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Billet de blog 9 décembre 2024

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La pédopsychiatrie en péril

La crise sanitaire a accru les troubles psychiques chez les enfants et adolescents. Or la pédopsychiatrie manque cruellement de moyens, dont des postes non pourvus, ce qui entraine des délais d’attente trop longs mettant gravement en danger les jeunes. Une équipe du Gers lance un cri d’alerte dans une lettre adressée aux décideurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lettre ouverte à l’attention des familles, des acteurs de la santé et des femmes et hommes politiques du département du Gers

Parce que nous sommes tous parents, grands-parents, oncles, tantes, frères, sœurs, nous sommes de ce fait tous concernés.

Nous, équipe pluridisciplinaire de la psychiatrie infanto-juvénile du Gers (pédopsychiatres, psychologues, psychomotriciens, cadres de santé, infirmiers, assistantes sociales, éducateurs spécialisés, secrétaires) tenons à vous alerter concernant la situation préoccupante voire alarmante, dans laquelle se trouvent les enfants, adolescents et leur famille dans notre département.

 Il est constaté au niveau national une augmentation de la souffrance psychique chez les enfants et adolescents, notre département n'est pas épargné.

L'offre de soins pour les jeunes patients du Gers n'est absolument plus adaptée à leurs besoins. Ce constat est exacerbé par un manque criant de médecins pédopsychiatres. A partir de mi- décembre 2024, ils ne seront plus que deux pour tout le Gers. Sans médecin pédopsychiatre, nous ne pourrons plus accueillir de nouveaux patients : en effet le personnel paramédical travaille, la plupart du temps, sur prescription médicale.

Parallèlement, les institutions partenaires sont surchargées, les cabinets libéraux débordés. Et toutes les familles ne peuvent pas soutenir la charge financière que représente un parcours de soins dans le privé.

 Il est essentiel d’agir ensemble pour garantir un accès aux soins pour tous.

La mission du service public de pédopsychiatrie est d’accueillir, d’accompagner, d’orienter les jeunes patients vers un parcours de soins adapté, sans aucune distinction, et pris en charge par la Sécurité Sociale. Cela devient impossible car dans tous les services d’hospitalisation complète (Clinique pour Adolescents), de journée (Hôpital de jour "le Repaire" ou "la Villa") ainsi que dans tous les services ambulatoires (CMP [Centres médico-psychologiques] d’Auch, Mirande, Nogaro, Fleurance, service de périnatalité) le temps d’attente pour la prise en charge des jeunes patients peut atteindre plusieurs mois.

Les enfants et les adolescents en souffrance ne peuvent pas bénéficier des soins dont ils ont besoin. Pour exemple, le service des urgences enfants et adolescents situé aux urgences de l’hôpital (ELIPS, voir plus loin), qui devrait être composé de deux infirmiers, d’un psychologue et d’un médecin pédopsychiatre à temps partiel ne compte qu’une seule infirmière depuis un an ! Des adolescents en crise suicidaire peuvent ne pas être pris en charge de façon adaptée et devoir retourner à leur domicile. Les conséquences sont désastreuses : augmentation de leur mal-être, déscolarisation, désocialisation, tentatives de suicide, suicides, aggravation des symptômes, détresse familiale.

Alerte sur le devenir des structures de soin : un avenir inquiétant

 Nous sommes tous conscients des conséquences désastreuses sur la santé mentale, affective, émotionnelle des jeunes et des adolescents, si nous ne pouvons plus aider ces jeunes en souffrance : augmentation de la déscolarisation, augmentation du nombre de tentatives de suicides, augmentations de suicides, et la liste n’est pas exhaustive.

Les structures de soins pour les enfants et les adolescents sont gravement menacées. En l’absence de médecins, en particulier de pédopsychiatres, ces structures ne peuvent continuer à garantir un suivi adapté. Les conséquences peuvent être désastreuses et entrainer la fermeture de ces services, exposant ainsi les jeunes à un risque accru de détérioration de leur état de santé mentale. Tous les professionnels de santé, bien que dévoués, ne peuvent remplacer l’expertise médicale essentielle. N’oublions pas qu’infirmiers et psychomotriciens travaillent sur prescription médicale.

Cette situation crée un cercle vicieux : le manque de médecin et de personnel paramédical allonge les délais d’attente, pouvant décourager les familles à recourir à nos services. Les enfants et les adolescents en détresse psychologique restent sans aide aggravant ainsi leur souffrance ce qui peut les pousser vers des comportements à risque et des passages à l’acte.

Il est impératif que les décideurs prennent conscience de l’urgence de la situation. Des actions concrètes doivent être mises en place.

A noter que certains projets d’ouverture de service ont été accordés et financés par l’Agence Régionale de Santé [ARS] mais n’ont pu voir le jour …

Les jeunes patients du Gers sont en danger. Nous voyons dans nos services une augmentation du nombre de tentatives de suicides et une augmentation du nombre de suicides chez les adolescents. Ce qui était une inquiétude de notre part est devenu une réalité alarmante aujourd'hui

Par cette lettre, nous souhaitons informer la population, les usagers, les institutions partenaires (Dispositif des Instituts Thérapeutiques, Éducatifs et Pédagogiques, DITEP ; Aide Sociale à l’Enfance, ASE ; Protection Judiciaire de la Jeunesse, PJJ), sur cette situation dramatique et indigne d’un pays comme la France et alerter l’ensemble des décideurs de notre département (élus, État dont ARS) en espérant qu’elle leur permettra d’envisager des actions concrètes et efficaces axées autour des besoins des jeunes.

Ainsi, Messieurs, Mesdames, nous espérons de votre part un soutien, une réponse et une prise en compte active de la souffrance des jeunes du Gers et de leurs familles et ainsi pouvoir garantir leur sécurité et leur bien-être.

Nous restons à votre disposition pour vous rencontrer et collaborer afin d’améliorer la situation. Nous réfléchissons quotidiennement à des solutions pour répondre aux besoins urgents de nos jeunes.

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La situation dans différents services :

La Clinique des adolescents :

Ce lieu de soins psychiques prend en charge les adolescents de 11 ans à 18 ans qui peuvent avoir plusieurs difficultés (phobie scolaire ou sociale, dépression, idées suicidaires accompagnées ou non de tentatives de suicide, troubles du comportement alimentaires, décompensation psychotique).  Initialement, il était prévu 5 places d’hospitalisation complète et 2 places d’hospitalisation de nuit, mais compte tenu des nombreux besoins d’hospitalisation les professionnels ont dû prendre en charge 7 patients en hospitalisation complète en maintenant le même ratio de personnel. Après plusieurs mois de souffrance au travail, il a été convenu d’augmenter la capacité d’accueil à 7 patients en hospitalisation complète. Mais le nombre de lits n’a pas augmenté et donc les 2 places en hospitalisation de nuit pourraient être amenées à disparaitre.

A noter une demande croissante d'hospitalisations, ce qui engendre pour les adolescents une attente pour être hospitalisés bien trop longue et délétère. Pour exemple, un adolescent peut attendre plusieurs mois pour une hospitalisation programmée ce qui entraine un risque de déscolarisation, un risque évident d’augmenter les symptômes de dépression ou autres, et un système familial mis à mal... sachant que ce service d’hospitalisation est le seul du département.

Les Centres médico-psychologiques (CMP) :

Les CMP du département (Mirande, Auch, Fleurance, Nogaro et l’Isle Jourdain) prennent en charge les enfants et adolescents de 3 à 18 ans, tout en soutenant les familles. Les patients sont reçus en RDV par les soignants, seuls la majorité du temps mais aussi accompagnés par le représentant légal.

La situation là aussi est préoccupante. A Nogaro, le temps plein de psychologue n’est assuré qu’à 60% Il y a donc un manque de temps psychologue. Et malgré la présence de deux infirmiers la liste d'attente pour débuter le suivi est de 6 mois minimum. A cela se rajoute les temps d'attente entre le premier appel pour un RDV et le RDV effectif de premier entretien d'accueil pour les enfants entre 3 et 11 ans. Ainsi, dans certains CMP, les enfants et leurs parents peuvent attendre un an avant le début du suivi, les adolescents eux attendent 6 mois.

Au CMP enfants de Nogaro et de Fleurance, le poste d’assistante sociale n’est pas non plus pourvu. Les familles ne peuvent donc pas être aidées de façon efficiente pour toutes les démarches à effectuer.

Sur l’ensemble des CMP, les psychomotriciens ne sont présents qu’à mi-temps et le temps d’attente pour obtenir des RDV peut être d’un an. Cela devient dangereux pour la santé des jeunes du département.

Au CMP de Fleurance, l’absence de médecin pédopsychiatre à partir de mi-décembre 2024 compromettra gravement la prise en charge des nouveaux patients. La situation est similaire pour les CMP de Mirande et d’Auch. Il est urgent d’agir pour garantir un accès aux soins psychologiques adaptés pour tous les jeunes du département car cela pourrait entrainer une impossibilité d’assurer le suivi des nouveaux patients et bien sûr une perte du savoir médical.

 L’équipe de liaison de pédopsychiatrie aux urgences :

Située au sein du centre hospitalier général d’Auch, cette équipe (ELIPS) est en grande difficulté. Comme indiqué plus haut, alors qu’elle devrait être composée de deux infirmières, d’un psychologue, d’une assistante sociale et d’un médecin psychiatre à temps partiel, cette équipe n’est composée que d’une seule et unique infirmière. Vous comprenez bien les difficultés que cela peut entrainer, des dysfonctionnements, des délais supplémentaires de prise en charge. Cette situation met en péril la qualité des soins et peut ainsi aggraver la santé des jeunes. Les jeunes qui ont des idées suicidaires ne peuvent parfois pas être pris en charge. Et doivent retourner à leur domicile.

L’hôpital de jour "La Villa" : 

Lieu d’hospitalisation de journée pour les enfants de 3 à 11 ans. Ici encore, à partir de mi-décembre 2024, il n’y aura plus de médecin pédopsychiatre. Ceci peut remettre en question la pérennité de ce lieu de soins indispensable pour ces jeunes enfants en grande souffrance psychologique. Indispensable car au-delà de prendre soin d’eux "LaVilla" peut permettre de leur donner la possibilité de poursuivre leur scolarité, de venir soutenir les institutions dans lesquelles ces enfants peuvent être placés (DITEP, foyers, institutions déjà mises à mal de leur côté), mais aussi bien sûr soutenir leurs parents. 

PANDA (psychiatrie périnatale et d'accompagnement à la parentalité) :

Ce service est composé d’infirmiers, d’une psychologue, d’une psychomotricienne, d’un médecin, et prend en charge les enfants de la naissance à 3ans, mais aussi les futurs mères enceintes, les parents endeuillés.

A partir de mi-décembre 2024, sur ce service il en sera de même que dans d’autres : il n’y aura plus de médecin. Nul besoin de rappeler les conséquences désastreuses de cette absence médicale, car sans médecin l’équipe ne pourra plus recevoir de nouvelles familles, de nouveaux enfants.

                                 Les professionnels de la Pédopsychiatrie du Gers.

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. La pédopsychiatrie, rapport de la Cour des compte, mars 2023.

. France Info (5 mn) : "C'est entre six mois et un an d'attente" : quand la pénurie de personnel en pédopsychiatrie met en péril le soin des enfants

. Sur Social en question : La pédopsychiatrie « perdue » en rase campagne, par l'Intercollège des psychologues des secteurs sanitaires et sociaux de Midi-Pyrénées.

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Billet n° 833

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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