Lille : un couple détruit par un mandataire cautionné par la justice
- 7 juin 2020
- Par Patrick Cahez
- Blog : L'Europe sociale des droits de l'Homme
Françoise Delrue et Jean Leuridan se sont rencontrés il y a un peu moins de vingt ans. Ils s’aiment, ils voyagent, vont à des concerts, mènent une vie calme et heureuse et partagent un même bonheur à vivre ensemble dans le Nord, à Villeneuve d’Ascq.
Jean redouble d’affection pour s’occuper de Françoise quand la maladie commence à l'handicaper, jusqu’à ce qu’un juge des tutelles de Lille désigne un mandataire judiciaire.
Ce mandataire exclut Jean de la maison – Françoise et Jean ne sont pas mariés, mais cela ne suffit pas à justifier l'interdiction de venir - change le numéro de téléphone, privant ainsi Jean de la possibilité d'appeler Françoise, remplace le neurologue, l’orthophoniste et les auxiliaires de vie . Il renvoie la société d’aide à domicile qu’avait choisie Françoise pour confier le contrat à une autre sans aucune raison objective. Il fait dresser une palissade entre la maison de Françoise et celles de ses voisins et amis.
Le mandataire accuse Jean des pires méfaits et les dénonce à la justice pour l’éloigner de Françoise.
Le procureur saisit la police et l’enquête conclut à des dénonciations mensongères. Le procureur, moins diligent que lorsqu'il s'agissait d'accabler Jean, ne poursuit pas le mandataire pour dénonciations calomnieuses.
Ce qui permet de maintenir un statu quo aberrant privant Françoise depuis plus de cinq ans de visite, de sortie, d’amis et d’affection malgré ses demandes et les conséquences de cet isolement sur sa santé.
Alerté, le juge des tutelles n'a rien fait rien pour rétablir François dans ses droits malgré son obligation de contrôle du mandataire. Il le laisse agir malgré les témoignages.
Les services sociaux de la mairie, le procureur de la République de Lille sont également alertés en vain. L’inertie des institutions couvre ainsi une privation de liberté arbitraire décidée par un mandataire. Incroyable. Comme s'il existait encore des lettres de cachet en France au 21°siècle.
Au-delà d'une telle régression, négation du Droit au fond, isoler une personne et la priver arbitrairement de l’affection de celui qu’elle aime comme de l’amitié de ceux qui vivent à ses côtés est un traitement inhumain parce que c'est lui infliger une souffrance, sans motif réel et sérieux et en connaissance de cause.
L'entrave et les obstacles à la vie privée et affective de Françoise et de Jean sont douloureux comme en témoignent les amis et voisins.
C’est donc enfermée chez elle, séquestrée, comme proscrite, privée de visite et de promenade que vit Françoise et qu’elle s’éteint dans l’ignorance des institutions et leur mépris du respect de la dignité humaine, principe matriciel des droits de l'Homme et socle intangible des sociétés démocratiques modernes.
Cette abdication est symptomatique d'une dérive générale où la violence se décline et se banalise, qu'il s'agisse de violences institutionnelles ou de violences privées, au point d'en devenir insupportables et d'exaspérer l'opinion.
Ce que Françoise subit est pire que la prison, puisqu'elle est enfermée sans motif. Il n'y a aucune infraction qui le justifie, aucun jugement pour expliquer une telle séquestration. Il n'y pas d'excuse. Ce n'est pas comme à Poitiers en 1901. Toutes les autorités sont informées.
Cette atteinte au droit à la sûreté - un mandataire remplit une mission de service public - s’ajoute à l'abus d’une personne affaiblie maintenue arbitrairement dans l’isolement et l'obstacle à son droit de recevoir qui elle veut.
Un prisonnier a droit à des visites et des promenades. Pas Françoise.
Si on rejette l'idée d'une prison privée, clandestine, l'effet est équivalent à celui d'une prise d'otages, une dame est maintenue enfermée chez elle depuis cinq ans (!), sauf qu'il n'y a étrangement aucune réaction de la justice pour la libérer.
L'inertie incompréhensible des institutions - pourtant saisies et alertées de cette situation scandaleuse - est fautive, inexcusable.
Les magistrats ont constitutionnellement l'obligation de garantir l'efficacité des libertés individuelles - c'est l'ordre public - et les libertés individuelles sont manifestement et durablement bafouées.
Les institutions ne peuvent pas persister ignorer de bonne foi cette séquestration funeste au moment même où leur inertie est condamnée pour la mort de Marina Sabatier par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Que cela signifie-t-il ? Faut-il qu'on meure, comme dans l'affaire Marina Sabatier ? On ne peut pas admettre que la justice puisse être blessante ou mortelle. Elle a pour office de réparer. Mais la justice ne rend pas la vie perdue ni ne répare les blessures, d'où l'importance d'une réaction diligente, comme l'impose d'ailleurs le code pénal.
Face à l'inertie persistante qui fait obstacle au Droit, une plainte avec constitution de partie civile a été déposée et un juge d'instruction a été désigné.
Françoise est toujours retenue chez elle.
Il n'y a pas de fatalité, seulement des abdications.
Il appartient au juge d'instruction d'agir avec diligence, de prendre les mesures pour s'assurer que Françoise recouvre rapidement sa liberté et retrouve Jean, ses amis, sa vie, la vie qui lui a été volée pendant cinq ans.
Les articles déjà parus dans la presse :
Voix du Nord 25 octobre 2019 (pdf, 1.0 MB)
Croix du Nord 7 juillet 2017 (pdf, 2.3 MB)
Saisine du ministère de la justice par le président de la République (restée sans réponse du garde des Sceaux) :
Réponse de la présidence de la République saisissant le ministère de la justice (pdf, 597.4 kB)
Saisine du président de la République par le comité de défense de Françoise Delrue (pdf, 914.4 kB)
Lettre ouverte du comité de défense de Françoise Delrue " Nous accusons " (pdf, 54.9 kB)
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- https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/050620/parents-confines-donc-enfants-maltraites
- Mandataire judiciaire à la protection des majeurs - Wikipédia
- Améliorer la déontologie des officiers publics et ministériels
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