Les psychologues traités comme les serpillières de la santé mentale
Depuis des années le secteur de la santé mentale est en souffrance : manque de personnels, manque de formations, délais d’attente1…
considérables, modalités de prise en charge inadaptées à l’âge des patients (en particulier pour les adolescents hospitalisés en service adultes), glissement de tâches entre professionnels etc.
L’état « sinistrosique » de la psychiatrie n’est pas nouveau, mais il aura fallu attendre la crise de la COVID pour que les politiques réalisent les conséquences désastreuses d’un tel abandon de la santé mentale et que des décisions soient prises pour tenter d’y pallier. C’est dans ce cadre et les suites des Assises de la santé mentale et de la psychiatre qui viennent de se tenir, que le Président de la République a annoncé un forfait de huit séances de psychothérapie prises en charge à hauteur de 40 € pour la première consultation sous condition d’une prescription médicale et de l’accord du médecin pour une suite éventuelle du suivi.
Lors des attentats de 2015 nous avions déjà alerté sur le manque de moyens de ce secteur et en particulier sur la nécessité de recruter des « psy » formés aux prises en charge en contexte traumatique, mais sans aucune réponse si ce n’est le recrutement de policiers et de militaires…ce qui n’est tout de même pas la même chose… Là trop de suicides, trop d’augmentation des addictions, trop de dépressions, trop d’arrêts de travail, trop, trop, trop…il n’était plus possible de fermer les yeux et d’attendre « une nouvelle vague » sans rien faire et en période électorale, il est de bon ton de sortir le parfum de la bienveillance.
Certes, soyons bienveillants. Après ces mois de stress et d’ambiance mortifère, cela est tout de même bienvenu. Mais quand est-il réellement derrière ces promesses et ses intentions qui pourraient apparaître comme des plus louables ?
Le premier constat qui peut être fait est la méconnaissance du métier de psychologue que semble avoir le Président de la République : un psychologue n’est pas un infirmier, une sage-femme, un kinésithérapeute, un aide-soignant, et autre profession paramédicale. C’est un professionnel des sciences humaines qui n’a aucune appartenance à la profession médicale, ce qui fait toute sa spécificité et sa singularité.
En ordonnant la mise sous ordonnance les consultations de psychologues pour qu’elles puissent être remboursées, le Président met sous tutelle médicale des professionnels qui ne relèvent pas du statut des paramédicaux. Dans quel intérêt ? Celui du patient ? Nous aimerions le croire, mais l’activité clinique de terrain nous permet d‘en douter. Car en paramédicalisant les psychologues, l’État vise avant tout à supprimer simplement le métier de psychologues pour le remplacer par une profession paramédicale qui sera sous prescription, sous décision de médecins, psychiatrisant la souffrance psychique et supprimant le libre arbitre de toute personne à souhaiter un suivi psychothérapeutique.
Une autre méconnaissance est celle de la souffrance psychique. Bien des événements de vie peuvent conduire une personne à avoir besoin d’un soutien psychothérapeutique sans pour autant recourir à des soins psychiatriques (médicaments) : un deuil, la perte d’un emploi, des difficultés dans une vie de couple, des questionnements dans l’éducation de ses enfants, une maladie ou les bouleversements liés à une pandémie. Aller voir un « psy » est une décision intime, personnelle qui ne regarde que le sujet concerné, ce qui explique que la plupart des personnes ne souhaitent pas avertir leur médecin de leur décision de se faire suivre. Cela touche à leur intimité et ne pas le respecter ne peut qu’interpeller sur cette volonté de contrôler encore et toujours les individus.
Il y a une autre réponse possible à cette annonce présidentielle, celle de la volonté de supprimer les psychologues pour les remplacer par une autre profession qui pourrait s‘appeler « auxiliaires de psychiatrie ou « psycho-paramédic » sous autorité des médecins et bien plus malléables que les psychologues. Pourquoi pas, mais il eut été plus sain de le dire clairement plutôt que de prendre en otage la population pour diaboliser ces psychologues qui ne veulent pas être sous prescription médicale tout simplement parce qu’ils tentent de protéger l’intimité des personnes qui les sollicitent.
Le psychologue, comme le rappelle le Code de déontologie, décide de la pertinence des actions thérapeutiques qu’il entreprend avec les personnes qui le sollicitent. Il ne délègue pas ses responsabilités à d’autres, ni son évaluation diagnostique. Et surtout, la personne qui le consulte est libre de cette décision et n’a pas à y référer à qui que ce soit. Cette liberté d’agir, de penser, de décider se trouve totalement annihilée par cette décision de mettre sous prescription médicale les psychologues.
J’ai travaillé dans un centre hospitalier universitaire avec une psychiatre qui a fait des fausses factures (d’intervention et d‘heures supplémentaires inexistantes) autrement-dit, du détournement d’argent public et qui est pourtant toujours en poste. Pour avoir alerté ma direction, j’ai été affectée du jour au lendemain dans un autre service, un vigile devant la porte et la serrure de mon bureau changée. Tous les responsables savent les manquements de cette psychiatre et la couvrent depuis 2015 (direction de l’hôpital, direction de l’APHP, ARS, ministères, préfectures), tous savent, mais tous laissent faire : je ne suis « que » psychologue comme me l’ont précisé des syndicats et autres médecins bien intentionnés. Ma plainte pénale, en cours depuis 2015, traîne toujours avec un dossier qui s’est étonnement perdu à plusieurs reprises. Il faut dire que le système judiciaire est aussi submergé… Mais cette psychiatre est toujours en poste, et j’ai dû démissionner avec cette phrase dite et répétée par de nombreux collègues : « face à un médecin, un psychologue n’est rien »
Cet exemple n’est pas unique et dans de multiples institutions les psychologues se trouvent malmenés pour ne pas dire maltraités : hôpitaux, cliniques, services de police, milieu scolaire, pompiers, partout les mêmes retours sur le manque de considération de la profession, sur les salaires indignes d’une qualification universitaire (bac + 5 ans) et l’incompréhension persistante sur ce qu’est le métier de psychologue.
« Rien » ; c’est bien comme cela que de nombreux psychologues sont traités par le service public. Dans ce même hôpital, la directrice a supprimé du jour au lendemain le collège des psychologues, instance permettant aux psychologues de se retrouver (sur leur temps personnel) au sein de l’institution pour échanger sur leur pratique. Les heures supplémentaires (10 000 à mon actif) ne sont pas payées : « ce n’est pas prévu dans les statuts du psychologue hospitalier ; les astreintes obligatoires sur certains postes ne sont pas payées aux psychologues, mais le sont aux médecins (là encore « ce n’est pas prévu dans les statut du psychologue hospitalier »). Mais quand il y a besoin de pallier aux manques de psychiatres les psychologues sont là et les responsables bien soulagés de pouvoir les solliciter sans limite : cellules d’écoute, plate-forme téléphonique, prises en charge des victimes suite à des drames, etc. Là l’État est bien soulagé de trouver les psychologues.
La décision présidentielle témoigne d’un mépris jupitérien à l’égard des psychologues. Mais elle ne fait qu’acter ce qui se trame de façon insidieuse depuis plusieurs années dans les hôpitaux : la disparition des psychologues cliniciens au profit de professionnels qui n’ont plus de « psychologues » que le titre, réalisant sous le contrôle des psychiatres essentiellement des tests d’évaluation, avec des statuts précaires, une grille salariale indigne des cinq années d’études passées et de la sélectivité de cette formation.
Les psychologues ne sont « rien » ou ils sont considérés comme des « électrons libres » car la spécificité de leur métier dérange et dans les services ce sont souvent eux qui alertent sur des situations qui mettent en péril les individus. Alors il n’est pas surprenant que le chef de l’État ait fait cette annonce qui sonne le glas de la profession. Ce qui est regrettable c’est que la population, déjà insécurisée par ces mois de pandémie, soit prise ainsi en otage dans le débat entre politiques, psychologues, médecins. Car sans explication elle ne peut comprendre les enjeux de la disparition des psychologues.
Par cette décision de mettre sous prescription médicale les psychologues, l’État confirme que les psychologues ne sont que les serpillières de la santé mentale et le paillasson des politiques.
On reconnaît l’humanité d’une société à la façon dont elle prend soin de ces citoyens, mais quand est-il de son devenir quand ceux censés prendre soin d’elle sont ainsi méprisés ?
Jeudi 25 mars le Sénat examine en seconde lecture la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Mais derrière cet arbre d’apparentes bonnes intentions se cache une forêt de ronces pour les victimes.
Le livre de Camille Kouchner témoigne du courage qu'il faut pour survivre à l'inceste et aux pressions des puissants mais l'omerta française sur ces situations ne peut s'expliquer sans raison. Combien de vies encore détruites par ce silence imposé par tous ceux qui savaient et qui ont préféré le silence complice que le soutien aux victimes
Par Hélène Romano
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