Après le meurtre de Mélanie Grapinet, assistante d’éducation au collège Françoise-Dolto de Nogent en Haute-Marne, tuée au couteau par un élève de 14 ans, Quentin, on a eu droit d’abord au commentaire d’Elisabeth Borne : le coupable est un jeune homme « dont les parents travaillent » ! Mais CNews a fait pire. Tout d’abord, il faut préciser que le lycée où le drame s’est produit se nomme "Françoise Dolto". Que faire pour des commentateurs qui ne prennent leur pied que si un jeune issu de l’immigration est en cause ? Et bien ils sont orphelins, que se mettre sous la dent ? Bouche bée, personne ne commente. Alors Gilles-William Goldnadel (avocat) se lance en disant qu’« on n’est pas obligé de tout dire » ou de « tout expliquer » (ah tiens !), avant d’enchaîner : « Françoise Dolto était une psychiatre qui était permissive, elle était prête à laisser les enfants faire ce qu’ils veulent ». Textuellement.
Bon, tout de même, dans un premier temps, Pascal Praud s’insurge, puis Olivier Dartigolles (qui fut porte-parole du PCF et qui pontifie sur ce plateau infâme) et Elisabeth Levy (tout aussi infâme) prennent tout de même la défense de Dolto. C’est évidemment surréaliste surtout que Praud, comme il n’a rien à dire, ne cesse de répéter comme un mantra : ça fait sens, tout de même, de nommer un lycée Françoise Dolto ! Goldnadel, dont on sait qu’il est bas du plafond, n’en démord pas : « liberté excessive accordée aux enfants ces dernières années ». Philippe Bilger, qui fut procureur, de sa voix chevrotante, accuse une journaliste d’avoir dit « le meurtrier présumé ». Praud, abasourdi, se réveille, choqué que Macron puisse déambuler au Negresco à Nice après un tel drame et qu’il n’aille pas sur le champ à Nogent.

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Sur LCI, tard en soirée, la caution permanente d’extrême droite du plateau de Darius Rochebin, Guillaume Roquette (du Figaro magazine), de sa voix de fausset, considère qu’il faut cesser de donner sa chance à un élève violent (l’ado meurtrier avait été exclu deux fois), il dresse le diagnostic : « l’Éducation Nationale est gangrénée par les syndicats », il y a trop d’enseignants par rapport aux élèves, il n’y a aucune souplesse, impossible de fermer des classes. Hugh ! Premier réflexe d’un tel chroniqueur qui milite insidieusement pour que droite et extrême droite s’unissent et qui dispose d’un maroquin pour ce faire : insulter les enseignants. Rochebin, malin, lui d’une voix calme, botte en touche comme il sait si bien faire : les temps ont bien changé, personne ne se souvient d’être allé à l’école avec un couteau, assène-t-il [eh bin si : quand j’étais en 6ème on était nombreux à avoir un petit canif accroché à la ceinture de notre short, mais ce n’était ni un couteau de cuisine ni une machette]. Roquette enchaîne en prenant la défense de Trump, il a raison de chasser manu militari les migrants, puisqu’il a dit qu’il le ferait.
Ne pas croire que j’ai passé du temps : CNews, il suffit de trois minutes d’écoute pour en rendre compte dans une chronique, tellement suinte de cette chaîne en continu haine, hargne et médiocrité.
[11 juin]
La santé mentale des jeunes en revue
La Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée Nationale a décidé le 15 janvier dernier la création d'une commission d'information sur la santé mentale des mineurs. Deux co-rapporteures sont chargées de ce travail : Nathalie Colin-Oesterlé, députée de Moselle (Horizons) et Anne Stambach-Terrenoir, députée de Toulouse (LFI-NFP). Des auditions ont eu lieu, dont, récemment à Toulouse, avec l'Intercollège des psychologues des secteurs sanitaires et sociaux de Midi-Pyrénées.

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Dans le même temps, la revue Sciences Humaines publie un dossier de 30 pages sur La Santé mentale des jeunes, l’état d’urgence. Tentative de comprendre les causes du « péril jeune » (stress, tristesse, détresse), Marie Rose Moro, professeur de pédopsychiatrie, est citée, pour laquelle « le pessimisme des adultes a un impact : les Français sont majoritairement convaincus que la vie de leurs enfants sera plus difficile que la leur ». Les principaux troubles psychiques sont répertoriés. De son côté, le psychiatre Bruno Falissard constate qu’« exprimer son mal-être est devenu socialement plus acceptable ». Un article sur les smartphones, cause de troubles anxieux, un autre sur la tentation autodestructrice. Et l’arsenal thérapeutique. Reportage sur une Maison des adolescents à Clichy et sur la "pair-aidance". Comme souvent, cette très bonne revue reste un peu trop sur le diagnostic et le traitement (de la maladie mentale des jeunes), beaucoup moins sur la politique de l’État en la matière. Un article, en complément, aurait été le bienvenu.
D’autres sujets passionnants (dont l’interview de l’historien Johann Chapoutot sur l’alliance de la droite et du centre avec le nazisme … avant et pendant la Seconde Guerre mondiale).
[7 juin]
Influenceurs surréalistes !
Hier, une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, s’est tenue à l’Assemblée Nationale : on pouvait suivre les auditions en direct. Le premier Alex Hitchens, ancien joueur de basket, de son vrai nom Isac Mayembo, interrogé en visio, a tout simplement coupé la liaison ne supportant pas les questions d’Arthur Delaporte, co-rapporteur, PS. Ensuite, AD Laurent qui jure ses grands dieux qu’il respecte la loi, M et J Tanti qui ignoraient que mettre en scène leurs enfants pour faire de la pub à Shein c’est interdit.

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Enfin, Nasser Sari, dit Nasdas, qui a 9 millions d’abonnés sur Snaptchat, qui vit dans le quartier Saint-Jacques à Perpignan, « le plus pauvre de France » et qui interrogé sur ses revenus dit que son chiffre d’affaires c’est « quelques centaines de milliers d’euros » par mois. Puis, comme dans une discussion de café du commerce, il rétorque au député : « et vous ? ». Delaporte joue le jeu : « 5000 € après impôt ». Oui mais, dit l’influenceur, j’ai vu que vous aviez des voitures avec chauffeur (chauffeurs partagés pour rejoindre l’AN, explique le député).
Nasdas reçoit des mineurs chez lui, qu’il filme : il prétend que c’est à son corps défendant. Il met en cause l’irresponsabilité des parents qui au téléphone lui demandent d’héberger leur enfant. Il recueille aussi des jeunes ayant fui un foyer (« irresponsabilité de l’État »). Il revendique que l’on reconnaisse qu’il y a un problème de santé mentale pour les influenceurs eux-mêmes, emportés dans un tourbillon auquel ils ne sont pas préparés, d’ailleurs il envisage de suspendre un temps son activité. Un député LFI, Aly Diouara, critique sa mauvaise influence sur les jeunes compte tenu de ses contenus (violences, misogynie), mais, pas vraiment sympa pour les professionnels sociaux et éducatifs qui se défoncent auprès des mineurs en danger, il abonde : « l’État est le pire parent avec (ce que fait) l’ASE » !

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Laure Miller, co-rapporteure, Renaissance, est plus respectueuse puisque, co-autrice du rapport sur les manquements de la protection de l’enfance, elle reconnaît juste que l’ASE manque de moyens, sans donner l’impression de vouloir participer au sport national qui consiste à cracher sans cesse sur l’ASE, entité anonyme, au sein de laquelle exercent des travailleurs sociaux dont la plupart sont totalement dévoués à leur mission.
[12 juin]
Pédophilie chez une assistante maternelle
La Dépêche publie aujourd’hui trois pages sur l’accusation portée à l’encontre d’un homme du Lot-et-Garonne qui aurait abusé de 12 enfants accueillis à la journée par son épouse assistante maternelle (fellations, donc viols, et attouchements), sachant qu’une quarantaine de possibles victimes ont été interrogées. Un premier signalement a été effectué à la gendarmerie au cours de l’été 2024. L’assistante maternelle s’est vue retirer son agrément en janvier 2025, qu’elle a récupéré rapidement pouvant attester qu’elle était désormais séparée de cet homme. Plusieurs questions sont posées dans ces articles, dont celle de la responsabilité de l’assistante maternelle qui aurait laissé parfois les enfants à la garde de son mari (situation certainement relativement fréquente) et, surtout, celle de la récupération de l’agrément [selon une édition de Sud-Ouest, l’agrément lui a été à nouveau retiré le 7 juin] alors qu’elle est accusée de « faute professionnelle » par Annie Gourgue, présidente de La Mouette, association de défense et de protection de l’enfance à Agen, pour n’avoir pas vu ou pas dénoncé ce qui se passait. Enfin, l’homme, qui aurait menacé les enfants s’ils parlaient et qui aurait en partie avoué les faits, est sous contrôle judiciaire, donc en liberté.

L’éditorialiste de La Dépêche, Philippe Rioux, à partir de ce drame, passe en revue les affaires Le Scouarnec et Bétharram, et le « scandale d’État » qu’est l’ASE (aide sociale à l’enfance). Il évoque aussi la question de la santé mentale des jeunes pour finir sur l’adolescent de 14 ans qui a tué hier une surveillante de lycée à Nogent.
Des voisins interrogés disent que le mis en cause était « avenant ». Amateur de rugby et joueur de billard, selon Sud-Ouest, il était « serviable ». Personne n’imaginait qu’il soit capable de tels actes. On sent bien en toile de fond une interrogation : mais comment la Protection Maternelle et Infantile (PMI) n’a rien décelé ? Alors que ces ass mat font l’objet d’un agrément par la PMI.
Parce que, tout simplement, c’est difficile à repérer. Même dans le cadre des assistantes familiales, accueillant un enfant en permanence et recevant la visite d’un travailleur social, ce genre de situation est difficile à détecter. Souvenons-nous du drame de Laetitia, tuée par un ami : quelques mois plus tard, sa sœur jumelle, Jessica, révélait que le père de la famille d’accueil, où elles étaient toutes deux placées, avait abusé d’elle. L’enquête avait montré qu’il avait fait cinq victimes, il avait été condamné à 8 ans de prison, sans que l’on sache s’il avait abusé aussi de Laetitia avant sa mort. Cet homme, lors de la découverte du drame de Laetitia, avait été la coqueluche des médias, les journalistes se précipitant vers lui pour l’interviewer, pour solliciter des infos. Ils avaient sans doute compris après coup qu’un violeur sait cacher son jeu, mais j’ignore s’ils y repensent quand ils commentent le manque de perspicacité des professionnels du social ou de la santé.
Annie Gourgue, interrogée par La Dépêche, dit qu’une mère vient de lui confier que sa fille lui avait dit « quelque chose » mais qu’elle n’y avait pas accordé d’importance. Voilà des signaux faibles qu’il faut savoir prendre en compte.
[11 juin]
L’histoire tragique de Laetitia a fait l’objet d’un récit par un sociologue voulant ériger un monument littéraire à la mémoire de cette jeune fille dont la vie a été fracassée : Laetitia, de Ivan Jablonka, Seuil, 2016.
Crimes sexuels sur les mineurs
Joël Le Scouarnec, chirurgien coupable d’avoir commis des viols et agressions sexuelles sur 300 enfants, est en cours de jugement en ce moment devant la cour criminelle du Morbihan. Il a déjà dans le passé (il y a 20 ans) été condamné pour détention d’images pédopornographiques, suite à des infos transmises par le FBI à la police française (4 mois de prison avec sursis). Il a été également condamné en 2020 à 15 ans de prison pour agressions sexuelles. Dans l’affaire en cours, il est poursuivi car suite à la précédente affaire, les policiers ont découvert ses journaux intimes et différents objets compromettants : il n’est donc mis en cause que par le fait qu’il a de façon fétichiste voulu garder traces de ses actes criminels. Il en était de même avec Dominique Pélicot qui avait conservé 20 000 photos et vidéos de 92 viols. Evidemment, cela interroge si deux affaires de crimes sexuels d’ampleur reposent seulement sur les traces que les auteurs ont bien voulu laisser. Qu’en est-il réellement dans la société où on peut imaginer que de tels crimes ne sont pas toujours comptabilisés de façon compulsive par leurs auteurs ?
Nombreux médias annoncent que Le Scouarnec risque 20 ans de prison (en droit français, les peines ne sont pas cumulables donc ces éventuels 20 ans ne s’ajouteront pas aux 15 ans). Là encore, sans vouloir approfondir une question que je connais mal (et je ne suis ni juge ni procureur), comment comprendre que le quantum de la peine pour un homme ayant commis de tels actes sur la durée, abusant de sa position de médecin, traumatisant gravement 300 personnes sur un long temps de leur vie (tous les agressés n’ont pas été recensés), puisse être de 20 ans alors qu’un homme (de 68 ans) accusé de relations sexuelles (il invoque le consentement des plaignantes) sur deux femmes âgées de 18 et 59 ans, vulnérables pour déficience mentale, en 2018 et en 2020, soit condamné une première fois à 30 ans de prison et en appel en mars (Assises du Gers) à nouveau à 30 ans ? Je n’étais pas aux audiences, j’ai lu les comptes rendus dans La Dépêche, mais je ne m’explique pas un tel écart.
Mediapart a consacré hier soir [22 mai] son émission quotidienne À l’air libre à l’affaire Le Scouarnec et aux violences subies par les enfants dans les établissements privés catholiques.

[23 mai]
. Violences sexuelles sur les enfants : ne plus regarder ailleurs
. Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets, reproduites ici avec quelques variantes et compléments.
Billet n° 867
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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