1 Mars 2018
Le Mai rampant italien couvre en fait près de 10 ans, depuis la date symbolique du 1er mars 1968, avec l’occupation de la Faculté de Rome et la bataille de Valle Giulia, qui fit plus de 400 blessés, et la fin de ce mouvement vers le 22-24 septembre 1977, date du rassemblement international contre la répression de Bologne.
Avec la croissance économique de l’après-guerre, comme en France et dans d’autres pays européens, une partie des enfants de la classe ouvrière accède enfin aux études universitaires, mais plus souvent pour devenir employés que cadres dirigeants des entreprises. Et comme ailleurs, au moins depuis 1966, une part croissante de la jeunesse italienne conteste l’autorité et le savoir des mandarins universitaires. Voir ici un interview d'Alberto Moravia sur la société italienne en 1968.
Avant la France, mais comme aux Etats-Unis et en Allemagne, les étudiants occupent et bloquent les facultés, mettant en cause les enseignements et la société de classes. L’agitation commence au début 1966 à Trente (Institut des sciences sociales), avec la création d’une « contre-université » alternative à « l’université de classe ». En 1967, grèves, occupations, organisation d’une semaine pour le Vietnam s’y succèdent. L’agitation s’étend et atteint la Sapienza de Pise (Ecole Normale), occupée en février 1967, puis l’Université catholique de Milan et la faculté des lettres de Turin (occupation du Palais Campana). La mobilisation gagnera le Sud en 1968.
Le projet de réforme des universités de décembre 1967 met le le feu aux poudres, mettant les étudiants de Naples et de Gênes dans le mouvement. Et lorsque ce même mois, le président Johnson arrive à Rome, la protestation est monstre. La lutte contre la guerre du Vietnam est un facteur important de politisation de la jeunesse en Italie comme le reste de l’Europe, comme détaillé dans ce article: 17-18 Février 68: La jeunesse européenne avec le Vietnam.
À Florence, dès le mois de janvier 68, le recteur démissionne à la suite aux violences policières. Le 1er Mars 1968, la police intervient pour évacuer les locaux de l’Université de Rome. Les étudiants se mobilisent alors massivement pour réclamer la réforme de l’université et marchent, rue Giulia, vers la faculté d’architecture, fermée sur décision du recteur. La bataille, dite de la Villa Giulia, fera de nombreux blessés et restera dans les mémoires comme l’événement fondateur de la révolte qui gagne toute l’Italie. Dans cet entretien à la télévision française une étudiante italienne rend compte de la situation en l'Italie au printemps 68.
L’intérêt et la force du Mai rampant italien est la jonction entre la contestation étudiante et les luttes ouvrières. A la différence de la France, la lutte commune est favorisée au départ par le Parti communiste et les organisations syndicales. Au printemps 1968, les étudiants font alliance avec les ouvriers de quelques usines, en particulier Lancia à Turin et Saint-Gobain à Pise. Ces relations produisent des formes organisationnelles nouvelles, comme l’assemblée operai-studenti (ouvriers-étudiants) autour de la Fiat de Turin. Les tentatives syndicales pour « chevaucher le tigre du mouvement ouvrier spontané » conduiront, au cours des années suivantes, à la formation des conseils ouvriers dans les usines, une structure de démocratie directe.
Le mouvement étudiant commence à décroître au printemps, les élections de mai provoquant une diversion définitive. Les luttes ouvrières continuent par contre jusqu’à l’"automne chaud " de 1969. Le mouvement étudiant et ouvrier se durcit ensuite en réaction à la répression étatique, avec les « années de plomb » de la décennie 79 marquée par le terrorisme.
La montée des luttes ouvrières datent de la moitié des années 60. Les migrants venus du sud arrivent alors dans le nord de l’Italie pour assumer des tâches non qualifiées. Dès 1967, des grèves locales éclatent: pétrochimie à Porto Marghera en 1967, entreprise textile Marzotto à Valdagno en 1968, et dans des centaines d’autres entreprises contre le travail au rendement, les cadences et les classifications imposées. Les formes de lutte sont parfois très radicales, comme à Marzotto où les ouvriers mettent au sol la statue du comte fondateur de la société puis de se rendent à la villa de son descendant pour en briser les vitres …
À Turin les ouvriers de la FIAT Mirafiori (50 000 travailleurs) reçoivent le soutien des militants étudiants dès 1968. Une série de grèves « tournantes » provoque des pertes importantes pour la FIAT. Ailleurs, comme à l’usine de Borletti, les travailleurs cassent les cadences. Mais il n’y a pas de grève générale comme en France, malgré une combativité, un niveau de conscience de classe et d’auto-organisation supérieur à celui du Mai français.
Petite bibliographie
- Mouvement étudiant et « automne chaud » en Italie
- 1968-1969: du Mai rampant à l’automne chaud
- Le Mai rampant italien
Le même jour…
- L’université d’Alger est fermée pendant un mois pour éviter l’extension de la contestation réclamant la liberté d’expression.
Articles déjà publiés dans la série « 1968 au jour »
- 5 Janvier 68: Dubcek accède au pouvoir en Tchécoslovaquie
- "Eh bien non, nous n'allons pas enterrer Mai 68", par A. Krivine et A. Cyroulnik
- 26 Janvier 68: Caen prend les devants
- 27 janvier 68: les lycéens font collection de képis de policiers
- 29 Janvier 68: Fidel écarte les dirigeants pro-soviétiques
- 31 janvier 68: Vietnam, l’offensive d’un peuple héroïque
- Mai 2018 : sous les pavés la rage, par Jacques Chastaing
- Mai 68 vu des Suds
- 6 Février 68: grand Charles et grand cirque à Grenoble
- 14 février 68: combat pour le cinéma
- 17-18 Février 68: La jeunesse européenne avec le Vietnam
- Mai 68 n’a pas commencé en mai, ni en mars, ni au Quartier Latin, ni à Nanterre
- 24 Février 68: Plate-forme commune FGDS- PCF
- 26 février 68: L'aéroport c'est déjà non, et au Japon