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Billet de blog 13 mai 2025

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« Un médecin pour la paix », malgré tout

Ce documentaire montre le drame vécu par une famille de Gaza lors d’une attaque de l’armée israélienne en 2009, visant délibérément des innocents et se prétendant irresponsable. Histoire tragique emblématique, aujourd’hui, de dizaine de milliers d’autres. Appel pourtant à la coexistence.

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Illustration 1

Le film de Tal Barda s’ouvre sur une citation du poète palestinien : « Que la paix règne sur cette terre qui a été créée pour la paix mais qui n’a jamais connu de jour de paix ». Le Docteur Izzeldin Abuelaish est médecin-obstétricien, né dans la bande de Gaza, dans le camp de réfugiés de Jabaliya (sa famille est originaire de Houg ou Huj, en plein cœur de l’Israël d’aujourd’hui, d’où elle a été chassée en 1948). Il est mobilisé dans le rapprochement Israël-Palestine, d’ailleurs il a été médecin dans un hôpital israélien, à Sheba, passant chaque jour les check-points et subissant les longues attentes. Ayant des amis dans les médias israéliens, il transmet des courtes vidéos tournées à Gaza, puisque les médias n’y ont pas accès. Il s’exprime sur le Hamas qu’il condamne, d’ailleurs il a été candidat en 2007 à Gaza contre le Hamas mais a été battu quand le Hamas décrochait 74 sièges sur 132. On apprend que le siège de Gaza par l’armée israélienne a été imposé dès le lendemain de cette élection.

Le Docteur, marié à Nadia, a huit enfants (six filles, deux garçons). Nadia, malade, est atteinte d’une leucémie aigüe. Elle est mourante alors que son mari exerce en Belgique. Il veut rentrer précipitamment mais Israël lui interdit une arrivée à Tel-Aviv, il doit faire un détour par la Jordanie et arrive alors qu’elle est inconsciente. Elle meurt le 16 septembre 2008. Il se retrouve seul avec sa famille nombreuse. Bessan, l’aînée, prend la relève, elle s’occupe de la fratrie. On voit des vidéos de l’époque de cette famille de classe moyenne supérieure, le père a fait construire un bel immeuble pour loger tous ses proches, y compris sa fratrie (25 enfants vivent dans cet immeuble).

Illustration 2

Lors de l’opération Plomb durci lancée par Israël contre Gaza, Tsahal lance une bombe sur une école de police qui fait 50 morts, images de désolation, tous ces morts et immeubles détruits, déjà. Tout le nord de Gaza fuit vers le centre de l’enclave, les écoles, les mosquées sont attaquées. Izzeldine a des amis dans les médias israéliens, dont Shlomi : il lui envoie des informations. Il déclare en direct à la télé : « Si Israël veut détruire le Hamas qu’elle le fasse mais les Palestiniens resteront ».

Le 16 janvier 2009, un tank positionné devant l’immeuble de la famille Abuelaish le menace. Le Docteur effrayé appelle ses contacts en Israël, mais le tank tire un obus et tue trois des filles, Bessan, Aya et Mayar, et une cousine Noor, d’autres grièvement blessées. La règle était de se mettre en des endroits différents dans la maison pour que tout le monde ne soit pas tué en même temps, mais cela n’a pas suffi. Le Docteur est alors en direct avec un journaliste de la télé, tout cela a été filmé, il hurle sa douleur, crie « j’ai perdu foi en l’humanité », le journaliste quitte le plateau refusant de raccrocher la communication. On a les images des filles sur les brancards. Shlomi nous dit que c’est « la plus grande tragédie retransmise à la télévision israélienne ». Shatha, émouvante, qui avait 12 ans au moment de l’attaque, témoigne longuement dans le film (« si je n’ai plus d’œil droit je regarderai avec le gauche, si je n’ai plus de main droite, j’écrirai de la main gauche »). Interrogée pour savoir si elle a de la haine, elle répond : « pour qui ? ».

Le Docteur n’a pu enterrer ses filles auprès de leur mère à cause de l’armée qui contrôle le cimetière (une des innombrables humiliations dont use Israël). Il s’exile au Canada, à Toronto, où il participe à un programme d’éducation auprès d’étudiantes palestiniennes. Il collecte des fonds pour venir en aide aux Palestiniens de Gaza objets de nouvelles attaques d’Israël. Il devient conférencier sur la paix et publie un livre : Je ne haïrai point. Il engage un procès contre l’État d’Israël qui viole les règles de la guerre : si le premier ministre Ehud Olmert avait fait mine de pleurer devant le drame, Izzeldine est débouté par un premier jugement (l’État est en guerre, il n’est pas responsable), puis la Cour suprême juge de la même façon. Comme on pouvait s’y attendre, l’armée dit qu’il y avait peut-être un tireur sur le toit, d’ailleurs une fumée noire sortait de l’immeuble, c’était suspect. C’est toujours la même façon qu’a Tsahal pour justifier ses crimes contre les civils.

Ce qui a stupéfié les observateurs c’est que Izzeldin a aussitôt appelé à la paix entre Israël et la Palestine, parlant de « coexistence », alors qu’il est encore couvert de sang, à côté des corps inanimés de ses filles. Il rappelle en larmes qu’il est un médecin qui soigne des Israéliens. La haine est destructrice, on ne nait pas avec la haine, elle nous est inculquée. Il promeut l’éducation comme antidote. Il cite même Jésus : dire la vérité et la vérité te sauvera. Shlomi confie que sa prise de position était insensée, mais il faisait de cette tragédie un plaidoyer pour le vivre ensemble, Palestiniens et Israéliens.

Une dernière image : les seules trois sœurs tuées avaient écrit un jour leur nom dans le sable de la plage, en un temps où la famille était tout sourire. Film, on l’aura compris, très émouvant : quand la salle se rallume, on ne peut sortir de son siège, comme tétanisés. Je le recommande vivement.

Illustration 3

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Le film réalisé pour l’essentiel avant le 7 octobre 2023 évoque sur la fin l’attaque du Hamas avec des images jamais vues des destructions des maisons des kibboutz… en parallèle avec la ville de Gaza rasée en rétorsion. Les écoles, mosquées, hôpitaux visés, la famine organisée. Au cours de cette guerre, dans les premières semaines, 22 membres de la famille du Docteur ont été tués. « Comment mettre fin aux morts répondant à d’autres morts, demande-t-il, il est temps d’humaniser et de travailler sans relâche à la paix ».

. Tal Barda est une cinéaste, documentariste franco-américaine, née à Jérusalem où elle a passé son enfance. Elle a obtenu un diplôme (cinéma et télé) à Tel-Aviv et un autre en histoire de l’art et en communication à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Un médecin pour la paix est une production Canada (Québec) et France.

. film en salle depuis le 23 avril. Bande-annonce :

UN MÉDECIN POUR LA PAIX - Bande-annonce VOSTF © DestinyDistrib

[chronique parue sur mon compte Facebook le 10 mai]

Billet n° 861

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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