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Billet de blog 8 novembre 2025

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Prime et mépris

La proposition écœurante de limiter la prime de Noël aux seules familles et non plus à tous les plus démunis a trouvé des soutiens sur les plateaux de télé mainstream, de la part des mêmes journalistes qui se taisent quand des "immigrés" américains contournent la loi sur la PUMA. Et aussi : « ZAD pro-Hamas » de New York, Challenges et Marianne, et victoire du RN sur l’immigration algérienne.

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Prime de Noël et mépris à la télé

Suite à la proposition du ministre du travail, Jean-Pierre Farandou de supprimer la prime de fin d’année aux minima sociaux qui n’ont pas d’enfants, afin d’économiser 260 millions d’euros, j’ai regardé par curiosité LCI ce soir [4/11], un court instant. Moment éprouvant tellement les potiches qui s’y pavanent sont boursouflées de leur incompétence, car tous ignorants. Et leur mépris est sans borne. Il y avait David Pujadas (« il y a tout un tas d’autres aides » [sic]) qui cherchait à faire réagir suite aux propos tenus par LFI selon lesquels cette suppression serait « une cruauté pure » (Hadrien Clouet), « voler les jouets des enfants », « humilier les pauvres ». Tout sourire, Pujadas ne cache pas que ces formules lui paraissent excessives. Dominique Seux (Les Echos et chroniqueur néolibéral de France Inter) : « chacun doit faire un effort », car jusqu’alors on n’a sollicité que les plus aisés. Arlette Chabot : selon elle, c’était en période de chômage, une mesure exceptionnelle, qui a été pérennisée : « c’est toujours comme ça en France ». Hervé Gattegno : « on est passé d’une logique d’assistance à une logique de droit », « il y a une crispation sur des situations acquises », or tout le monde doit faire des efforts.

Illustration 1

Géraldine Woessner, Le Point, s’est rapidement renseignée avant de venir sur le plateau : doctement, elle explique que lorsque cette prime de Noël a été créée, le chômage était à 12 %, c’était une demande de la CGT chômeurs, Martine Aubry l’avait accordée parce qu’il y avait de la croissance, et Jospin l’a pérennisée à trois mois des municipales. Outrée, elle éructe qu'aujourd’hui on a 3400 milliards de dettes !

Aucun de ce quarteron de propagandistes de la droite économique ne savait que cette prime était accordée à des ménages sans enfants ou des personnes seules. Ils ignorent donc qu’elle était versée non pas aux familles, mais aux citoyens pauvres, ce qui est un aveu du peu d’intérêt qu’ils portent aux questions de la pauvreté et de la précarité dans le pays. Woessner qui fait mine de savoir, ne sait rien : elle dit que cette prime a été obtenue sans lutte. Faux : elle est le résultat d’une lutte sévère de chômeurs, avec le soutien de la CGT, qui a eu lieu à Marseille en 1997, qui avait contraint le gouvernement Jospin à débloquer un milliard de francs d’urgence. Un an plus tard, toujours à Marseille, en décembre, 25000 manifestants, avec forçage des portes de six antennes Assedic, réclament une prime de Noël de 3000 francs, mouvement suivi à Lyon, Caen, Nantes, Paris et Lille. Je me souviens très bien de cette lutte et de son implication administrative, avec le versement par les Départements d’une prime de Noël, dès décembre 1998. Et chaque année, cela revenait en débat, car l’État était sollicité pour abonder le budget nécessaire. Il s’agit donc d’un complément de revenu acquis de haute lutte.

Conciliants, Gattegno  et Seux suggèrent que cette aide ne soit que provisoirement supprimée, totalement incohérents avec ce qu’ils ont dit auparavant. Seux est vicieux : il ajoute, on la remettra quand les comptes publics seront définitivement rétablis. Pire : elle pourrait n’être accordée qu’aux catholiques qui croient à Noël (il s’empresse de dire qu’il blague).

Le tout en parlant d’« État nounou », en proclamant en répétition : « l’État n’est pas notre papa », il n’a pas à faire des cadeaux de Noël pour les enfants ! Est-ce qu’on mesure le niveau d’indignité qu’il y a dans le comportement de ce plateau de télé, par des individus qui palpent 10 000, 20 000, 30 000 euros par mois et peut-être plus encore pour Pujadas. Ils sont sans pudeur. Et encore, il n’y avait ni François Lenglet, ni Pascal Perri ! Là, ça aurait été la totale.

[4 novembre]

Manuel Bompard, coordinateur de LFI, qui court les plateaux de télé, particulièrement efficace, sachant s’appuyer sur les conditions de vie des gens, jamais à court d’un argument tout en étant respectueux de ses adversaires rarement à la hauteur de sa puissance de débatteur, a qualifié sur LCI le 6 novembre, vers 23h, cette proposition de Ferandou d’« ignoble ». Le financier Marc Touati l’approuve, sachant que l’économie n’est "que" de 260 millions d’euros. Yves Thréard, après ses élucubrations habituelles (il débite des paroles le plus souvent sans bien connaître les sujets multiples qu’il aborde), finit par se ranger au fait que cette suppression n’est pas judicieuse.

. Mon post sur les origines de cette prime date du 4 novembre : sauf erreur, il faut attendre ce samedi 8 novembre pour qu’un chroniqueur, Claude Askolovitch sur France Inter, fournisse des précisions sur la création de cette prime, évoquant « une lutte sociale très dure il y a presque 30 ans » [ici].

Selon que vous serez plus ou moins puissant ou carrément misérable

On connait le discours tenu par une droite extrême et une extrême droite, toutes préoccupées qu’elles sont de rejeter l’étranger, surtout s’il vient d’Afrique, du Proche-Orient ou de l’Asie. Que cet homme, cette femme, cet enfant venus d’ailleurs, sans ressources, aient besoin de soins, cela provoque tollé chez les Bardella, Wauquiez, Ciotti et autre Zemmour. Ou Pascal Perri (LCI) et Agnès Verdier-Molinié (Ifrap). Ils ne cessent de s’insurger contre une aide médicale d’État (AME) permettant à des indigents de se soigner (pour des soins basiques). Et si ces derniers bénéficient de la PUMA (protection universelle maladie, ex-CMU) alors ce sont les pleureuses de CNews qui se lamentent sur les assistés à la peau basanée qui pressurent le pôvre Français de la classe dite moyenne. Évidemment, selon eux, leur position est générale : on imagine qu’il n’est pas question pour eux d’accepter qu’un Américain, pour prendre un exemple, vienne en France disposant de revenus équivalent au moins au Smic, attestant disposer d’une assurance-santé le couvrant à hauteur de 30 000 euros, puisse ouvrir droit à la PUMA.

Illustration 2
[YF]

Et bien, si : tous ces propagandistes qui par racisme tout court et racisme social vitupèrent contre les immigrés (mais aussi les pauvres bien français) qui perçoivent la PUMA n’ont jamais rien dit sur le fait que des Américains viennent en France pour se soigner : s’ils sont titulaires d’un visa long séjour valant titre de séjour, après avoir obtenu une carte Vitale après trois mois de présence en France, certains annulent leur assurance privée et ouvrent droit à la protection universelle maladie (selon une loi de 2016*), n’ayant rien à débourser pour leurs soins (cette annulation constitue une fraude puisque c’est sur la promesse de verser une cotisation auprès d’une assurance qu’ils obtiennent la carte Vitale). Le Monde d'aujourd'hui [6/11] qui révèle le pot aux roses cite le propos d’une femme originaire de New York, installée à Mougins, qui est choquée : « La carte Vitale, c’est cadeau alors qu’un Américain moyen gagne deux fois plus qu’un Français. On est traités comme ces pauvres gens qui traversent la Méditerranée sur leurs bateaux gonflables ». Son amie franco-américaine ajoute : « C’est vraiment écœurant, alors que jamais un retraité français ne serait accepté aux États-Unis. Et encore moins entrer dans le système de santé américain ».

J’ignore si cette entourloupe est d’envergure, je ne sais pas comment elle pourrait être contrôlée, mais en l’état c’est l’hypocrisie et la malhonnêteté des pourfendeurs incessants de la fraude sociale ou de l’assistanat qui me parait flagrante. Leurs "experts" ne pouvaient ignorer cette pratique mais ça ne leur posait aucun problème, alors ils n’en ont jamais parlé.

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*À noter que les Américains ne sont pas les seuls à bénéficier de cette loi, mais « confrontés à des assurances santé extrêmement onéreuses, [ils] ont bien compris l’intérêt qu’ils pouvaient tirer d’une telle expatriation » (Yves Tréca-Durand dans Le Monde du 6/11). Un député Horizons a été saisi de cette affaire en vue d’instaurer une cotisation spécifique pour les personnes étrangères titulaires d’un visa long séjour.

[6 novembre]

« Woke, zad et islamogauchiste »

À peine Zohran Mamdani était élu maire de New York que Marion Maréchal Le Pen le présentait comme « le candidat soutenu par Rima Hassa, de Mélenchon et de toute l’extrême gauche réunie ». Trop forte l’extrême gauche ! Il faut s’attendre au pire puisqu’elle prédit que la métropole américaine pourrait bien devenir « une ZAD pro-Hamas à ciel ouvert ». La seule solution : l’union des droites en France ! Faut-il se consoler en se disant qu’avec des arguments d’une telle bêtise crasse ce n’est pas gagné pour l’extrême droite ? Pas sûr, quand on voit combien mensonges et balivernes ont profité à Trump. De son côté, Caroline Fourest a présenté Zohran Mamdani comme un sous-marin des frères musulmans : s’apercevant qu’il est chiite alors que les Frères musulmans sont sunnites, elle a rectifié sur LCI, en disant qu’il est proche d’eux. Comme l’écrit Jack Dion dans un post : « Moralité: si ce n’est toi, c’est donc ton frère (musulman), ta sœur, ta cousine, ta grand-tante ou ton arrière arrière arrière grand-père ».

Sur LCI, toujours, le 5 novembre, à minuit 11 (donc le 6), Jean-Dominique Merchet, ancien de Marianne et de L’Opinion (qu’il a quitté cette année), chroniqueur chez LCI, qualifie carrément et d’emblée Mamdani de « LFI et d’islamogauchiste », car « antisémite radical, fréquentant les milieux islamistes », ajoutant : « ce n’est pas un gentleman modéré, sympathique ». Guillaume Roquette (Le Figaro magazine, ex-directeur de Valeurs actuelles), habitué aux contorsions et aux commentaires sournois, reprenant en réalité une attaque de J.D. Vance, le vice-président des USA, ironise sur le fait que Mamdani a osé dire que sa tante portant le nikab (en réalité le hijab) s’est sentie menacée dans le métro après le 11-septembre, alors que montait une islamophobie à l’encontre des musulmans américains. Roquette voit dans cette victoire « le signe d’un changement de population » (il se retient encore avant de dire : grand remplacement), c’est-à-dire « La France Insoumise, une collectivisation, un élément identitaire à ne pas négliger ». Quand Gallagher Fenwick s’étonne des accusations de Merchet, notant que deux millions de newyorkais ont voté soit deux fois plus que précédemment et que des dizaines de Juifs ont voté Mamdani, Elizabeth Sheppard Sellam (franco-américaine, université de Tours) explique que, s’il y a beaucoup de Juifs qui sont antisionistes, beaucoup d’autres sont très inquiets. Samantha de Bendern, ancien officier politique de l’OTAN, constate que la moitié des électeurs ont voté pour lui, c’est-à-dire, bien qu’encore traumatisés par le 11-septembre, ils ont voté pour un musulman ce qui en dit long sur l’esprit des newyorkais. Un musulman qui a épousé une hindou, suggérant qu'il n'est pas fondamentaliste.

Rififi dans les médias

Illustration 3

L’hebdomadaire Challenges est en passe d’être vendu à Bernard Arnault, qui cherche à s’implanter davantage encore dans les médias (il possède déjà Le Parisien, Les Échos, Connaissance des arts, Radio Classique). Le propriétaire de Challenges, Claude Perdriel, 99 ans, dont la fortune s’est faite grâce aux sanibroyeurs, qui fut aussi propriétaire du Nouvel Obs, veut vendre, sauf que le PDG de LVMH ne veut pas garantir à la rédaction la Charte dont une clause prévoit que le directeur est nommé par un comité éditorial et non de façon unilatérale par l’actionnaire principal. Et qui négocie tout ça pour Bernard Arnault ? Je vous le donne en mille : c’est Nicolas Beytout, un sarkozyste patenté, qui fut propriétaire des Échos, puis viré, mais comme il est né avec une cuillère d’argent dans la bouche il s’est créé un canard, L’Opinion, néolibéral, feuille de chou peu lue mais ayant des journalistes qui sont envoyés sur les plateaux de télé mainstream (BFM, LCI, C dans l’air…). Si l’opération Arnault réussit, il possédera en plus Sciences et Avenir et La Recherche ! Les journalistes de Challenges sont en colère, ce qui me fait un peu marrer car ils écrivent dans un journal qui défend à mort « l’économie libérale » et le « monde de l’entreprise » (c’est dans la Charte).

Illustration 4
[illustration Mediapart]

Chez un autre milliardaire, Kretinsky, dont l’entremetteur est Denis Ollivennes, on a écarté Natacha Polony, pas parce qu’elle menait campagne contre l’immigration ou parce qu’elle nie le génocide du Rwanda, mais parce qu’elle n’était pas assez pro-Europe. Celle qui a été nommée à sa place, Eve Szeftel, venue de Libération (où elle avait déjà été recrutée par Olivennes), maintient la ligne éditoriale anti-immigrés, en l’accentuant, et pro-Israël, sans un mot pour le calvaire des Palestiniens. Des journalistes ont fait jouer la clause de conscience et sont partis, d’autres ont voté une motion de défiance en septembre, reprochant un irrespect de l’orientation du journal créé par Jean-François Kahn, « en particulier son caractère “non-aligné” et son indépendance d’esprit » (sous prétexte d’une Une défavorable à Olivier Faure). Là encore, on peut se réjouir de cette réaction, mais on s’étonne qu’ils n’aient pas réagi plus tôt, car il y a des lustres que Marianne est un canard conservateur, indigne, il n’y a qu’à voir ses Unes successives.

Illustration 5

[4 novembre]

La "victoire" du RN

L’Assemblée Nationale a rejeté la petite taxe Zucman (2 % sur le patrimoine des très riches), ce qui prouve que le pouvoir central et une majorité de députés sont à cent lieues des attentes des citoyens. Le Rassemblement National a voté logique avec lui-même c’est-à-dire en défense des ultra-riches, même s’il fait mine de vouloir défendre le petit peuple.

Illustration 6

La même Assemblée Nationale a voté le 30 octobre une proposition de résolution du Rassemblement National visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 qui avait pour but de restreindre l’immigration algérienne à la différence des accords d’Evian de 1962, qui a fait l’objet de nouvelles restrictions par la suite mais qui offre aux Algériens, compte tenu de l’histoire entre la France et l’Algérie, des clauses spécifiques en matière de circulation, d’immigration et de séjour en France. Il permet aux ressortissants algériens d’obtenir un titre de séjour de dix ans selon une procédure accélérée. Une partie de la droite (26 LR, 17 Horizons d’Edouard Philippe, 2 LIOT) s’est jointe à 122 RN et 15 Ciottistes pour obtenir 185 voix contre 184. Renaissance n’était pas là. A gauche, il manquait des votants sur tous les bancs. Evidemment les ténors du RN se sont réjouis de leur "victoire".

Ce texte ne signifie pas fin de l’accord franco-algérien, mais il est une nouvelle étape dans l’extrême-droitisation de certains députés, et ce vote a bien été organisé dans ce sens par le RN, visant à piéger, avec succès, la droite. Le discours qui consiste à opposer le comportement du régime algérien pour justifier une telle mise en cause des relations de la France avec l’Algérie est ridicule. Je me souviens que quand Jacques Chirac, lors de son voyage en Algérie en 2003, a proposé des visas c’était peu de temps après le Printemps noir où des manifestations de protestation avaient été violemment réprimées. Des jeunes Algériens choisirent alors de venir en France, parmi eux des Kabyles qui se battaient pour le maintien de l’enseignement français dans les universités (à Bejaïa, par exemple). Il y avait dans ce positionnement diplomatique autre chose que ce à quoi on assiste aujourd’hui, avec cette politique médiocre de la surenchère. Par ailleurs, est-ce que ces accords sont respectés ? Non, les préfectures n’accordent pas les titres de séjour à dix ans, que les textes prévoient pourtant. Donc pour l’essentiel, ce vote de l’Assemblée est là pour satisfaire un discours simpliste, anti-Algérie primaire, raciste. Il importe de mesurer la gravité de la situation, qui nécessite qu’à gauche il y ait union, sur des positions claires contre toute la logorrhée rétrograde de l’extrême droite et d’une partie de la droite qui lui colle aux basques.

Un motif cependant de satisfaction : le même jour, le délit de séjour irrégulier, visant à criminaliser les migrants, voulu par le RN, n'a pas été voté.

 [2 novembre]

. Les chroniques qui ont déjà été publiées sur mon compte Facebook l'ont été aux dates indiquées entre crochets.

Billet n° 888

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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