Au début de l’attaque d’Israël sur Gaza, on a eu droit sur des plateaux de télévision à des commentaires dépités face à l’absence d’empathie dans la société française après les crimes de guerre commis par le Hamas contre des civils le 7 octobre 2023. C’est, entre autres, ce que disaient la rabbine Delphine Horvilleur et l’écrivaine Valérie Zenatti. Attention, je ne parle pas de Meyer Habib qui cultivait sa vulgarité, mais de deux personnalités respectables qui ne niaient pas les souffrances du peuple palestinien sous les bombes, mais quand même considéraient que les Juifs, en France, n’avaient pas reçu le soutien nécessaire. Pourtant, dans leurs propos, on décelait qu’elles étaient bien davantage bouleversées par ce qu’elles considéraient être un "pogrom" que par Gaza rayée de la carte.

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La tribune publiée dans Le Monde daté des 2 et 3 mars par des Juifs se disant « tous issus de la large famille de gauche » exprime un ressentiment à l’égard d’une partie de la gauche qui fait silence, déni ou indifférence face à l’antisémitisme. Ils invoquent la hausse des actes antisémites et agitent le chiffre de « 1570 » comme le ressassent moultes hommes politiques et médias de droite sans qu’aucun document ne nous permette de savoir ce que cela recouvre exactement. Il n’est absolument pas certain que les actes antimusulmans soient recensés avec la même vigilance : l’auteur des croix gammées taguées sur deux boîtes aux lettres de La Poste sur lesquelles était apposée une affichette de Simone Veil a bénéficié d’un succès qu’il n’avait pas imaginé (car à la lecture de certains articles on constate qu’elles sont les seules à avoir été ainsi taguées alors que l’info a donné l’impression que c’était une action d’envergure). Par contre, citer des faits précis plus que des chiffres abstraits me parait plus probant. On ne peut nier une certaine indifférence en France, pas seulement à gauche, face à des actes graves antisémites : les signataires ne le disent pas, mais je considère que l’assassinat des enfants juifs de l’école Ozar Hatorah à Toulouse en mars 2012 aurait dû provoquer des manifestations massives de solidarité ce qui n’a pas été le cas (s’il n’y avait pas eu les morts de Charlie Hebdo, en janvier 2015, il est vraisemblable que ceux de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes auraient eu peu d’écho).
Les signataires parmi lesquels on retrouve Daniel Cohn-Bendit, Ariane Mouchkine, Michel Hazanavicius, Christine Angot et Eva Illouz, qui accusent le Hamas de crimes y compris au sein de Gaza à l'encontre de ses opposants, se permettent de mettre en cause Rony Brauman, sans le nommer, alors qu’avec ses prises de position courageuses et constantes, il est l’honneur de ce que certains appellent la "communauté juive". La tonalité décalée de cette tribune, qui arrive quelque peu à contretemps, semble avoir été diligentée par Eva Illouz qui a commis un Tract Gallimard (Le 8-octobre, généralogie d’une haine vertueuse) dans lequel elle s’étonne, entre autres, que l’on puisse s’apitoyer à ce point sur les morts de Gaza alors que l’actualité nous sert bien d’autres massacres que ce soit au Congo ou en Érythrée sans protestation dans nos universités (par ailleurs, sans le démontrer, elle accuse des personnalités intellectuelles américaines d’avoir apporté leur soutien aux massacres du Hamas).
Voir l’article que l’historienne Sophie Bessis a publié sur son blog Mediapart en Réponse aux « juifs de gauche ».
Additif le 9 mars : Suite à certaines de mes chroniques précédentes, un collectif de Juifs français voulant réagir à la tribune évoquée ci-dessus m’a proposé de signer un projet de tribune, ce que j’ai fait. Leur texte est paru dans Le Monde daté des 9 et 10 mars : « Français juives et juifs, nous appelons à mener le combat contre l’antisémitisme en refusant son instrumentalisation ».

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From Ground Zero
On le sait, parmi les atteintes au droit commises par Israël, il y a l’interdiction faite aux journalistes de pénétrer dans l’enclave (l’Etat hébreu y parvient très bien, ce qui confirme que Gaza est bien une prison à ciel ouvert). Malgré tout, Netanyahou ne peut pas empêcher que des smartphones ou petites caméras captent des images. C’est pourquoi nous savons qu’Israël en rétorsion à l’attaque du Hamas du 7 octobre et à l’enlèvement de 250 civils et soldats israéliens a décidé de laminer la terre où vivaient 2,2 millions de Gazaouïs, justifiant ses crimes de guerre (bombardements de camps de réfugiés, de magasins, d’écoles, d’immeubles d’habitations, une seule bombe pouvant faire 200 morts) par le fait qu’il y aurait peut-être des tunnels du Hamas dessous. Aucune information produite par le gouvernement d’Israël ne peut être considérée comme sûre (y compris sur les conditions de libération des otages), car dès le début, la communication de Tsahal a été truffée de mensonges, aussitôt gobés par la plupart des médias du monde entier.

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Le film From Ground Zero est constitué de 22 courts-métrages tournés par des non professionnels à Gaza. Ils ont valeur documentaire mais il s’agit le plus souvent de petites fictions, destinées à montrer ce que vit cette population sous la terreur, certains ayant perdu toute leur famille (l’un : 25 proches tués), contrainte à jongler pour survivre : l’eau (toujours recyclée), la nourriture (prix exorbitants, conserves consommées bien que périmées, farine tombée des camions récupérée avec du sable), l’abri de fortune, le bois de chauffage (quitte à détruire un chambranle de porte) et… la recharge indispensable des smartphones. Une population ayant toujours un sac de vêtement, prête au départ précipité, déambulant dans des ruines, parfois à la recherche de survivants, retrouvant le lit d’un enfant ou un plateau avec ses tasses de thé intactes, les avions à réaction ou les drones survolant le territoire, dans un bruit d’enfer ou un ronronnement incessant. Longs convois d’exode au sein même de ce territoire exigu et exsangue, provoqués par les exigences contradictoires de l’assaillant israélien. Image horrible (réelle) d’un jeune homme coincé sous les décombres, sauvé, mais son cousin (que l’on voit également) mort, écrasé, étouffé par une vulgaire poignée de porte. Les larmes d’un jeune homme sous la pluie qui devait se marier : le couple magnifique avait choisi les prénoms de leurs futurs enfants, Jad et Nathalie, mais la jeune femme a été ensevelie sous un immeuble explosé. Une "actrice" témoigne que le 7 octobre, l’action du Hamas a été aussitôt perçue comme l’annonce d’un « cataclysme » s’abattant sur Gaza.
Des Palestiniens inscrivent leur nom sur leur bras de crainte que leur corps démembré ne soit pas entièrement retrouvé : des enfants angoissent la nuit car cette inscription leur rappelle en permanence qu’ils peuvent être en un instant désagrégés. Etimad Washah, réalisatrice d’un court-métrage, après nous avoir montré le début de son film, explique à l’écran, en larmes, qu’elle n’a pu le finir : son héros, faisant le taxi avec son ânesse Wanissa, dont elle prévoyait la mort dans son scénario a été réellement tué !
Et pourtant, des saynètes nous montrent des Gazaouïs survivants, dansant, des femmes se maquillant, des hommes chez le barbier, des enfants courant dans les gravats pour jouer à cache-cache ou tirant sur les fils de leur cerf-volant, des familles sur la plage. Poème d’espoir envoyé dans une bouteille à la mer, expression artistique, conviction que « les jours heureux reviendront »… mais « on aura besoin de thérapie ».
Le réalisateur Rashid Masharawi a coordonné et collecté ces 22 courts-métrages.

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Dans le cadre du Festival Ciné Palestine de Toulouse :
From Ground Zero a été projeté à Ciné32 à Auch le 4 mars, en partenariat avec l’Association France Palestine Solidarité du Gers, dans le cadre du Festival Ciné Palestine (3-11 mars à Toulouse). Accompagnée d’une responsable du Festival, Nour Alrabie, chercheuse en sciences sociales à Toulouse, originaire de Gaza, a expliqué que les déplacements imposés aux Gazaouïs leur rappellent tragiquement l’expulsion de leurs terres en 1948, Israël ayant clairement l’intention de provoquer une seconde Nakba. Elle évoque le million de déplacés, qui remontent vivre chez eux dans des conditions pires que dans les camps du sud, mais c’est leur maison, et s’ils meurent ils ne seront pas inconnus, les proches en seront informés. Il y aurait des millions d’histoires à raconter dont celle-ci : une personne revenue voir l’état de sa maison au nord, non détruite, et faisant des photos pour rassurer sa famille, a été arrêtée, détenue pendant 50 jours, tandis que sa maison était délibérément bombardée par l’armée israélienne.

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L’assistance a dit son admiration devant la résilience du peuple palestinien. A aucun moment il n’exprime de haine, il est à la limite de sombrer mais il espère, Nour l’admet et explique qu’« on a une maladie incurable, l’espoir ». Un intervenant constate que ces courts-métrages confèrent une humanité à des gens complètement déshumanisés et rappelle que les prisonniers palestiniens libérés en échange des otages, pour la plupart, n’ont commis aucun délit si ce n’est d’être Palestiniens. D’ailleurs, Israël a accentué les arrestations en Cisjordanie pour pouvoir libérer des prisonniers en grand nombre en échange d'otages. Beaucoup de Palestiniens sont tués en Cisjordanie, et c’était déjà le cas avant le 7 octobre. Des intervenants appellent au boycott des produits israéliens (BDS) et se prononcent pour une reconnaissance par la France de la Palestine, comme d’autres pays l’ont fait. Est évoquée également la façon abjecte d’instrumentalisation de l’antisémitisme par certains médias français.
Est-ce que les Israéliens ont connaissance précisément de ce qui se passe à Gaza ? Non, les autorités font tout pour qu’ils ignorent la catastrophe (48 000 morts et 111 000 blessés, sans doute beaucoup plus). Par contre, des télescopes sont installés près des barrières de Gaza pour observer au loin les ruines…
Billet n° 849
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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