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Billet de blog 9 juin 2023

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Une piste contre les déserts médicaux ?

Un groupe de députés « transpartisans » a élaboré une proposition de loi régulant les installations de médecins pour lutter contre les déserts médicaux. Ils ont déposé hier leur texte à l’Assemblée Nationale. Il faut s’attendre à un tollé venant de médecins défendant leur « liberté ». Le groupe de députés a fait un tour de France : compte-rendu de son intervention en Occitanie.

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Chacun peut faire le constat de la difficulté de trouver un médecin : huit millions de citoyens vivent dans un désert médical, dont six millions qui n’ont pas de médecin traitant. Dans certaines zones, il y a trois fois moins de généralistes par habitant que dans les départements les mieux dotés. Pour les spécialistes c’est pire : écart de densité de 18,5 pour les ophtalmologues, 23,5 pour les dermatologues et même 33 pour les pédiatres. Plus aucun dermatologue en exercice dans la Creuse.

Malgré les déclarations d’intention sur notre modèle social, on assiste là à une dégradation considérable de l’égalité devant le droit à la santé. Il y a urgence à s’attaquer sérieusement à cette désertification médicale. D’autant plus que nombreux médecins partent en retraite ou sont sur le point de le faire. Le médecin est la seule profession de santé ayant une liberté totale d’installation. Longtemps, un numerus clausus, visant à réduire les dépenses de santé en réduisant le nombre d’étudiants en médecine, a été la règle : il a été remis en cause récemment, mais ces effets tarderont à se faire sentir (il faut attendre une dizaine d’années pour qu’un médecin soit formé). Des gouvernements ont carrément payé des médecins pour qu’ils partent tôt en retraite (voir encadré sur le MICA).

Illustration 1

Depuis juillet 2022, 42 députés de tous bords (9 groupes parlementaires, excepté le Rassemblement National) travaillent ensemble pour définir une stratégie de lutte contre les déserts médicaux. Après avoir rédigé une proposition de loi, ils ont entrepris une tournée en France pour populariser leur démarche. Le groupe transpartisan a obtenu la signature de 202 députés qui comptent faire pression sur la majorité lorsque viendra en séance publique, le 12 juin, le projet de loi visant à encadrer la liberté d’installation des médecins. Il s’agirait de débattre d’un amendement déposé le 8 juin sur le bureau de l’Assemblée. Un des articles principaux de la proposition de loi qui pourrait devenir l’amendement à la loi de la majorité prévoit que « toute nouvelle installation d’un médecin ou d’un chirurgien-dentiste en ville […] est subordonné à l’autorisation de l’agence régionale de santé du territoire où se situe [sa] résidence professionnelle », avec avis du conseil de l’ordre dont il relève.

Parmi les députés connus, notons la présence de Philippe Vigier (Modem), Delphine Batho (Génération écologie), Hadrien Clouet et Mathilde Panot (LFI), Pierre Dharréville, Elsa Faucillon et Fabien Roussel (PCF), Barbara Pompili et Aurélien Taché (Renaissance), Aurélien Pradié (LR), Sandra Regol (EELV), Boris Vallaud (PS).

Pour mesurer l’impact du projet dont ils et elles sont porteurs, il suffisait de se rendre à une des réunions qu’ils ont organisées dans les régions.

Saint-Clar, dans le Gers, en Occitanie :

Ainsi, le 22 mars 2023, dans le village de Saint-Clar (1000 hab.), dans le Gers, s’est tenue une réunion publique, la seule pour toute l’Occitanie à ce jour, portant sur les déserts médicaux. Le maitre de cérémonie est David Taupiac, député LIOT, PS dissident, qui, avec le soutien de la présidente de Région, Carole Delga, s’est présenté au premier tour des législatives de 2022 dans le Gers, contre le candidat de la NUPES. Mais l’heure est au consensus : Guillaume Garot (PS, Mayenne), initiateur de la démarche, est présent ainsi qu’Hadrien Clouet (LFI, Haute-Garonne), Jean-Louis Bricout (LIOT, Aisne), Christophe Marion (Renaissance, Loir-et-Cher), Joël Aviragnet (PS, Haute-Garonne). À la tribune, a pris place également Philippe Dupouy, président PS du Conseil Départemental du Gers suite à la démission forcée de l’ancien ministre Philippe Martin, PS, condamné par le Parquet National Financier en janvier 2022. Carole Delga, présidente (PS dissidente) de Région, invitée, est représentée par Joël Aviragnet.

Des auditions de professionnels de la santé et de patients ont eu lieu à l’Assemblée Nationale : Hadrien Clouet note que « lorsqu’on laisse les députés travailler tranquillement, sans leur tordre le bras, il peut en sortir quelque chose », ce que confirme Christophe Marion, constatant que c’est mieux sans caméra, ainsi « on peut travailler sans posture ».

Illustration 2
David Taupiac, Hadrien Clouet, Jean-Louis Bricout, Joël Aviragnet, Christophe Marion, Philippe Dupuy, Didier Dupront (maire et médecin) [Photo YF]

Philippe Dupouy décrit ce que le Département du Gers a engagé, le problème de la désertification se posant cruellement ici. Bien que ce ne soit pas la compétence de cette collectivité, depuis 11 ans elle a accompagné la construction de maisons de santé et, en 2016, a créé un dispositif incitant les médecins à s’installer dans le Gers, en prenant en compte les questions concernant le conjoint, les enfants (dispositif #Dites32). C’est ainsi que 40 médecins libéraux sont venus s’installer dans le Gers grâce à ce dispositif, unique en Occitanie. Le Département a investi (500 000 euros) aux côtés de la Région, de l’État, et du Grand-Auch, dans la réalisation, dans l’ancienne caserne Espagne, un Institut de formation aux métiers de la santé (IFMS), pour infirmiers et aides-soignants (IFSI et IFAS). Par ailleurs, a été créé un Centre départemental de santé, coordonnant des centres de santé locaux*, le premier étant installé à Fleurance (visité dans l’après-midi par la délégation de députés présents). Philippe Dupouy invite l’assistance à applaudir Philippe Martin, assis au premier rang, qui fut l’initiateur de ces différentes actions. Il prendra la parole en fin de séance pour dire qu’à son avis les étudiants en médecine peuvent être intéressés par cette proposition de loi, il considère que ce n’est pas seulement à l’ARS, « pouvoir technocratique », de dire où les médecins doivent s’installer : l’exécutif local doit avoir son mot à dire. Malgré quelques murmures dans la salle, l’ancien élu déchu est applaudi par une partie de la salle (bondée), qui rassemble quelques citoyens mais aussi beaucoup d’élus locaux et de professionnels libéraux de santé.

David Taupiac explique que pour réguler l’installation des médecins (généralistes, spécialistes et chirurgiens-dentistes), il faut établir un indicateur objectif d’accès aux soins, avec autorisation délivrée par l’ARS. Les médecins qui veulent arrêter devront poser un préavis de six mois (afin d’organiser le remplacement). Il affirme qu’il ne s’agit pas d’opposer le public et le privé. Christophe Marion, député pro-Macron, cherche à dédramatiser : il précise que la France n’est pas un désert médical, ce sont certaines zones qui le sont. Hadrien Clouet note que les écarts entre les zones sont tels que le groupe est unanime à penser qu’on ne peut plus laisser au privé d’envisager la solution. Dans les zones surdotées en médecin, le principe sera de remplacer les partants, mais de ne plus accepter que leur nombre soit augmenté. L’idée centrale : il vaut mieux que les gens soient soignés, s’ils tardent à le faire, le coût pour eux et pour la société sera plus grand encore. Sauf que cela frictionne certains intérêts : malgré la discrétion du groupe, « des lobbys ont tenté de sonner à notre porte » pour faire pression sur les propositions qui seraient faites. Joël Aviragnet insiste sur la nécessité de réorganiser l’exercice de soins, de développer les centres de santé et le salariat des médecins, d’encadrer la pratique des remplacements, de rétablir l’obligation de la permanence de soins (en ville, les week-ends). Il fustige les « mercenaires de la santé » qui se font payer des remplacements à 2 ou 3000 euros le week-end). Il appelle au développement de l’accès aux professions paramédicales (kinés, infirmières en pratique avancée, infirmières ayant un diplôme IPA leur permettant d’acquérir des compétences jusque-là réservées aux médecins).

Illustration 3
[Photo YF]

Lors du débat avec la salle, une association des citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) expose son action et félicite les députés pour leur démarche.   

Inévitablement, la question de la clinique de Gascogne**, qui a fermé ses portes quelques jours plus tôt, est évoquée : David Taupiac conteste la gestion du dossier par l’ARS, qui aurait dû consulter le Comité territorial de santé (CTS). Christophe Marion cite le cas de Vendôme : l’ARS s’est opposée qu’une clinique privée en difficulté appartenant au Groupe Avec (dont le président Bernard Bensaïd pour prise illégal d’intérêts et détournement de fonds publics, est mis en examen) soit reprise par l’hôpital public, ce qu’il défendait lui, appartenant à la majorité. Ce qui l’amène à conclure : « il faut tordre le bras à l’administration et donner du pouvoir aux politiques ».

Dans la salle, on s’inquiète des abandons de formation en IFSI, ainsi que les abandons chez les diplômés. Quelques médecins libéraux s’insurgent contre une évolution de la santé publique consistant à diminuer le rôle du médecin (avec, par exemple, les infirmiers en pratique avancée, qui ne sont pas formés pour traiter les situations aigües) : on risque de « déstructurer les soins » ! Le médecin généraliste est là pour garantir la sécurité des soins. Par ailleurs, s’il faut reprendre les gardes de nuit, alors il faudra organiser un repos compensateur. Le salariat des médecins est contesté par certains intervenants (d’ailleurs, 30 % des postes dans certains hôpitaux ne sont pas pourvus). L’un dit que 60 % des jeunes médecins aimeraient exercer hors de France. Il conteste vivement la 4ème année de médecine générale au moment où on demande aux IPA de compenser l’absence de médecins ! Les critiques sur les IPA sont contrées par le fait qu’il s’agit de tâches déléguées exécutées en lien avec le médecin référent.

A ces remarques tendant à freiner sur les évolutions en cours, un député estime que si les médecins ne bougent pas, s’ils n’acceptent pas la délégation de certaines tâches, on va avoir des cabine de consultations avec des médecins au bout de la planète (sans préciser que c’est déjà le cas et qu’à Auch des radiographies effectuées en cabinet privé sont lues et analysées… par des radiologues installés en Belgique). Les abandons de formation en IFSI sont préoccupants, ainsi que les abandons chez les diplômés.

On imagine le tollé que la proposition faite par ces députés va provoquer. Déjà, l’annonce hier du dépôt de l’amendement a commencé à provoquer quelques réactions. Peu vraisemblable que les médecins dans leur ensemble accepteront ce qui, selon eux, portent atteinte à leur liberté. Beaucoup disent qu’ils ne veulent pas devenir des fonctionnaires, avec tout le mépris que cela comporte, sans se rendre compte que pour beaucoup l’essentiel de leurs revenus provient de la Sécurité sociale, sans laquelle les citoyens ne pourraient être soignés et les médecins rémunérés. La bataille menée avec succès par les médecins contre le tiers-payant laisse mal augurer de ce que pourrait être la mise en place d’une régulation de l’installation des médecins. Déjà un appel à la grève a été lancé pour ce vendredi 9 juin.

Illustration 4

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*Le centre municipal de santé de Saint-Clar, dont David Taupiac a été le maire, comprend 2,5 médecins ETP, 1 infirmière de soins à domicile, 1,8 secrétaires médicales. Les consultations sont en hausse constante : leur nombre est passé de 743 en 2020 à 2103 en 2022.

**Voir mon dossier sur la fermeture de cette clinique : Clinique privée : chronique d’une mort annoncée, où l’on verra qu’il n’est pas certain que l’ARS ait eu tort de se résigner à la fermeture, les propriétaires n’ayant pas proposé d’autres solutions que d’être subventionnés par l’État.

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. Lien avec le site de l'Assemblée Nationale : Proposition de loi n° 741 Loi contre les déserts médicaux, d'initiative transpartisane.

Illustration 5

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Le MICA :

On parle peu de la politique passée de la CNAM avec l'instauration du dispositif MICA (mécanisme d’incitation à la cessation d’activité). Ce mécanisme a été mis en place en 1988, incitant les médecins généralistes à partir en pré-retraite avec une forte indemnité : il était alors considéré qu’ils étaient trop nombreux, donc coûteux pour la Sécu avec leurs prescriptions. Damned, c’est Rocard qui a fait ça ? Pas du tout : c’est une loi du 5 janvier 1988, donc sous Chirac premier ministre de cohabitation (Michèle Barzach, ministre de la santé).

Jacques Barrot (sous Balladur premier ministre de cohabitation) a accru le dispositif en 1997 (qui a perduré jusqu’en 2003) : 260.000 francs par an pour pousser le médecin à partir en retraite à 56 ans, et ce durant 9 années, jusqu’à son départ en retraite (la somme, à partir de 2000, a été légèrement réduite à partir de 60 ans). Selon une étude de la DREES, le revenu libéral moyen des généralistes et des pédiatres, en activité, était en 1997 de 300.000 francs. On peut évaluer le total perçu par chacun à 2,34 millions de francs, équivalent à 475.000 euros, selon le convertisseur Insee (des médecins plus jeunes en salivent encore, ils se souviennent de leurs collègues plus âgés partant si tôt avec le pactole). Au même moment, Bernard Pons, ministre des Transports, menait campagne contre les traminots qui revendiquaient de pouvoir bénéficier d’une retraite à 55 ans. À noter que ce dispositif très coûteux n’a pas eu grand effet sur la consommation médicale globale. Mais on a bien veillé à ne pas trop s'étendre sur le sujet.

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Billet n° 737

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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