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Les Envolées Clowns hospitaliers, ce sont 12 comédiennes et comédiens qui, depuis 2007, interviennent en duo dans des hôpitaux pour enfants, des EHPAD (Etablissement Hospitalier pour Personnes Âgées Dépendantes) ou des établissements spécialisés (hôpitaux psychiatriques, Foyers et maisons d’Accueil Spécialisés) en Occitanie (Haute-Garonne, Gers, Tarn et Ariège), dans les chambres, dans les halls d’accueil, dans les salles d’attente. L’humour de ces clowns, leur bienveillance, leur empathie, ont un effet sur jeunes ou vieux, qui oublient un temps leur tristesse et leur souffrance. Par le jeu de la rencontre, ils sont rejoints, amenés dans la relation, avec chacun sa singularité, par-delà les conventions, au cœur de l'humanité.
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J’ai accompagné deux comédiennes clownes dans un EHPAD, Julie et Marie-Cé. Avant d’entrer dans les chambres ou dans un salon, une rencontre a lieu entre les comédiennes et une "ambassadrice", tiers institutionnel, animatrice ou psychologue référent, qui accompagnera ensuite les deux professionnelles auprès des personnes âgées. Il s’agit de faire le point sur les resident.es que les clowns connaissent pour les avoir rencontrés précédemment, lors de leurs visites bimensuelles. Comment vont-ils en ce moment, plus ouverts, plus repliés sur eux-mêmes ? Car il importe de préciser d’emblée que les clowns hospitaliers ne sont pas des comédiens présentant un spectacle pré-établi. Ils arrivent au cœur d’un établissement où il y a du mal être, de la souffrance, de la perte de mémoire, ou troubles liées à la maladie neurodégénérative (Alzheimer). Il ne s’agit pas de distraire des personnes qui s’ennuient mais de créer, grâce à une relation avec la personne, un lien pour entrer en interaction quelle qu’elle soit, verbale ou non verbale, tactile ou auditive… Tout l’art est dans la capacité d’improvisation et d’ajustement.
Au commencement est la mise en costume, le moment où les comédiennes enfilent leurs vêtements de clown, et leurs nez rouges : elles se transforment en personnages, chacune avec son caractère, maquillage léger et costume. Le but est de permettre d’aller vers l’imaginaire pour se décaler de la réalité, faire un pas de côté. Selon les jours et selon un thème à traiter, elles arborent une tenue qui peut varier. Lorsque j’ai accompagné Julie et Marie-Cé, qui ont pour noms de scène Capucine et Perlita, elles s’étaient mises d’accord pour harmoniser leur tenue et porter des vêtements à pois. Mais il n'y a pas de règles en la matière : le vêtement peut (ou pas) prédéterminer une relation entre les deux clowns (relation hiérarchique, forte complicité, gémellité, complémentarité...), mais la part belle sera toujours laissée à l'improvisation dans le moment présent
Évidemment Clowns riment avec Rires, mais aussi avec farfelu, audace, éventuellement incohérence. Mine de rien c’est une manière d’aller dans le sens de personnes qui perdent pied. Le constat que j’ai pu faire c’est que le clown s’empare du propos de la personne affaiblie, de ses gestes, de ses coqs à l’âne, de ses rires, de sa tristesse, pour à chaque fois en faire quelque chose, rebondir, entraîner la personne dans leur propre “délire”, provoquant ainsi, bien souvent, une jubilation. Par exemple, une dame n’est pas trop d’accord pour les recevoir. Aujourd’hui elle est plongée dans les idées noires, c’est d’ailleurs ce qu’elle leur dit à leur arrivée, alors les clowns n’évacuent pas ce rejet, cette anxiété : elles s’en saisissent et s’agitent pour écraser au sol les idées noires. Étonnement de cette dame qui pensait peut-être que l’on tenterait de la dissuader de se morfondre : non, on entre dans ce qu’elle exprime, on ne moque pas ce qu’elle dit, on plaisante avec, ce qui la conduit à prendre de la distance avec ce qu’elle ressentait, en tout cas ce qu’elle affirmait, et à en en rire.
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Le lieu privilégié c’est la chambre permettant une relation personnalisée, au cours de laquelle la personne âgée s’exprime et se confie davantage. Ce n’est pas une opposition entre individuel et collectif, car en chambre l’échange en confiance peut libérer la personne et, paradoxalement, favoriser son inscription dans le collectif. Inversement l’intervention en groupe peut, dans certains cas, replier la personne sur elle-même. Mais l’administration et les institutions préfèrent l’intervention en salon, parfois selon une conception visant l’animation, comme s’il s’agissait juste de créer un peu d’ambiance. Alors, il faut faire avec, maintenir une relation individuelle, en enchaînant les rencontres, en passant de l’une à l’autre, tout en étant en capacité de réagir à des interférences, plusieurs personnes pouvant solliciter les clowns en même temps.
Je les ai suivies dans un salon avec des résidents.es relevant de la maladie d’Alzheimer. Une personne les accueille en tendant les mains en avant, les doigts pointés, sous forme de jeu, alors les clowns se connectent à ses doigts, comme si cela favorisait le passage du courant. Les clowns sont avenantes, elles sourient, sont bienveillantes, chaleureuses, pouvant enlacer la personne, pouvant l’embrasser et se faire embrasser quand elles sentent que c’est ce qu’elle attend. Certaines résidentes semblent éteintes, les unes vont le rester durant l’intervention, d’autres s’éveillent à la sollicitation, sont réceptives, réactives. Elles chantent, et les clowns ne se font pas prier : l’une a une petite guitare, et une résidente improvise « et gratte et gratte sur ma mandoline, mon petit Bambino ». Un visage figé soudain rit aux éclats. Des bras se lèvent pour battre la mesure. Des mains soulèvent les jupes des clowns pour admirer les caleçons brodés. Des phrases étranges sont prononcées, pas toujours compréhensibles, mais rien n’est abandonné, même une phrase bizarre est reprise comme pouvant faire sens (comme celle-ci, adressée à une animatrice de l’EHPAD : « je suis venue pour que vous arrêtiez de vous casser les oreilles »).
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Dans cette région proche de l’Espagne, une résidente prononce quelques mots en espagnol, alors Capucine embraye dans cette langue ce qui fait manifestement plaisir à son interlocutrice tandis que Perlita improvise une danse flamenco. Ce jour-là, une crainte de la direction redoutant qu’une épidémie s’installe, a imposé le masque sanitaire aux visiteurs, y compris les comédiennes-clownes. Cela complique la tâche, car l’expressivité du visage est primordiale, mais leur talent est tel, leurs paroles, leur regard, qu’on oublierait qu’elles portent un masque. C’est une occasion pour les personnes “de parler microbes”.
Pour justifier le départ vers une autre salle, les clowns se servent des boules de Noël avec lesquelles elles jouaient afin de simuler une disparition magique. L’une, jouant avec une boule qu’elle a posée sur sa tête, s’adresse à Capucine et Perlita en disant : « trop mignonnes » ! Dans une salle où sont rassemblées des personnes plus dépendantes (souvent dans des fauteuils médicaux), une première personne va lancer l’échange autour des Indiens : les clowns l’appellent "petite fleur des bois", guérisseuse ou chamane, elle alterne sourire appuyé et visage plus fermé, elle rit et tend les doigts en avant pour toucher les doigts des clowns. Elle évalue leurs tenues : à l’une, « le rouge et le gris vous vont très bien ». Elle prononce cette phrase certainement pas si énigmatique que ça : « et tout s’arrête quand vous vous arrêtez ». Quand elle leur demande si la pluie a cessé, alors nos deux clownes s’approchent des fenêtres en déclarant qu’elles mènent l’enquête. Occasion de se rapprocher d’une autre personne qui semble jusqu’alors hagarde, bouche ouverte. Quand il n’y a apparemment aucune communication, les clowns essayent d’établir le contact, même si c’est difficile sur le plan humain. Là, elles lui caressent la joue, aussitôt elle les observe, les écoute, chantonne avec elles.
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Puis les clownes s’approchent d’une personne isolée tournant le dos à la salle, assise devant une grande table. Elle a un regard soutenu, expressif, ce qui laisse entrapercevoir sa capacité d’entrer en relation, et en même temps elle semble être dans un autre monde. Elle dit : « c’est très bizarre, je ne suis plus moi-même ». Capucine et Perlita achoppent à chacun de ses mots, à chacun de ses gestes. Capucine va jusqu’à monter sur la table, pour qu’elle réagisse à cette incongruité, et lui dit : « parfois il n’y a pas de mots pour dire », à quoi cette dame répond du tac au tac : « si, il y a des mots ». Lors du débriefing, il sera précisé que dès qu’on s’éloigne à peine d’elle, « on la perd ».
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A une autre table, plusieurs personnes sont assises en rond. Les clownes chantent sur les paroles que ces personnes prononcent, l’une est très souriante, manifestement heureuse de cet instant. Une autre lance l’idée qu’il y ait « trois projets en trois jours », réclamant que ce soit noté, avant de partir d’un fou rire qui déride une autre, restée jusque-là impassible.
Dans le couloir, des résidentes sont assises de part et d’autre : l’une enserre Capucine et lui lâche « je t’adore, tu le sais bien » puis elle parle du Portugal d’où elle est originaire. Occasion d’une plaisanterie sur le projet de partir le lendemain matin dans sa maison portugaise, mais « elle est vide », dit-elle. Elle sait très bien que c’est une plaisanterie, c’est bien pour cela qu’elle a été faite. Tout le professionnalisme consiste à mesurer ce qui, dans ces échanges rapides, peut être dit ou au contraire évité, en fonction de la façon dont un propos peut être reçu.
Après deux heures dans les salons, une séance de débriefing a lieu, les deux comédiennes clownes et l’"ambassadrice" de l’EHPAD, qui les a suivies et a pris des notes. Il s’agit de noter, point par point, résident.e par résident.e, les évolutions, leurs réactions.
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La campagne de dons 2026 est lancée
Cette association dépend de plusieurs financements : d’un côté les institutions qui sollicitent l’intervention des Envolées, de l’autre les commissions des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie (CFPPA, ancienne "conférence des financeurs") du Gers, du Tarn et de l’Ariège, qui regroupe plusieurs partenaires autour du Département, dont l'ARS d’Occitanie, la CARSAT, l’ANAH, la CPAM, les retraites complémentaires, la MSA, le RSI et la Mutualité française (1), et les donateurs privés.
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Parce que le contexte financier général restrictif fait peser une menace sur ce genre d’association, Les Envolées Clowns hospitaliers ont organisé le samedi 8 novembre à Toulouse un goûter-spectacle et des échanges pour sensibiliser le public et l’inciter à soutenir leurs actions. Il s’agissait de reconstituer des scènes ayant existé, ce qui permettait d’une part de visualiser le jeu tout rempli de finesse des duos de clowns, et les réactions des personnages âgées, des enfants et des malades. Ce qui était alors mis en évidence c’est que la méthode ne consiste pas à nier le propos douloureux de la personne, mais au contraire à entrer avec humour dans son mal-être, pour en faire un objet de sourire, de rebondir sur ses paroles, qu’elles soient enjouées ou tristes. Les rejoindre, comme ces deux clowns qui, le jour du Tour de France, entrent dans une chambre en faisant mine d’être sur un vélo et l’homme alité plaisante en disant que c’est lui qui est à la dernière étape. Les patients, les familles, les soignants attestent que ces séquences de clowns ont un effet d’apaisement. Ce que font ces clowns consiste à rendre un instant ordinaire en un instant extraordinaire, hors des codes et des conventions. On parle de la mort, de la maladie, de la solitude, de la souffrance, de la joie, du plaisir, du souvenir et même de la sexualité. Il s’agit de jouer, quel que soit l’état de la personne, lui redonner de la valeur, lui permettre de goûter l’instant présent. Clown c’est être plus vulnérable que la personne vulnérable. Les clowns sont partenaires de soin, les résidents se plaignent que leur prestation soit trop courte. Même dans un contexte hors cadre réel, cette représentation était particulièrement émouvante. Mais il y a aussi de la poésie dans ses moments de relation chaleureuse.
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Les Envolées interviennent auprès de plus de 1200 personnes chaque année. Les soignants apprécient ces interventions des clowns, moment d’apaisement. Ils viennent voir comment les clowns procèdent pour calmer un moment éventuel de tension. Car le jeu des clowns permet de toucher la "partie intacte" de la personne qui, par ailleurs, souffre, que ce soit le jeune enfant ou la personne en fin de vie. Cette relation particulière nécessite de prendre le temps, ce que les soignants, le plus souvent, n’ont pas. On est là au cœur de l’humanité, à une époque où elle est menacée, où l’attention aux malades, aux vieux, s’estompe, bousculée par l’impératif de rentabilité.
Les Envolées, Clowns hospitaliers, sont membres de la Fédération française des clowns hospitaliers. Ils et elles sont tous professionnel.les, ayant suivi des formations, pour la majorité au Bataclown (formation Clowns en Secteur Médico-Social) pour exercer et bénéficiant de suivi par un psychologue, car certaines séances peuvent être éprouvantes, même si la transformation (masque et maquillage) a pour but aussi de permettre la distanciation. Au-delà de la formation, cela suppose, comme j'ai pu le constater en EHPAD, que les clowns disposent déjà de qualités personnelles d'empathie, de bienveillance, d'ouverture d'esprit et de capacité à établir rapidement une relation chaleureuse.
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L’équipe des Envolées remercie les partenaires institutionnels qui les accueillent (EHPAD et centre hospitaliers). Ces institutions co-financent ainsi que les donateurs (des collectes ici ou là sont organisées pour faire en sorte que leurs actions perdurent). La mairie de Toulouse accueille cette association pour ses réunions, séances de training et analyses de pratique à la Maison des associations.
Soutenons les ! Il importe de venir en aide à cette association qui est reconnue d'intérêt général (dons sur le site) : ici.
. Page Facebook : Les Envolées, Clowns en milieu de soins
. une des vidéos du site (4 mn) : Les Envolées (se) présentent.
. mail : contact@lesenvolees.com
. adresse : Association Les Envolées, Clowns hospitaliers, 18 rue du Béarnais, 31000 Toulouse (06 74 76 73 66)
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(1) Les sigles, dans l’ordre : Agence Régionale de Santé, Caisse d'Assurance Retraite et de Santé au Travail Midi Pyrénées, l'Agence Nationale de l'Habitat, Caisse Primaire d'Assurance Maladie, la Mutualité Sociale Agricole, le Régime Social des Indépendants.
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. Les photos non créditées appartiennent à l'association Les Envolées et sont reproduites ici avec son autorisation expresse.
Billet n° 895
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook