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Billet de blog 16 août 2024

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« Les Caractériels » : récit désopilant d'une enfance de misère

Martial Cavatz publie un ouvrage sur son enfance dans un quartier populaire de Besançon, dans une famille « dysfonctionnelle », puis sa vie dans des établissements spécialisés : humour, bienveillance et autodérision.

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Illustration 1

Raconter son enfance dans une cité HLM, dans une famille « dysfonctionnele », vivant des aides sociales, perçue comme bizarre par les autres familles du quartier, avoir une vue déficiente et se retrouver en établissement spécialisé, d’abord pour enfant plus ou moins en danger dans sa famille (centre de diagnostic, de traitement et de réadaptation sociale) puis dans une école pour malvoyants, voilà les conditions parfaites d’ordinaire pour apitoyer et faire pleurer Margot dans les chaumières, tout en permettant à l’auteur de se faire mousser pour avoir su échapper au déterminisme infernal. Tant d’auteurs exploitent le filon. Sauf que Martial Cavatz a une tout autre approche de son enfance : grâce à l’humour, non seulement il a pu surmonter ce passé, mais encore il a su le raconter. Et cet humour n’est pas moqueur, il a une forte dose de bienveillance et d’autodérision. C’est ce qui fait que Les Caractériels, dont le récit pourrait être lu comme un recueil de misères suscitant la compassion, s’avère être un livre drôle où l’on rit ou sourit à chaque paragraphe. Et de bon cœur, pas seulement des situations rocambolesques, mais de la façon dont l’auteur raconte, avec des chutes qui désarçonnent : on s’attend à tout sauf à tel commentaire désopilant et dédramatisant. Certaines scènes sont tragiques et pourtant on rit, tellement on sent le gamin culotté. Quand ses parents achètent une voiture sans permis, c’est la honte : il envisage d’écrire à Jean-Luc Lahaye dont l’adresse est au dos des boites de corn-flakes, dans le but de se faire adopter !

Tout a commencé aux 408, quartier bisontin qui était, à l’époque, comme une petite ville, avec à peu près tous les services, mais où les familles étaient assignées à résidence. Il décrit l’ambiance de la cité où régnaient les « éclats de voix et les coups dans les murs », il dépeint de façon truculente certains personnages, comme Popeye et Pinpin ainsi que ses petits camarades. Le livre est parsemé de courtes réflexions en passant, sans s’attarder : « les enfants n’étaient pas plus mauvais ici qu’ailleurs, c’est juste que les urbanistes ne s’étaient pas montrés très généreux ». D’où les Caddies piqués à la supérette pour faire des courses-poursuite. Sa famille n’était pas la seule montrée du doigt du fait que le chef de famille ne travaillait pas, vivant de l’assistance et des colis alimentaires des assoces pour les cassos, mais ça ne changeait rien : être plusieurs à galérer « ça ne protège en rien, la honte, ça ne se partage pas et ça ne se divise pas ». Ceux qui travaillaient se libéraient du mépris vécu à l’extérieur en exerçant des métiers ingrats par un regard hautain envers plus faibles qu’eux dans le quartier. Il en était de même envers les Arabes qui auraient touché plus d’aides que les autres. Martial, « le pauvre de l’internat », qui n’avait pas de père mais un beau-père inactif et alcoolique, s’inventait pour les copains un père maçon. Il procédait d’ailleurs de la même façon avec la psy, car il sentait que ça l’intéressait, tout en veillant à ne pas trop en dire afin qu’elle ne rapporte pas tout à la « DDASS », ce qui lui aurait valu, selon sa famille, la maison de correction. Il pensait qu’un enfant est placé par le juge pour des raisons bégnines (parce que faisant ses devoirs à la cuisine, il peut salir ses cahiers), mais il avoue qu’être en établissement a été sa chance. Puis, en famille d’accueil l’été, il découvrira qu’il existe des « familles structurées » : repas à l’heure, pas d’engueulades.

Illustration 2
Les 408 [Photo Toufik-de-Planoise, avec son aimable autorisation]

La cité est diversifiée même si elle est perçue de l’extérieur comme « un tas de pauvres », c’est un combat quotidien où « gagner, ce n’était (…) rien d’autre que survivre ». Un monde où « même jouer à la marelle peut faire des blessés ». Ici, l’appartenance ce n’est ni un pays, ni une ville, ni même un quartier mais une cage d’escalier. Heureusement, il y avait la télé « qui rend la misère supportable ». Mais pire que la misère c’était la crainte de ne pas plaire aux filles que le gamin redoutait !

C’est évidemment l’adulte qui écrit, dont le regard sur la société s’est politisé, mais on entend à tout moment l’enfant qu’il était, exposant sa révolte contre l’autorité, décrivant sa violence, ses coups pendables (comme vendre une collection de timbres à un aveugle), son machisme, sa xénophobie, sans pour autant se chercher des circonstances atténuantes. Il y a comme une sorte de cynisme mais toujours plaisant : en fait, la subtilité est que nous ne sentons aucun effet calculé pour faire drôle, c’est drôle par ce mélange de propos d’un gamin et d’un adulte raisonné qui surplombe ce témoignage.

Avec le recul du temps, cette mère « terrible, castratrice », Martial a le sentiment qu’elle a tout fait « pour que le pire soit moins pire ». C’est plus facile d’être une mère admirable quand on a de l’argent. Une éducatrice lui a fait comprendre que sa mère aimait ses enfants. On croit comprendre qu’il a approché le monde des travailleurs sociaux et des instits, qu’il a peut-être aujourd’hui des amis et amies parmi eux. Il en parle parfois avec sévérité, il relève leurs travers, mais le plus souvent il cherche à les comprendre. À une époque, il a été suivi par des éducateurs en AEMO (action éducative en milieu ouvert). Quand il critique ces professionnels c’est par antiphrase : il se souvient de ce qu’il en pensait enfant, exigeant et turbulent, mais aujourd’hui il note combien ils étaient patients. Il évoque l’assistante sociale, souvent  instrumentalisée par les pauvres, non pour se complaire dans l’assistanat, mais pour conserver leur dignité face à « la charité de l’État ». D’ailleurs, certains, ne connaissant pas les démarches, ne touchaient même pas le RMI [revenu minimum d’insertion] auquel ils avaient droit.

C’est bien une « AS » qui a trouvé une petite maison pour la famille dans un quartier où les voisins furent accueillants (« le monde n’est pas peuplé que de salauds »). Il s’est rendu compte que les travailleurs sociaux ont eux aussi des « emmerdes au point d’y laisser des larmes ». Et toujours, pour en parler, cet humour décapant : il se réjouit, par exemple, que ces professionnels n’aient pas eu de conscience politique, sinon, au lieu de lui offrir un pistolet de cow-boy avec ceinture de munitions, ils lui auraient fourgué « un jouet en bois éthique ». Perfide, il constate qu’une éduc avait un engagement politique : elle militait à Lutte Ouvrière… « mais elle était drôle quand même ».

Il nous confie qu’il aimait la lecture et se réfugiait à la médiathèque, avant d’aimer lire il a aimé le lieu où on lisait. Il cite particulièrement Chiens perdus sans collier, de Gilbert Cesbron (ouvrage qui a certainement inspiré jadis des vocations de travailleurs sociaux, j’en sais quelque chose). Il découvre Charlie Hebdo pour y retrouver son idole, Renaud, qui y publie des textes. Grâce à un éducateur, il se passionne pour le dessin et la caricature.

Le dernier chapitre s’intitule, à la Magritte, « ceci n’est pas une fin », nous laissant espérer que ce type de récit, maniant subtilement ironie et gravité, se poursuive. Car on imagine que le gamin que l’on quitte a dû se confronter ensuite à bien d’autres obstacles avant d’être diplômé en histoire économique et en sociologie, pour devenir enseignant. En attendant, ce livre est un petit bijou : si j’avais le culot de Bernard Pivot, je dirais que je suis prêt à rembourser l’achat du livre à tout lecteur qui serait déçu.

. Les Caractériels, Martial Cavatz, éd. Alma, 180 pages, 18 €. Sortie en librairie le 19 août. Dans les bonnes librairies.

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Illustration 3
Martial Cavatz [Ph. Patricia Vernier]

Martial Cavatz est né à Besançon en 1978 et a vécu dans une des barres des 408 dans le quartier populaire de la Grette. À 18 ans, il quitte le domicile familial, bénéficiant d'un contrat jeune majeur (avec l'ASE, l'aide sociale à l'enfance [ASE] relevant du Conseil Général du Doubs). Après avoir décroché le bac, et avec la fin de la prise en charge par l’ASE, il se consacre quelques temps au dessin. Il avait au lycée rencontré Berth, dessinateur aujourd’hui bien connu (qui dessina dans L’Estocade, revue franc-comtoise que j’ai dirigée dans les années 1980), qui l’incite à créer un fanzine, expérience qui lui permet de rencontrer les dessinateurs de Charlie Hebdo. Puis il participe à un autre fanzine, anticlérical, CROA. Sollicité par Lindingre, directeur de Fluide Glacial, il écrit dans cette revue des textes dont l'un au sein d'un hors-série sur Franquin. Puis ce sera Siné Mensuel dans lequel il publie quelques articles.

Après avoir un temps été pion, il reprend des études en fac qu’il avait abandonnées et obtient un master en histoire économique et un master en sociologie. Il publie des articles, enseigne en lycée, à l’université et à l’IRTS (institut régional de formation des travailleurs sociaux) de Besançon. Il est aujourd’hui responsable du service du personnel de l’UFR Science du langage, de l’homme et de la société (SLHS) de Besançon.

Interrogé pour savoir si une suite est envisageable après Les Caractériels, Martial Cavatz me confie qu’il y pense : les années lycée.

Billet n° 816

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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