanes ?). Mais cette nouvelle voie implique également de penser l’engagement au XXIème siècle au sein même des partis, en termes d’encapacitation des militant·es, de formes de mobilisation, et de rapport au leadership.
La tension entre les exigences de verticalisme (censé apporter son efficacité) et de l’horizontalisme (censé garantir la démocratie) n’a jamais été si grande dans nos partis. Historiquement, il paraissait naturel que les partis, de même que la société de manière générale, soient organisés par une élite intellectuelle (et très souvent financière). Le manque de diversité des cadres (au sens responsables) politiques actuel·les démontre que cet état de fait n’a pas encore tout à fait disparu. Néanmoins, pour des raisons culturelles relevant de l’encapacitation progressive des citoyen·nes, il est de plus en plus remis en cause, et un besoin d’horizontalisme est entré de manière brusque au sein des organisations de gauche (plus qu’à droite, ce qui n’est pas étonnant au regard des valeurs qui ont présidé à l’apparition de notre camp politique).
Cet horizontalisme est vu d’un œil inquiet par la plupart des dirigeant·es de partis politiques, y compris à gauche. Dans un réflexe qui n’est pas sans rappeler celui des conservateur·trices face aux velléités démocratiques révolutionnaires, ils et elles s’inquiètent de laisser un pouvoir de décision au “peuple” militant, qui n’aurait pas la sagesse supposée de l’élite sachante, formée, dépassionnée. De fait, on assiste à des limitations démocratiques systématiques, statutaires ou dans les faits. Statutaire, lorsque par exemple la France Insoumise ne prévoit aucune modalité permettant la consultation (et encore moins la codécision) de militant·es qui sont réduit·es au rôle de sympathisant·es, ou bien lorsqu’EELV décide de supprimer les représentations à la proportionnelle des motions de ses nouveaux statuts. Dans les faits, quand des partis comme le PS ou Génération·s, qui prévoient des votes réguliers et des instances désignées à la proportionnelles, dévoient ce principe en travaillant à des textes ou motions soumis au vote qui ne laissent pas la place à la contre-proposition et qui donnent en définitive lieu à des plébiscites dans l’extrême majorité des scrutins.
Je l’affirme fermement : nos modalités d’organisation partidaires doivent être le reflet de ce que nous proposons pour la société. La première raison est connue : comment faire confiance à un parti qui ne s’applique pas à lui-même ses valeurs ? Mais la véritable raison est selon moi différente, elle tient aux raisons mêmes qui nous font défendre la démocratie. Si nous défendons l’émancipation des individus, si nous entendons que chacun·e ait le pouvoir d’influer sur son existence, que la société soit construite est gérée par celles et ceux qui la constituent et l’éprouvent au quotidien, pourquoi en serait-il différemment au sein d’un parti politique ? Considère-t-on que les militant·es des partis politiques sont moins capables que l’ensemble des citoyen·nes de prendre les meilleur·es décisions, de décider pour le bien commun ? Considère-t-on qu’il est plus compliqué de participer à la vie d’un parti politique qu’à celle de la nation ? La société habituée au verticalisme de l’ancien régime a su “prendre son risque” lorsqu’elle a fait le choix de donner le pouvoir législatif à l’Assemblée nationale. Il est temps que les partis politiques prennent le leur.
Ceci ne signifie bien évidemment pas que chaque décision d’un parti soit soumise à débat et vote direct de l’ensemble des adhérent·es. La démocratie directe a ses avantages mais connaît également ses limites (la première étant le temps qu’elle nécessite, incompatible avec l’engagement militant bénévole). La démocratie peut (doit) également être représentative lorsque les sujets le nécessitent. Il faut “simplement” que cette démocratie, directe ou représentative, fonctionne réellement. Depuis des années, les partis s’interrogent sur l’organisation qui le permet, sans devenir une machine à gaz. Je suis convaincu que la solution n’est pas si ardue à concevoir ; des statuts tels que ceux du PS, de Génération·s, ou d’EELV avant leur précédente révision pourraient suffire, si leur esprit (plus que leur lettre) était respecté (pour les premiers a minima, les anciens statuts d’EELV nécessiteraient sans doute avant tout un assouplissement).
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Introduction : Sauver la gauche pour sauver le monde
Partie I - Des remises en cause existentielles
A - La gauche face à la société
- La montée de l'anxiété : une menace pour la société et un défi pour la gauche
- Histoire d'un désamour politique : quand défiance et lassitude s'installent
- L'engagement citoyen à l'ère de l'atomisation sociale
B - La gauche face à elle-même
- L’impossible convergence des luttes
- A gauche, passion fragmentation
- Entre fin et moyens, l'éternel dilemme de la gauche
Partie II - Stratégie, organisation : inventer une nouvelle voie pour la gauche
A - Construire la gauche du XXIème siècle
B - Leadership, engagement, mobilisation