Ce matin, j’ai jeté ma canne dans un coin de ce palais que Mouflet et moi habitons depuis la fin de ma chimiothérapie. Il n’y a pas d’orties dans mon palais, pas plus que de moulins, n’empêche, je l’ai jetée loin, j’en avais marre. (J’avais oublié, c’est vrai, que marcher avec une canne noire, appelons-la Milord, était aussi fatigant.)
En fait, la question n’est pas : «Comment parler du handicap ?», contrairement à ce que je pensais il y a quelques jours. Parce que c’est vraiment difficile. J’aimerais mieux demander : «Avec qui parler du handicap ?» À quoi Pierre Desproges aurait peut-être répondu : «On peut parler du handicap n’importe comment, mais pas avec n’importe qui.»
Il a fallu du temps pour digérer un peu cette crise-là. La canne et tout le reste. L’émotion née de certains mots lus, l’incrédulité aussi, bien sûr...Et puis, il y a eu le jeudi où j’ai emmené Mouflet s’éduquer un peu dans la rue. « Mouflet, mets ton écharpe, on va voir le monde tel qu’il a décidé de marcher, de Bastille à Opéra. » Mouflet aime bien aller voir le monde, air connu. Il trouve, sans rien dire, qu’on ne le fait pas trop en ce moment.
La Crise, c’est ce poison qui transforme un homme debout (ce que j’ai toujours essayé d’être) en corps paniqué, terrorisé, qui porte son handicap comme un boulet.