Le Conseil d’Orientation des Retraites (le COR) s’apprête à publier un rapport : une version a été déjà diffusée par son président, Gilbert Cette, qui émet plusieurs hypothèses, délaissant celles qui consisterait à relever les cotisations ou à revaloriser moins vite les pensions (en dessous de l’inflation), et à ne retenir que celle repoussant l’âge de départ en retraite : 64,3 ans en 2030, 65,9 ans en 2045 et 66,5 en 2070. Pourquoi ? Parce que le déficit de 2024 est de 1,7 milliard d’euros (Md€), celui 2030 serait de 6,6 Md€ (0,2 % du PIB) et celui de 2070 de 1,4 % du PIB (si je calcule sur la base du PIB actuel cela fait 46,2 Md€, chiffre exorbitant que ni le COR ni les journaux n’osent publier).

Agrandissement : Illustration 1

Petit rappel : en 2017, le COR dit que le budget des retraites est à l’équilibre, et en juin 2018 un rapport du COR confirme que les comptes sont à l’équilibre jusqu’en 2070 ! Sauf qu’Emmanuel Macron, qui veut à tout prix la retraite à points, est Grosjean comme devant, alors il obtient que le COR modifie ses prévisions, en annonçant en novembre 2019 que le déficit à l’horizon 2030 pourrait être entre 8 et 17 Md€ : c’était tellement imprécis que le débat public n’a plus utilisé que le chiffre, au doigt mouillé, de 10 Md€ (non prouvés, sur un budget total, normalement collecté, de 330 Md€, soit 0,4 %, et en comparaison avec le PIB : 0,04 %). Ce fut la toile de fond de la bataille du projet de réforme de la retraite à point, avant le Covid, puis, après abandon de la réforme à points (façon d’admettre que c’était une usine à gaz, entraînant une perte considérable du montant des pensions), ce fut la bataille sur la réforme de l’âge de départ (passage de 62 à 64 ans).
Faut-il rappeler aussi qu’en 2013 le COR avait prévu un déficit en 2022 de 20 Md€ : il a été en réalité excédentaire (+ 3,2 Mds, alors qu’aucune loi n’avait encore modifié le dispositif). Pour que le COR ne vienne plus perturber les plans de la droite et du patronat, Macron a viré le président de cet organisme en nommant à sa tête Gilbert Cette, un économiste bien dans la ligne néo-libérale, qui a tant bataillé pour qu’on n’augmente surtout pas le Smic, par exemple.
Il faudrait sur cette question un collectif d’économistes et démographes indépendants (si ça existe) afin que les chiffres ne soient pas manipulés : Gilbert Cette, après avoir mouliné démographie, productivité, chômage, espérance de vie, parvient à ses chiffres qui confortent Macron dans l’utilité de sa réforme, alors que plusieurs données sont incertaines. Par ailleurs, il s’empresse de publier une première mouture, alors que l’assemblée du COR ne s’est pas prononcée, juste pour courcircuiter le "conclave" qui continue à réunir des syndicats inconscients que Bayrou a saboté les objectifs de cette concertation.
Le COR dans son pré-rapport écrit que les dépenses de retraite (Sécu + complémentaires + tout autre produit d’épargne pour la retraite) représentent 407 Md€, en précisant que « la France est le deuxième pays (après l’Italie) où la part des dépenses de retraite publiques dans le PIB est la plus élevée ». Sous-entendu : on dépense trop. Or, on le sait, notre modèle repose sur un système de répartition, donc solidaire, donc public : dans beaucoup de pays, si le total des dépenses publiques est inférieur à la France, cela ne veut pas dire que le citoyen ne dépense pas autant sinon plus que dans notre pays. Un peu comme les États-Unis qui se vantent d’avoir moins de dépenses publiques dans le domaine de la santé, alors que le citoyen américain dépense deux fois plus pour se soigner qu’un assuré français.
[8 juin]
Recul du COR
Gilbert Cette s’était donc arrangé pour publier un pré-rapport truffé de formules qui lui plaisent bien sachant qu’il est un fervent militant du recul des droits sociaux. Sauf que les syndicats membres du COR ont protesté, alors il a retouché un peu sa copie. Il disait qu’il y avait plusieurs solutions pour atteindre l’équilibre : la hausse des cotisations, la sous-indexation des pensions (qui augmenterait moins vite que les prix) ou le recul de l’âge de la retraite (presque 66 ans en 2045, donc dans dix ans !). La seule qui n’était pas récessive, la seule qui trouvait grâce à ses yeux : l’allongement du temps de travail. La mission du COR est de fournir des éléments d’analyse, pas de déverser une petite propagande conforme aux choix idéologiques d’économistes dits libéraux, c’est-à-dire soutiens actifs à un capitalisme pur et dur. Comme je l’avais indiqué, Cette a été un fervent défenseur d’un blocage du Smic, qui porterait trop atteinte à la compétitivité des entreprises. On m’objectera qu’il fut aussi un des artisans des 35 heures : il a su s’adapter par la suite comme Laurent Mauduit dans Les imposteurs de l’économie l’a montré. Et d’ailleurs, si ça se trouve, il n'est peut-être pas étranger à tout le versant de la réforme des 35 heures qui était clairement destiné à favoriser le patronat dans une organisation du travail, à son profit.
Selon l’économiste Michaël Zemmour dans la revue Alternatives Économiques, le rapport du COR n’apprend rien de nouveau : « les dépenses, à législation inchangée, sont à peu près stables ». Cela à cause de départs retardés et d’un niveau de vie des retraités en baisse (de nombreux vieux ouvriers et employés vont connaître une baisse notable de pouvoir d’achat en étant au chômage jusqu’à 64 ans). En réalité, contrairement à ce que voudrait laisser entendre l’économiste de Macron, il n’y a pas de déficit en prévision. Gilbert Cette s’est compromis en voulant soumettre le COR à ses désidérata, à se mettre le COR au pied en quelque sorte, dans une opération magouilleuse qui consistait à courcircuiter le conclave, cette réunion de certains syndicats avec le patronat à qui Bayrou a donné comme consigne strict de ne surtout pas abaisser l’âge de départ en retraite à 62 ou 63 ans.
[14 juin]

Agrandissement : Illustration 2

Cumul emploi et pension
François Bayrou a lancé un nouveau pétard : alors que le conclave n’a pas conclu, il émet l’idée qu’un salarié à jour de ses cotisations et ayant atteint l’âge requis puisse rester au travail en percevant une partie de sa pension sous forme de prime. Surprise générale, car cela vient perturber ledit conclave qui voulait se pencher sur la pénibilité. Sa proposition étonne mais ce qui est surprenant est plutôt le fait qu’elle n’ait jamais été proposée auparavant. Elle n’est pas franchement nouvelle : il a existé la possibilité de cumuler son salaire du public avec non seulement une pension du privé mais aussi la retraite complémentaire (dès qu’on a le nombre de trimestres requis et atteint l’âge de départ) : ce droit existait sous Nicolas Sarkozy pour inciter justement les salariés à rester au travail (selon une formule tout de même coûteuse pour les finances publiques), qui fut supprimé sous Hollande. Ce dispositif est d’un autre ordre que celui existant de cumul emploi-retraite qui consiste à pouvoir occuper un nouvel emploi, selon certaines conditions de cumul si on n’a pas acquis tous ses trimestres, alors que l’on a fait valoir ses droits à la retraite.
Par ailleurs, la retraite progressive, dans le privé et dans le public, est un dispositif étrangement peu connu et peu sollicité. Il permet de travailler à temps partiel tout en percevant une partie de sa retraite quand le salarié a acquis l'âge et les trimestres nécessaires. Enfin, autre étrangeté, on évoque très peu la surcote qui permet à tout salarié à jour de ses droits à retraite, de continuer à travailler avec par année supplémentaire 5 % d'augmentation de sa pension (1,25 % par trimestre). Actuellement, une personne qui devait partir à 62 ans et qui part à 66 ans, augmente sa pension de 20 %. Au lieu de creuser ces questions, le Conclave ratiocine pour savoir si le "taux plein" doit rester à 67 ans, ou à 66 ans, ou à 66 ans et demi. Le taux plein est un dispositif destiné à empêcher un salarié à partir en retraite même au prorata de ses années de cotisations (le "taux plein" le pénalise de surcroît avec l'imposition d'une décote : 5 % par année manquante qui se rajoute au fait qu'il lui manque justement une année).
Accaparer les biens des ultra-riches
L’économiste Gabriel Zucman avait proposé qu’un impôt plancher de 2 % soit instauré sur le patrimoine des 1800 Français qui possèdent plus de 100 millions d’euros, ce qui aurait rapporté 20 milliards [Md€] au budget de l’État. Cette taxe bien modeste découlait du constat qu’entre 2010 et 2025, les 500 plus grandes fortunes étaient passées de 200 Md€ (10 % du PIB) à 1200 Md€ (40 %). Sachant que ces gros patrimoines rapportent 6 à 7 % par an, la taxe ramenait leurs profits à 5 %, soit dans les 50 Md€, une paille !

Agrandissement : Illustration 3

Thomas Piketty a proposé que les milliardaires qui ne peuvent pas payer s’acquittent en remettant des titres à l’État qui les revendra aux salariés ce qui permettra à ces derniers, comme en Allemagne et en Suède, d’avoir des droits de vote aux conseils d’administration : « la richesse est collective : elle dépend de l’implication de milliers de salariés et non pas de quelques génies individuels », écrit-il dans une tribune parue dans Le Monde du 15/16 juin. Il fait un parallèle avec la Révolution qui s’accapare les biens ecclésiastiques en 1789 : leur valeur avoisinait le montant de la dette du pays. Il suggère que les 1000 milliards acquis par les ultra-riches en 15 ans seulement, soient taxés à 30 %, 40 %, 50 % ou même davantage, comme n’importe quel contribuable. Et pas seulement, sur les centimillionnaires, mais tous les multimillionnaires, c’est ce que l’Allemagne a fait après-guerre (soit l’équivalent de 60 % du PIB de 1952).
Sauf que les représentants des multimillionnaires et des milliardaires au Sénat ont refusé, le 12 juin, le principe de cette taxe, qu’une première lecture à l’Assemblée Nationale avait adoptée (122 pour, 188 contre). C’est pas gagné. Cette mesure devrait être relancée dans le cadre d’une niche parlementaire.
[16 juin]
Le microcosme & la Sécu
Astrid Panosyan-bouvet, ministre du travail et de l’emploi, vient de déclarer sur TF1 que les cotisations sociales (salariales et patronales) ne devraient pas couvrir les dépenses de santé car celles-ci n’ont pas de rapport avec le travail. Elle cherche à donner du grain à moudre à François Bayrou qui évoque une TVA sociale pour soulager les cotisations patronales, permettant ainsi d’augmenter un chouya les salaires (c’est-à-dire que l’augmentation de salaire partira dans les hausses des prix) mais surtout à combler le déficit de la Sécu. La ministre découvre que « 65 % de la protection sociale est financée par le travail ». Ce serait une anomalie française qui n’existerait pas dans les autres pays européens.

Agrandissement : Illustration 4

D’abord c’est faux : l’Allemagne a un système qui repose sur les cotisations liées au travail (système bismarckien, dit assuranciel), par contre la Grande-Bretagne est davantage sur l’impôt, c’est-à-dire assistanciel (beveridgien). La France emprunte aux deux : assurance (maladie, allocs, pensions) et assistance (RSA, AAH, ASPA), avec un système assistanciel (type secours) qui s’orientait progressivement vers une approche plus assurancielle.
Ensuite, la ministre du travail ne sait pas ce qui fait la spécificité de la protection sociale en France : ce modèle est précieux, il faut le sauvegarder, ne pas laisser les prédateurs le détruire (se souvenir de Denis Kessler, du patronat, qui invitait en 2007 à « défaire méthodiquement le Programme du conseil National de la Résistance »).
Ecœuré d’entendre cette caste, des beaux quartiers et du microcosme coupé du monde réel, imbibée de conceptions identitaires (Madame Panosyan était l’épouse de Laurent Bouvet, décédé, qui fonda le Printemps Républicain, refuge des identitaires qui pervertissent la laïcité, style Raphaël Enthoven, et finalement le projet républicain), qui n’a pas su empêcher la hausse des prix (où un panier de 60 € a grimpé en un rien de temps à 80, sans que l’on sache avec précision qui sont les coupables, alors que des familles sur le fil du rasoir ont terriblement galéré). Le problème est que peu de médias ne mettent en garde contre ces dangers publics, certainement pas la nouvelle télé T18 qui a droit à un canal aujourd’hui et qui appartient évidemment à un milliardaire (le tchèque Kretinsky).
[6 juin]
Aide à mourir : clap final ?
Les député·e·s ont approuvé l'article de loi sur la fin de vie, créant un « droit à l’aide à mourir ». Contrairement à un premier texte qui prévoyait la possibilité pour le patient soit de s’autoadministrer le produit létal soit de demander à un médecin ou à un infirmier d’y procéder, le texte retenu hier prévoit que l’aide par un tiers médical ne sera possible que si le patient est dans l’incapacité physique de le faire.
Chaque fois qu’il y a eu un débat sur la fin de vie, des intervenants en soins palliatifs sont montés au créneau (parfois seuls invités pour parler de la fin de vie), affirmant que l’aide à mourir ne se pose pas s’il y a soin palliatif. Beaucoup d’opposants à l’aide à mourir invoquent l’absence de soins palliatifs dans plusieurs départements. En réalité l’offre de soins palliatifs n’a cessé de progresser, et, si 21 départements, en 2023, ne possédaient pas de services dédiés aux soins palliatifs cela ne signifie pas que de tels soins n’existaient pas dans leur territoire.
On ne peut nier que l’aide à mourir est un sujet moral complexe qui nécessite des garde-fous bien délimités. Il semble que c’est ce qu’a fait la Belgique, même si des opposants à l’aide à mourir invoquent la Belgique en disant qu’il y aurait de nombreux dérapages (ce n’est pas ce que j’ai entendu de la part de François Damas, médecin belge, voir en annexe).

Agrandissement : Illustration 5

En réalité il y a dans ce débat une bonne dose d’hypocrisie. Déjà le fait que l’hôpital est à l’os et qu’il n’est pas exclu que parmi les défenseurs de l’aide à mourir il y ait des politiques pas étrangers à l’état catastrophique de la santé en France, pas par absence de dévouement des personnels mais à cause de la façon dont les gouvernements successifs ont privilégié la caste possédante en réduisant les ressources de l’État et de la Sécurité sociale. Ensuite et surtout, comme jadis avec l’avortement, dans certains milieux médicaux, même lorsqu’ils sont anti-aide à mourir, on sait très bien comment procéder. Certains ont avoué comment ils s’y prenaient : c’est le cas du célèbre professeur Claude Got qui s’est suicidé en août 2023 peu après la mort de son épouse et qui avait avoué avoir injecté en 1992 à sa mère de 88 ans un produit létal (tandis que son grand-père psychiatre avait été aidé à mourir par un ami vétérinaire en 1957). J’ai souvent lu ou entendu ce genre d’histoire, ce qui allait dans le sens de ce que j’avais constaté ou imaginé à 18 ans, quand effectuant une année de stage en hôpital j’ai vu mourir de nombreux patients. Ils étaient dans une telle souffrance la veille que lorsqu’on nous annonçait sa mort dans la nuit (« il a glissé ») nous étions persuadés que des soignants avaient dû les aider à mourir (sans que nous n’en ayons la preuve) et cela, malgré notre éducation chrétienne, ne nous gênait pas. Parfois, quelques-uns d’entre eux nous avaient interpellés, nous suppliant de les faire mourir.
La sédation profonde, officiellement, n’existait pas. Aujourd’hui, elle permet de supprimer la douleur pour une personne atteinte d’une maladie grave et incurable (loi Claeys-Leonetti de 2016). Elle a pour but d’éviter l’acharnement thérapeutique et des pratiques relevant de l’euthanasie. En réalité, elle a pour effet d’accélérer la fin de vie, même si le texte ne le dit pas explicitement. Si ce n’est pas identique à la demande de mettre fin à ses jours, c’est tout de même une aide à mourir qui ne dit pas son nom, s’appuyant souvent sur des directives anticipées dans lesquelles le patient a dit son intention que l’on ne s’acharne pas à le maintenir en vie. Pourquoi l’aide à mourir ne pourrait pas être apportée pour des malades qui ne sont pas en fin de vie mais atteints de maladie incurable avec un pronostic vital engagé ?
L’ensemble du texte doit être soumis au vote à l’Assemblée le 27 mai et a été adopté après plusieurs modifications : il instaure le droit à l’aide à mourir mais le malade devra s’administrer lui-même le produit, sauf s’il est dans l’incapacité physique de le faire. Alors l’administration par un soignant sera possible. Les soignants bénéficient d’une clause de conscience. Les soins palliatifs sont encouragés. Le Sénat doit encore se prononcer sur ce texte à l’automne 2025.
[18 mai]
. Le droit à mourir dans la dignité.
. Proposition de loi de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Je précise que j'adhère depuis longtemps à l'ADMD.
. Les chroniques suivies d'une date entre crochets ont été publiées sur mon compte Facebook, reproduites ici avec d'éventuelles variantes et compléments.
Billet n° 868
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook