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Masafer Yatta est un village palestinien de Cisjordanie, au sud-est d’Hébron, habité par des agriculteurs, écrasé par le soleil l’été, parfois couvert de neige l’hiver. Si l’on sait que l’occupant israélien approuve et protège les colons qui s’installent sur les terres palestiniennes, en violation du droit international, en se moquant ouvertement de l’ONU et de ses résolutions, on est moins informé sur le fait qu’Israël a déclaré 20 % du territoire « zones de tir militaire », s’autorisant à expulser les habitants qui y vivent, dans le silence le plus complet et sans couverture médiatique (un document secret dévoilé reconnaît que « toutes les zones de tir ont été créées pour réserver les terres aux colons israéliens »). C’est le cas de Masafer Yatta : sauf que là un activiste palestinien, Basel Adra, qui vit avec sa famille dans ce village et dont les parents sont des activistes, compte bien en rendre compte. Enfant, il a dormi avec ses chaussures pour être prêt à fuir si la maison familiale était investie par les militaires. Muni d’une caméra, il filme les exactions israéliennes. Pour ce faire, il est accompagné d’un ami palestinien, Hamdan Ballal, et de deux amis israéliens, Yuval Abraham et Rachel Szor. Ils vont réaliser un film qui mettra à l’écran Basel et Yuval. On va assister, dans ce qui est un documentaire quelque peu scénarisé, aux conversations entre ces deux jeunes gens, l’un meurtri par ce que l’occupant fait à son village et à ses proches, l’autre honteux de ce que son pays fait subir aux Palestiniens.

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Pour dégager des habitants encombrants et supprimer un village, rien de tel que des bulldozers et pelleteuses, qui tout au long du film vont démolir ici une école, là une maison, ailleurs un poulailler, tandis que hommes, femmes et enfants tentent de récupérer in extremis leurs affaires avant que tout s’écroule. Des enfants pleurent devant cette violence. Un civil israélien portant lunettes de soleil, produisant un avis de démolition rendu par un tribunal, donne des ordres aux Palestiniens et aux conducteurs d’engins. Désormais sans abri, plusieurs habitants vont s’installer dans des grottes (la zone est connue pour ses quelques habitations troglodytes). Mais à peine les engins partis (avant de revenir plus tard), ils se mettent à reconstruire tant bien que mal des cabanes. Ils cachent des parpaings et du sable sous des bâches pour échapper à la vigilance des militaires de Tsahal, qui s’emparent d’un groupe électrogène. Certains villages ont été détruits sept fois !

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Yuval, après avoir passé la journée à Yatta, regagne le soir Be’er Sheva (Bersabée) dans le district sud d’Israël (lui a le droit, mais Basel n’est pas autorisé à se rendre chez son ami). Il est menacé par les soldats outrés qu’il puisse être solidaire des Palestiniens. Lui leur reproche d’agir comme des criminels. Basel s’attend à tout moment à être arrêté. Il est allé à l’université mais a interrompu son cursus pour revenir dans son village seul endroit où il se sent chez lui et être auprès des siens : il défend leur cause, devient célèbre, est interviewé par la télé, regrette que les fauteurs de malheur oublient qu’ils ont souffert aussi. Les autorités harcèlent les protagonistes, procédant à des arrestations, sans raison juridique avant de les relâcher. Lors d’une manifestation (derrière une banderole : Palestine Lives Matter), un militaire tire, un Palestinien est grièvement blessé. L’armée coupe l’eau, un vieillard excédé crie : « vous n’avez pas honte, l’eau est un droit humain ». Une colonie juive supporte mal la proximité de Masafer Yatta, le prétexte de la zone de tir permet ainsi d’éloigner les Palestiniens. Des colons se mettent de la partie et attaquent eux-mêmes les villageois. Ce drame de Masafer Yatta est célèbre : même Tony Blair est venu sur place ce qui a suspendu un temps les ordres de démolition.

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Le film se termine sur des images que nous connaissons : il s’agit de ces colons, sur la protection de l’armée, qui tirent sur un Palestinien désarmé et le tue (après le 7-octobre, la vidéo a fait le tour du monde). La victime est un cousin de Basel. Selon L’Orient le jour, au 12 août dernier, il y avait eu 1250 attaques de colons depuis le 7 octobre et 633 Palestiniens tués (661 selon Le Monde du 6 septembre, 745 selon La Croix du 8 octobre, comme s’il fallait s’habituer à cet incessant dénombrement macabre). Même la veille de l’attaque du Hamas, un jeune étudiant palestinien, Labeeb Dumaidi, avait été abattu par des colons israéliens.

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Ce sont les destructions de maisons et écoles qui sont les plus impressionnantes dans ce film. On attendrait davantage des discussions entre Basel et Yuval, qui ne sont pas défaitistes mais restent démunis face à l’injustice subie. On mesure que les femmes ont leur part dans ce combat, les enfants sont très présents. Les familles ont depuis longtemps capté des images de leur vie (on voit des petits films de Basel enfant). Yuval est un personnage étonnant, courageux car il est bien seul et certains Palestiniens lui opposent que ce sont « ses frères » qui les chassent.
No Other Land, en se consacrant à un phénomène particulier (les expulsions) résume le comportement permanent d’Israël à l’encontre des Palestiniens : violence, humiliation, injustice, non droit. No Other Land sort en salle précisément au moment où le ministre des Finances israélien d'extrême droite, Bezalel Smotrich, vient en France, après qu'il ait annoncé l'annexion de la Cisjordanie pour 2025 (ayant le vent en poupe après l'élection de Donald Trump qui avait, lors de son premier mandat, validé l'annexion du plateau du Golan à laquelle Israël avait procédé en 1967).
. en salle le 13 novembre. Film vu en avant-première au Festival Indépendance(s) & Création de Ciné 32 à Auch (octobre 2024), où j’étais accrédité en tant que chroniqueur du blog Social en question sur Mediapart.

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. Le film a été projeté le soir du 14 mars, dans la cour de l’école d’At-Tuwani, dans la région de Masafer Yatta en Cisjordanie. Plus de 350 personnes y ont assisté, non seulement les habitants du village mais aussi de nombreux Israéliens venus de Tel-Aviv et de Jérusalem. No Other Land a remporté à la Berlinale de février 2024 le prix du meilleur documentaire et le prix du public. Le film a été accusé en Allemagne d’« antisémitisme » et Yuval, qui s’exprime contre l’occupation en Cisjordanie, a reçu des menaces en Israël.
. Basel a publié un post Facebook le 20 septembre :
« Je présente cette semaine notre documentaire No Other Land au Festival du film de New York, sur mon père et notre vie sous occupation à Masafer Yatta. Les choses n'ont fait qu'empirer depuis que nous l'avons fait : aujourd'hui, mon père a été kidnappé par des soldats, les yeux bandés, attaché pendant des heures dans une colonie sans raison ».

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. +972 est un magazine numérique de gauche, créé par des militants palestiniens et israéliens. Depuis le 7-octobre, ses reporters sont les rares journalistes présents à Gaza. Je recommande ce média, qui publie en anglais, mais Google propose une traduction instantanée. M le Magazine du Monde [ici] a publié le 26 octobre dernier un bel article sur ce site d’info, auquel participe un des réalisateur de No Other Land, Yuval Abraham, qui par ailleurs a révélé le programme militaire d’intelligence artificielle Lavender qui identifie de potentiels membres palestiniens de groupe armés afin de les bombarder quitte à faire des dizaines de victimes innocentes (technique douteuse, contestée même au sein de Tsahal, largement utilisée dans la guerre à Gaza).

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Additif le 3 mars :
A Los Angeles, dimanche 2 mars, un Oscar du meilleur documentaire a été attribué à No Other Land sorti en salle le 13 novembre 2024 en France.
Additif le 25 mars 2025 :
Israël lynche No Other Land
Le Palestinien Hamdan Ballal, coréalisateur du documentaire No Other Land, film qui a reçu début mars l'Oscar du meilleur documentaire, a été arrêté violemment, lundi 24 mars, par l’armée israélienne en Cisjordanie. Ce sont les co-réalisateurs israélien Yuval Abraham et palestinien Basel Adra qui l'annoncent. « Un groupe de colons a attaqué la maison de Hamdan Ballal (…), alors qu’il était blessé et ensanglanté, des soldats sont entrés dans l’ambulance qu’il avait appelée et l’ont arrêté », a écrit M. Abraham sur son compte X, selon Le Monde.
Une autre source dit que Ballal a été lynché par les colons, il a des blessures à la tête et au ventre. Ainsi Israël, non seulement viole en permanence des résolutions de l'ONU, commet sans cesse des crimes de guerre et crimes contre l'humanité, laisse les colons de Cisjordanie agresser et violenter les habitants palestiniens, mais ne craint pas de s'en prendre à une personnalité désormais connue et encensée mondialement. Cet Etat qui interdit que la presse s'intéresse à ce qui se passe à Gaza ne peut supporter que des cinéastes rendent compte de la violation permanente du droit en Cisjordanie et des exactions des colons (qui n'ont aucun droit international d'être là). Hamdan Ballal a été relâché par les autorités israéliennes le lendemain de son arrestation.
Billet n° 828
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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