Note : cet article s'inscrit dans le cadre d'une série intitulée (sobrement !) Sauver la gauche pour sauver le monde. Voir la table des matières de la série en fin d'article.
La gauche fait donc face à une ère politiquement difficile. La société dans son ensemble se ferme de plus en plus hermétiquement aux idéaux de justice, de progrès et d’émancipation. Cette situation extérieure pour le moins compliquée a des répercussions intérieures, sur la structuration, la cohésion et de manière générale le fonctionnement de notre camp. Première de ces conséquences : l’atomisation évoquée précédemment touche également les revendications.
Une chiche histoire de convergence
Avant toute chose, je veux souligner que la convergence des luttes, ce vieux mantra de la gauche qui implique que l’ensemble des combats se rejoigne en un même mouvement social et lui donne de la puissance, n’a jamais été chose aisée. Et, de fait, elle n’a que rarement eu lieu dans l’Histoire. Dans une certaine mesure, il serait possible de considérer la première révolution française comme la première manifestation de la convergence des luttes en France, mais cette analyse serait anachronique. La première véritable occurrence de cette convergence est sans doute liée à la victoire du Front Populaire en 1936, qui a permis les avancées sociales sans précédent que l’on connaît (notamment l’instauration des congés payés bien sûr). Une autre illustration est mai 1968 ; mais si elle a permis d’obtenir certaines victoires, sur les salaires notamment, son bilan est moins impressionnant que celui du gouvernement de Léon Blum.
Les autres exemples que l’on peut avoir en tête relèvent plutôt de l’union de la gauche (politique) que de convergences des luttes (politiques et sociales). On peut penser par exemple à Epinay, avec l’unification des socialistes, au Programme commun signé entre le PS et le PCF en 1972 qui aboutira à la victoire de François Mitterrand en 1981, ou encore à la Gauche plurielle de Lionel Jospin en 1997 entre socialistes, communistes et écologistes notamment.
Et l’atomisation frappe encore
Devant ce constat historique, il n’est pas surprenant que la convergence connaisse quelques difficultés à survenir en ce début de XXIème siècle. L’absence de perspective heureuse globale et les prises de conscience croissantes quant aux inégalités, au péril écologique ou aux fragilités démocratiques de nos institutions poussent les un·es et les autres à élémentariser les revendications. C’est ainsi que se sont développés des mouvements puissants de lutte pour l’égalité réelle (des genres, des couleurs de peau, des religions…), pour la défense du climat et de la biodiversité (les marches pour le climat), pour le pouvoir de vivre (les Gilets Jaunes), mais que la convergence n’a pas (encore ?) eu lieu.
Pourquoi ? D’une part, parce que les populations impactées par ces combats ne seraient supposément pas les mêmes. C’est ainsi qu’une fracture importante s’est faite entre la gauche écologiste et les Gilets Jaunes : la première percevant les seconds comme réactionnaires lorsqu’ils expliquaient ne pas pouvoir payer plus cher pour leurs déplacements en voiture, mode de transport irremplaçable à l’heure actuelle dans une grande partie du pays, et à l’inverse les Gilets Jaunes voyant les écologistes comme une classe privilégiée déconnectée des problèmes du quotidien. Fin du monde versus fin du mois.
D’autre part, parce que les revendications diverses, à l’instar des formes d’engagement que je mentionnais précédemment, sont perçues comme concurrentes. Chacun·e établit, consciemment ou inconsciemment, une hiérarchie des combats personnelle, et met en compétition les différentes luttes. Il s’agit là d’un principe qui est exploité par l’extrême-droite, qui s’est fait une spécialité de dénigrer les luttes progressistes en utilisant cette compétition (nous avons tou·tes en tête l’exemple des sans-abris utilisés en contre-argument de la solidarité envers les réfugié·es).
Développer une vision holistique des luttes progressistes
Pourtant, les ponts entre l’ensemble des luttes existent et sont nombreux. Comment envisager une transition écologique sans donner les moyens à chacun·e de la réaliser à son niveau ? Comment envisager la pérennité de notre modèle rural sans tenir compte du couperet écologique qui s’annonce ? Comment faire progresser les droits des personnes discriminées pour leur genre ou leur appartenance ethnique réels ou supposés sans aller vers la justice sociale et la transition écologique, quand précisément ces personnes sont à leur intersection puisqu’elles sont surreprésentées dans les classes populaires et sont les premières à subir les effets du réchauffement climatique ?
Le combat écologique est avant tout une lutte sociale ; l’écologie est un humanisme. Réciproquement, la lutte pour l’égalité des genres, et plus largement entre tou·tes les individus, est une revendication écologique. La défense de la justice sociale est une étape incontournable des luttes sociétales. Et de manière transverse, la démocratie est le chemin le plus sûr vers la victoire de tous ces combats.
La gauche aura fait un bond de géant le jour où affirmer que la transition écologique passe par l’égalité femmes-hommes, la justice sociale et la lutte contre le racisme, le validisme et de manière générale toutes les discriminations ne choquera plus personne.
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Introduction : Sauver la gauche pour sauver le monde
Partie I - Des remises en cause existentielles
A - La gauche face à la société
- La montée de l'anxiété : une menace pour la société et un défi pour la gauche
- Histoire d'un désamour politique : quand défiance et lassitude s'installent
- L'engagement citoyen à l'ère de l'atomisation sociale
B - La gauche face à elle-même
- L’impossible convergence des luttes
- A gauche, passion fragmentation
- Entre fin et moyens, l'éternel dilemme de la gauche
Partie II - Stratégie, organisation : inventer une nouvelle voie pour la gauche
A - Construire la gauche du XXIème siècle
B - Leadership, engagement, mobilisation